Philippe Alcoy
À l’occasion du soixantième anniversaire de la Révolution des Conseils de 1956 en Hongrie, Révolution Permanente publie une série d’articles sur différents aspects de cette lutte héroïque de notre classe.
Les caractéristiques du régime stalinien hongrois sont
évidemment très liées à celles du stalinisme en Union Soviétique. Les
principaux dirigeants staliniens de Hongrie étaient directement attachés
à l’appareil de la bureaucratie soviétique. La brutalité du régime
policier hongrois fut donc un calque de celui qui existait en URSS
depuis le milieu des années 1920, avec toutefois une différence
importante. En effet, si la bureaucratie soviétique avait une légitimité
relative parmi les masses en URSS, les dirigeants staliniens hongrois
n’avaient aucune légitimité auprès des travailleurs et paysans : pendant
la guerre, à l’image de beaucoup d’autres dirigeants staliniens
européens (comme Maurice Thorez du PCF), ils ont vécu en URSS. À la
différence des militants communistes de base, ils ne se sont pas battus
contre l’occupant. Ils ne sont revenus en Hongrie qu’une fois le pays
libéré de l’occupation nazie, et leur principale mission fut de
représenter les intérêts de la bureaucratie du Kremlin sur place.
D’autant plus forte fut leur discipline à la ligne de Moscou.
Mais la « ligne de Moscou » était l’expression de la politique d’une
couche dirigeante complètement bureaucratisée. Et cette bureaucratie
était elle-même le résultat de la dégénérescence bureaucratique de
l’Union Soviétique. En effet, le retard économique, culturel et social
accumulé par la Russie tsariste par rapport aux pays capitalistes
avancés, aggravé par les années de guerre mondiale et de guerre civile,
et l’isolement du jeune État ouvrier suite à l’échec de la révolution en
Europe, avaient provoqué la dégénérescence de l’URSS.
Bien que les bases sociales de l’État ouvrier (nationalisation des
moyens de production) se soient maintenues, une couche bureaucratique
expropria politiquement le prolétariat et les masses paysannes.
L’appareil d’État contrôlé par Staline et la caste bureaucratique devint
un outil de répression et d’oppression contre la classe ouvrière ; les
soviets furent supprimés ; les syndicats vidés de leur contenu et
cantonnés au rôle de discipliner la classe ouvrière aux ordres de la
bureaucratie. La dictature policière stalinienne élimina peu à peu, par
des méthodes barbares, toute opposition révolutionnaire ; dont Léon
Trotsky, assassiné par un agent stalinien au Mexique. Cependant, cet
édifice totalitaire n’était pas sans faille. Les contradictions internes
et externes devinrent de plus en plus fortes, poussant la bureaucratie à
osciller entre des tournants brusques vers la droite et vers la gauche.
La situation était très loin d’être stable.
Or, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le rôle de l’Armée Rouge
dans la victoire contre le nazisme permis – momentanément - au
stalinisme de gagner un grand prestige parmi les masses au niveau
mondial. Ses avancées sur le plan militaire lui permirent en outre
d’établir en Europe Centrale et de l’Est toute une série de régimes dits
« socialistes », façonnés à l’image du stalinisme en Union Soviétique.
Autrement dit des États ouvriers bureaucratiquement déformés depuis leur
naissance.
En 1937, dans son texte « L’URSS dans la guerre », Trotsky, prévoyant un scénario de ce type, affirmait que « dans
les territoires qui doivent être incorporés à l’U.R.S.S., le
gouvernement de Moscou procédera à l’expropriation des grands
propriétaires et à l’étatisation des moyens de production. Cette
orientation est plus probable non parce que la bureaucratie reste fidèle
au programme socialiste, mais parce qu’elle ne veut ni ne peut partager
le pouvoir et les privilèges qui en découlent avec les anciennes
classes dirigeantes (…) Étant donné que la dictature bonapartiste de
Staline s’appuie sur la propriété d’État et non sur la propriété privée,
l’invasion de la Pologne par l’Armée rouge doit, dans ces conditions,
entraîner l’abolition de la propriété privée capitaliste, afin d’aligner
le régime des territoires occupés sur celui de l’U.R.S.S. ».
Mais ces régimes héritaient également de toutes les contradictions
sociales, politiques et économiques de l’URSS, avec cependant des
appareils étatiques moins forts et consolidés. Les risques de révoltes
et révolutions étaient potentiellement plus forts. On pouvait donc
s’attendre à ce que des mouvements révolutionnaires capables de
renverser la bureaucratie stalinienne et régénérer les États ouvriers
bureaucratiquement déformés pouvaient venir de ces pays du « bloc
socialiste ». Et la Révolution des Conseils de 1956 en Hongrie en fut la
preuve la plus claire.
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