Philippe Alcoy
La chute d’Alep-Est aux mains des forces loyalistes est imminente.
Le régime et ses alliés y sont parvenus à coups de crimes contre
l’humanité, de stratégies de guerre barbares. L’hypocrisie des médias
occidentaux, qui jusqu’hier célébraient les bombardements
« démocratiques » des puissances impérialistes (dont la France), est
immense. La tragédie et les souffrances de la population sont manipulées
par les uns et par les autres en fonction de leurs intérêts. Mais
malgré leurs rivalités, tous sont des ennemis jurés des classes
populaires, des ennemis jurés de la révolution. Et le message est
clair : pour préserver leurs privilèges et leur domination, les
capitalistes, toutes fractions confondues, sont prêts à « multiplier les
Syries ». À la classe ouvrière et aux masses de les en empêcher !
Ces derniers jours, les témoignages des civils à Alep, les
vidéos portant les « derniersmessages » avant l’arrivée des forces
loyalistes dans la ville, répandus sur les réseaux sociaux, publiés dans
les journaux et sites d’information, retransmis à la télé, ont provoqué
une commotion mondiale. C’est l’événement géopolitique du moment et
cela expose devant les yeux de centaines de millions personnes dans le
monde, le calvaire des masses syriennes sous le feu d’Assad et ses
alliés, notamment la Russie, mais aussi soumis aux atrocités des alliés
des occidentaux.
Sans doute existe-t-il une volonté intéressée de la part des médias
dominants de montrer maintenant ces images et témoignages. Les
souffrances de la population sont bien réelles, néanmoins. Le martyr des
classes populaires en Syrie est reporté quotidiennement sur les réseaux
sociaux, souvent avec moins de publicité par les médias dominants.
Mais cette barbarie n’est en aucun cas l’exclusivité du régime syrien
et de ses alliés. Les puissances occidentales et leurs alliés locaux
sont tout à fait responsables de crimes contre l’humanité et de la
violence dans le pays et dans la région en général. Car alors que tous
les yeux sont rivés sur Alep, on ne peut pas oublier Mossoul. On ne peut
pas oublier le Yémen pilonné par les bombes saoudiennes, fabriqués par
les occidentaux, dont la France.
On ne peut pas oublier non plus que c’est l’échec de l’intervention
militaire nord-américaine en Irak qui est à la base du développement de
milices et de groupes armés défendant tel ou tel secteur des classes
dominantes locales. Et cela au-delà du label « islamiste » ou « modéré »
collé sur chaque groupe. Les principaux faiseurs de guerre dans la
région ne sont personne d’autres que les puissances impérialistes.
Mais la situation dramatique que connaît la Syrie depuis bientôt six
ans est également le résultat et le symptôme de l’échec des processus
révolutionnaires au nord de l’Afrique et au Moyen-Orient, le « printemps
arabe » commencé en 2011. En effet, sur le modèle de l’intervention
impérialiste contre-révolutionnaire en Libye contre Kadhafi, les
puissances impérialistes ont essayé de dévier la contestation populaire
qui naissait en Syrie contre Assad vers une alternative
pro-impérialiste, faussement présentée comme « démocratique ».
On peut dire effectivement que les impérialistes ont réussi à dévier
la révolte. Sauf qu’à la différence de la Libye (où la situation reste
également dramatique), la résistance du régime syrien a été plus forte
et Assad a trouvé des soutiens internationaux fondamentaux comme le
Hezbollah, l’Iran et notamment la Russie. Ainsi, alors que dans les
autres pays à la pointe du « printemps arabe » (Tunisie et surtout
Egypte, en passant par la Libye) la contre-révolution avançait et
obtenait des victoires dans le sang et le feu, en Syrie la contestation
populaire devenait ouvertement une guerre civile réactionnaire entre des
fractions des classes dominantes : dans un premier temps entre les
forces du régime et l’opposition « démocratique » soutenue par les
puissances impérialistes et leurs alliés régionaux et puis avec le
surgissement de Daesh comme troisième force en lutte. Seules les forces
de résistance kurdes continuent à présenter une alternative progressiste
dans le cadre du marasme et du chaos syrien, mais leur lien de
dépendance avec une fraction de coalition anti-Daech, à commencer par
les Etats-Unis, est loin d’être une garantie de victoire. Bien au
contraire. On sait comment Washington a toujours su s’appuyer sur des
troupes aux sols tant que cela convenait aux intérêts américains pour
mieux les laisser tomber voire se retourner contre elles dans un second
temps.
Cette guerre brutale, la première « grande boucherie » du XXIe
siècle, a provoqué, pour le moment, plus de 400.000 morts (certains
évaluent le chiffre bien plus élevé). On parle de près de 4,5 millions
de réfugiés dans les pays limitrophes, plus d’un million de réfugiés
syriens en Europe et autour de 8 millions de déplacés à l’intérieur du
pays. L’économie est dévastée, s’il y avait besoin de le rappeler. Des
villes, dont certaines abritaient des centaines de milliers de
personnes, sont complètement dévastées comme Homs et Alep elle-même, en
passant par Damas, entre autres. Des sites historiques détruits par les
combats ou délibérément par des forces ultra-réactionnaires comme l’a
fait Daesh à Palmyre.
Les récits des souffrances qui arrivent dans les pays Occidentaux
sont effrayants. Aussi bien l’armée syrienne que les rebelles et Daesh
utilisent des stratégies de guerre profondément barbares comme le
bombardement sans relâche sur des zones habitées par des civils ; la
prise en otage des civils pour protéger les combattants ; le siège des
villes les condamnant littéralement à la famine, à la maladie et à la
souffrance extrême. Les exécutions sommaires sont également
« patrimoine » de toutes les forces en dispute.
Et le conflit n’est pas encore fini, loin de là. En effet, la prise
d’Alep par les forces loyalistes représente une grande victoire pour le
régime et ses alliés. La plus grande victoire de la guerre. Mais les
combats sont loin d’être finis. Le régime ne pourra pas gouverner sur
une masse de personnes hostiles sur les territoires reconquis. Après la
victoire militaire d’Alep, on ne peut pas exclure une intensification de
la stratégie guerrière d’Assad et un « nettoyage » des populationsà
travers des assassinats et des expulsions en masse.
Dans cette situation la réponse des gouvernements de l’Union
Européenne a été de combiner l’intervention militaire directe (notamment
la France) avec une politique hostile et criminelle, des campagnes
racistes et xénophobes à l’égard des réfugiés cherchant à s’installer en
Europe pour fuir la guerre. Après une politique systématique de
fermeture des frontières, de répression et de harcèlement des réfugiés
et migrants, l’UE a passé un accord honteux avec le non moins criminel
président turc, Recep Erdogan, pour empêcher les réfugiés de gagner le
territoire européen. Et l’Allemagne de la soi-disant « accueillante »
Angela Merkel a joué un rôle central pour l’élaboration et la signature
de cet accord.
Regrettablement, le mouvement ouvrier européen n’a mené aucune action
significative pendant ces presque six ans de guerre civile pour
soutenir les travailleurs et les classes populaires en Syrie. Les
directions des syndicats de masse n’ont rien fait de significatif pour
empêcher l’application des politiques répressives et xénophobes contre
les réfugiés en Europe. Les directions syndicales se sont au contraire
alignées derrière la politique réactionnaire des gouvernements
capitalistes. Et cela alors que parmi la population existait une vraie
volonté d’aider les réfugiés, un vrai élan de solidarité démontré à
plusieurs reprises dans plusieurs pays.
Aujourd’hui, face à la presque impossibilité d’un revirement
révolutionnaire de la situation, le mouvement ouvrier européen devrait
exiger à tous ces dirigeants qui versent des larmes de crocodile sur le
sort d’Alep, un cessez-le-feu multilatéral immédiat et
l’ouverture des frontières européennes sans conditions pour accueillir
dignement tous les réfugiés qui le souhaitent sur le sol européen.
L’histoire de la guerre civile syrienne c’est l’histoire d’un
processus révolutionnaire dévié et battu en brèche. C’est sur cette base
qu’une guerre civile réactionnaire s’est développée. S’il n’y avait
qu’une leçon à tirer pour les révolutionnaires et le mouvement ouvrier
elle pourrait se résumer ainsi : les révolutionnaires ne décident ni ne
décrètent quand des processus révolutionnaires vont éclater, cependant
la clé est d’arriver le mieux préparés pour que quand de tels processus
surgissent ils ne soient pas déviés ou, pire, défaits et que le résultat
soit l’ouverture d’une situation profondément réactionnaire comme en
Syrie actuellement mais aussi en Tunisie et en Égypte.
Dans une situation mondiale où l’on se dirige vers l’accentuation des
tensions géopolitiques et, dans le cadre de la crise économique, vers
des affrontements de la lutte de classes de plus ne plus aigus, la
course de vitesse contre les forces réactionnaires est une réalité très
concrète. Le mot d’ordre « socialisme ou barbarie » est plus que jamais
d’actualité. Car face à la barbarie capitaliste, comme le démontre le
cas syrien, seule la perspective du socialisme représente une
alternative réaliste. Et dans la lutte pour cette perspective la
création de partis révolutionnaires de travailleurs et de la jeunesse au
niveau national et international est une tâche fondamentale pour tous
ceux et celles qui veulent changer ce monde radicalement, se battre pour
cette société sans exploitation, sans oppressions.
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