Philippe Alcoy
Le Brésil n’est plus synonyme de fête, plages et football. En tout
cas, en terme de politique, le pays est devenu plutôt synonyme de
« crise politique permanente », interminable. Cela s’ajoute au caractère
structurellement corrompu de la caste politicienne brésilienne. C’est
effectivement encore à cause de la corruption que, dimanche dernier, les
secteurs les plus conservateurs et réactionnaires de la société
brésilienne ont repris les rues de plusieurs grandes villes. Cortèges
plus petits mais discours toujours aussi droitiers.
La semaine dernière, les députés brésiliens ont adopté une
série de lois dites « anti-corruption » mais dont la version initiale a
été amendée. Ces amendements allaient dans le sens de limiter certaines
prérogatives du pouvoir judiciaire concernant notamment les enquêtes
anti-corruption. C’est une mesure qui cherchait clairement à protéger
les politiciens des partis dominants qui sont tous, sans exception,
embourbés dans des affaires de corruption.
Cette manœuvre des députés brésiliens répond à une dispute par en
haut où le pouvoir judiciaire veut s’attribuer de plus en plus de
pouvoirs pour interférer dans la vie politique, mais toujours dans le
sens de favoriser les intérêts et les plans des capitalistes locaux et
du capital international. Comme affirme Diana Assunção dans Esquerda Diario : « d’une
part les politiciens putschistes cherchent de la stabilité pour le
gouvernement de [Michel] Temer sur la base de l’impunité de tous les
corrompus. D’autre part, le STF [le Tribunal Suprême Fédéral] et les
membres de l’opération Lava-Jato [opération anti-corruption du pouvoir
judiciaire] veulent protéger leurs super-pouvoirs. Cependant, ils sont
tous unis pour appliquer le plan d’austérité contre les travailleurs ».
En ce sens, on peut dire que ces nouvelles manifestations de la
« droite sociale » (dans le sens de la « droite de la société », pas
forcément liée à des forces politiques de droite) sont l’expression du
soutien au « parti Judiciaire » contre l’ensemble des partis dominants, y
compris ceux de droite (PSDB, DEM). Autrement dit, un soutien au
pouvoir judiciaire qui mène depuis plusieurs mois des enquêtes
(sélectives) contre la corruption au Brésil, qui a joué un rôle central
dans le Coup d’Etat institutionnel contre Dilma Rousseff, et qui
maintenant voudrait s’arroger de nouveaux « super pouvoirs » pour
« arbitrer » la vie politique brésilienne.
Certains analystes estiment que les amendements des députés visant à
se protéger des enquêtes judiciaires sont liés aux prochaines « auto
délations » de Marcelo Odebrecht, grand patron du groupe de BTP du même
nom embourbé dans le scandale de corruption du géant du pétrole
brésilien, Petrobras. On ne connaît pas encore les noms des politiciens
qu’Odebrecht citera mais on s’attend que les révélations impliquent tous
les partis du PT de Dilma et Lula à la droite du PSDB en passant par le
parti de Temer le PMDB. Comme dit un éditorialiste dans le journal Folha de São Paulo par rapport aux déclarations d’Odebrecht : « le
‘‘Lehman Day’’ de la politique brésilienne arrive (…) Le cartel [des
entreprises du BTP] c’est le scandale de tout le monde (…) Le cartel
finançait les campagnes de tout le monde (…) Bon courage à tous, on se
voit dans la phase suivante de la crise. Cela va être laid ».
Quant aux manifestations, elles ont été visiblement moins importantes
que celles de l’année dernière où des centaines de milliers de
personnes avaient pris les rues. Par contre, les revendications
restaient très à droite, voire plus droitières encore. Des pancartes et
banderoles exigeant une « intervention militaire », des slogans
homophobes et anti-IVG étaient présents partout dans les cortèges. Les
organisations qui convoquaient se sont illustrées par leurs positions
très à droite et libérales, anti ouvrières et anti-populaires comme le
Mouvement Brésil Libre (MBL), dont le leader a été élu conseiller
municipal à São Paulo pour le parti de droite DEM.
Comme on voit, dans cette crise par en haut toutes les options
présentées sont réactionnaires et ne répondent en rien aux besoins des
travailleurs et des classes populaires : soit renforcer les pouvoir
d’une institution arbitraire et antidémocratique, dont les membres n’ont
été élus par personne et entretiennent des liens profonds avec des
cercles patronaux et impérialistes, le pouvoir judiciaire ; soit
permettre à la caste politicienne de continuer à jouir de la totale
impunité dans ses affaires de corruption.
Les centrales syndicales comme la CUT, liées au PT de Lula et Dilma,
refusent de se mettre en ordre de bataille pour résister aux attaques
contre les conditions de vie des masses. D’ailleurs, le PT a voté avec
les autres partis pour garantir l’impunité des politiciens. Cependant,
depuis plusieurs mois la jeunesse se mobilise contre les attaques du
gouvernement qui prétend geler les dépenses sociales, notamment en
éducation et santé, pendant les 20 prochaines années : des milliers de
personnes ont manifesté contre cette mesure à Brasilia la semaine
dernière. C’est celle-là, la voie à suivre.
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