1.11.16

Hongrie 1956. L’insurrection ouvrière et socialiste ébranle l’édifice totalitaire


Philippe Alcoy

« Les évènements de Hongrie sont (…) devenus pour le prolétariat international un point crucial (…). Avant tout la tragédie des journées d’Octobre à Budapest a dévoilé dans toute sa nudité le visage antipopulaire du stalinisme. Ensuite elle a révélé dans le mouvement communiste du monde entier deux tendances opposées : la tendance stalinienne, c’est-à-dire réactionnaire, et la tendance antistalinienne, communiste, c’est-à-dire celle qui peut mener à la résurrection du mouvement ouvrier ». Ces mots ont été écrits le 4 novembre 1956, jour de la seconde intervention militaire soviétique en Hongrie, par le journal polonais Po Prostu qui est devenu par la suite l’organe de l’opposition communiste antistalinienne en Pologne jusqu’à 1957.

En effet, alors que les propagandistes des capitalistes ont lié la falsification stalinienne au communisme réel et à toute idée de révolution, les secteurs les plus avancées de la jeunesse, des intellectuels, de la classe ouvrière de la région arrivaient très rapidement à des conclusions claires sur ce qui se passait vraiment dans le « bloc socialiste ». Et ce n’est pas un hasard que ce soit un journal communiste et antistalinien polonais qui arrive à ces conclusions à la lumière de l’expérience hongroise. Car l’histoire de la révolution des conseils en Hongrie est étroitement liée à la Pologne et à la contestation ouvrière et populaire dans ce pays au cours de l’année 1956.

Le précédent polonais

 
A la veille (littéralement) de l’insurrection hongroise l’agitation sociale était très forte en Pologne, attisée par l’ouverture des procès des insurgés de Poznan en septembre 1956. C’est dans ce contexte le 16 octobre, quelques jours avant le plenum du Parti Ouvrier de Pologne (POPU), qu’on annonce que son ancien secrétaire général, Wladyslaw Gomulka, emprisonné en 1949 pour « déviation nationaliste » (et libéré en 1954) allait y être invité. Il s’agissait clairement d’une tentative de la part de l’appareil du parti de calmer la situation.

Cependant, cette décision n’était pas regardée d’un bon œil par Moscou. Le 19 octobre, jour du plénum du POPU, une tentative incroyable d’intimidation se produit : une délégation russe, dont Nikita Khrouchtchev lui-même était à la tête, arrive par surprise à Varsovie pour empêcher la nomination de Gomulka à la tête du parti, et donc de l’Etat, ou en tout cas pour essayer d’imposer ses conditions.

La réponse ouvrière est immédiate. Les ouvriers se mettent en mouvement contre cette manœuvre du Kremlin, ce qui oblige les soviétiques à céder. Finalement, le 21 octobre, Gomulka est nommé premier secrétaire du POPU. Mais l’agitation dans les usines et les universités continue. C’est une défaite/compromis importante pour la direction stalinienne de l’URSS.

Hongrie : de la solidarité internationaliste à l’insurrection

 
En Hongrie la situation sociale et politique était devenue très agitée également. Les réunions du cercle Petöfi, regroupant l’intelligentsia, des étudiants et certains ouvriers, sont massives. La bureaucratie préparant une éventuelle solution « à la Gomulka » en Hongrie, réintègre secrètement le 14 octobre Nagy au PC hongrois. Les étudiants commencent à organiser des assemblées générales et votent des revendications défiant les autorités universitaires et politiques. C’est dans ce contexte que les étudiants décident de convoquer une manifestation à Budapest le 23 octobre en solidarité avec le peuple polonais contre la provocation soviétique mais aussi pour défendre leurs propres revendications.

Le pouvoir est hésitant et cela se voit. Ainsi, le jour de la manifestation, le 23 octobre, il annonce le matin son interdiction. Puis, sous la pression populaire il doit revenir sur sa décision. Cette hésitation est un encouragement pour la population. La manifestation, prévue pour le matin à 10h, commence finalement vers 15h, ce qui coïncidait avec l’horaire de sortie des usines des ouvriers. La manifestation prend un caractère ouvrier et étudiant, populaire. Elle devient plus dangereuse pour le pouvoir en place. Elle devient massive. On estime la foule à 200.000 personnes.

Le soir, Enro Gero, secrétaire général du parti, de retour de Belgrade où il se trouvait en déplacement, parle à la radio et lance un discours provocateur contre les manifestants. A cette heure là les revendications des manifestants étaient devenues entièrement politiques : retrait des troupes soviétiques, nomination d’Imre Nagy à la tête du gouvernement, un procès contre Matyas Rakosi et les dirigeants staliniens. La rage monte parmi les ouvriers et les jeunes. Mais c’est surtout après les premiers morts suite à la répression de la part de la détestée police politique, l’AVH, devant le siège de la radio que la manifestation devient insurrection. La révolution était en marche. Les ouvriers fraternisent avec l’armée hongroise envoyée les réprimer. Ils leur prennent les armes et ils vont aux casernes pour s’armer.

Fait hautement symbolique mais important. Pendant que la nouvelle des premiers morts se répand dans la ville et notamment dans les quartiers ouvriers, les travailleurs commencent à se diriger vers la radio et vers l’endroit où se trouvait une statue géante de Staline. La foule commence à déboulonner la statue. Au bout de plusieurs heures elle tombe ; il n’y restera que les bottes de Staline. Un travail de professionnels, un travail d’ouvrier. Cela deviendra un symbole de la révolution et on peut visiter jusqu’à nos jours cet endroit devenu « la place des bottes de Staline ».

La nuit du 23 au 24 octobre, le pouvoir stalinien ne pouvait pas compter sur l’armée hongroise qui fraternisait avec les manifestants ou refusait de tirer. C’est alors que Gero fait appel à l’armée soviétique pour lancer l’assaut contre l’insurrection en cours à Budapest. La résistance est acharnée, notamment de la part de la classe ouvrière. Les quartiers ouvriers sont les principaux foyers de résistance. Les soldats russes, alors qu’ils étaient censés combattre une « contre-révolution fasciste » se rendent compte qu’il s’agit en réalité de la jeunesse et de la classe ouvrière de Budapest soulevées. La majorité de ces soldats stationnait depuis des années en Hongrie et avait tissé des liens avec la population locale. Dans ces conditions, pour eux aussi la répression devient très difficile et eux aussi fraternisent avec les masses.

Le 24 octobre on annonce que Nagy a été nommé à la tête du gouvernement et que Gero quittait le poste de secrétaire général du parti, remplacé par Janos Kadar. Celui-ci était une autre figure de la dissidence au sein du parti mais deviendra par la suite tristement célèbre comme l’un des principaux acteurs de la contre-révolution. Le nouveau gouvernement, outre toutes les promesses de changement, essaye de « rétablir l’ordre » et demande aux ouvriers et aux étudiants de déposer les armes. Mais ceux-ci ne lui font pas confiance et exigent que toutes leurs revendications soient satisfaites.

Naissance des conseils ouvriers

 
Le 24 octobre aussi naissent les premiers conseils ouvriers qui se développeront dans tout le pays et joueront un rôle déterminant dès le début. Les conseils vont organiser la lutte de la classe ouvrière mais aussi la vie quotidienne, même après l’écrasement militaire de l’insurrection début novembre.

En effet, alors qu’à Budapest le gouvernement de Nagy se mettait en place et essayait de contrôler les institutions étatiques parallèlement au développement des comités ouvriers, à l’intérieur du pays la situation était bien différente. En effet, l’insurrection produit un effondrement de l’appareil d’Etat et dans plusieurs villes importantes de province les comités ouvriers assument le contrôle non seulement des usines mais organisent la vie quotidienne.

Les ouvriers élisent des délégués mandatés et révocables à tout moment. Dans les assemblées on discutait de tout : de l’organisation du travail, de la politique, de la marche de la révolution, de l’armée. On y élaborait les mandats et les revendications. Il s’agissait de l’expérience de démocratie ouvrière la plus avancée de tous les pays du « bloc socialiste ». Et après l’écrasement militaire de la révolution ils répondent en déclenchant la grève générale et la résistance face au gouvernement contre-révolutionnaire de Janos Kadar.

La première phase de la révolution se concrétisait. Le 29 octobre on annonce le départ des troupes soviétiques. Nagy est au pouvoir, Rakosi et Gero en ont été chassés, les russes commencent leur retrait du pays, les ouvriers contrôlent leurs usines. C’est la victoire. C’est « l’illusion de la victoire » en réalité. Les conseils ouvriers font confiance au gouvernement Nagy (notamment à Budapest) mais pas complètement. C’est pour cela qu’ils restent armés. Le gouvernement soviétique, qui sait que Nagy ne peut pas contrôler totalement les travailleurs, annonce son intention de négocier avec le gouvernement hongrois. Ce sera un mensonge, tout comme le retrait des troupes soviétiques.

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