Philippe Alcoy
Ce mardi la nouvelle a fait le tour des journaux internationaux.
Elle est spectaculaire en effet : le géant des technologies Apple doit
payer à l’Etat irlandais la somme de 13 milliards d’euros suite à des
exonérations fiscales illégales selon le droit européen. Aussi bien
Apple, le gouvernement irlandais et les Etats Unis ont dénoncé cette
décision de la Commission Européenne. Mais, que révèle cette affaire sur
la nature du capitalisme contemporain en pleine crise ?
Il s’agit de la contravention la plus importante prononcée
par l’UE contre une multinationale. La plus grande condamnation avait
été celle contre EDF qui a dû rendre 1,4 milliards d’euros à l’Etat
français pour cause d’aides illégales perçues. En effet, depuis 1991 un
accord entre l’Irlande et Apple, reconduit en 2007, a permis à cette
multinationale nord-américaine de payer moins de 1% d’impôts sur les
profits alors qu’en Irlande le taux d’imposition est de 12,5%, l’un des
plus faibles d’Europe.
L’investigation de la commission dirigée par la commissaire
européenne à la concurrence Margrethe Vestager portait sur deux filiales
d’Apple : Apple Sales International (ASI) et Apple Operations Europe.
La première de ces entreprises était structurée de telle façon que les
ventes des produits Apple, non seulement en Irlande mais aussi en
Europe, en Afrique, en Inde et au Moyen Orient étaient enregistrés à
Dublin. Ensuite, les profits étaient alloués à une société fictive
exemptée de taxes. Ainsi, selon le Financial Times,
en 2011 la société ASI a réalisé 16 milliards d’euros de profits mais
seulement 50 millions y ont été enregistrés, le reste ayant été alloué à
la société fictive. Ainsi, sur 16 milliards d’euros de profits Apple a
eu un taux d’imposition effectif de 0,05% en 2011 et en 2014 le taux est
même tombé à 0,005%. Il faudrait dire également que dans les filiales
irlandaises d’Apple sont enregistrés 90% des profits réalisés hors-Etats
Unis par l’entreprise.
Evidemment toutes ces manœuvres d’Apple étaient connues des autorités
irlandaises et étatsuniennes. L’Irlande a longtemps basé son économie
sur la baisse des impôts pour les grands groupes pour attirer les
multinationales, notamment du secteur des technologies. C’est ainsi que
non seulement Apple mais aussi Microsoft et Google parmi tant d’autres
s’y sont installés.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant d’apprendre qu’aussi bien
Apple que le gouvernement Irlandais feront appel de la décision de la
Commission Européenne.
Concurrence accrue entre multinationales européennes et étatsuniennes
Des analystes pointent le fait que cette décision de l’UE soit un
épisode de la dégradation des relations commerciales entre l’UE et les
Etats Unis. Il ne semble pas complètement un hasard que cette sanction
contre Apple tombe exactement le même jour où la France demande la fin
des négociations du TAFTA, entérinant l’échec de ce projet. Alors que
d’autres multinationales nord-américaines seraient dans le viseur de la
Commission comme Microsoft, Google, Amazon, etc. on attend encore à voir
si les Etats Unis prendront des mesures contre les multinationales
européennes, notamment dans un contexte de campagne électorale.
Cela veut-il dire que l’UE serait soudainement devenue une
institution partisane de la « justice fiscale », contre les
multinationales ? Loin de là. C’est clairement annoncé par les
responsables de la Commission Européenne : le problème n’est pas tant
qu’Apple ait reçu des cadeaux fiscaux de la part des autorités
irlandaises mais que ces « cadeaux » ne soient pas accessibles à toutes
les entreprises.
En effet, comme elle l’a démontré lors du pic de la crise
économique mondiale en 2008-2009, l’UE reste un instrument de
coordination des capitalistes, notamment des multinationales et des
grandes banques, qui en dernière instance veillera toujours à la
préservation des intérêts et des profits du patronat. En cas de danger
pour les oligarques du continent, il n’y a aucun doute que les
technocrates de Bruxelles n’hésiteront pas à encourager les
gouvernements à sauver les multinationales et les banques et à appliquer
des plans d’austérité contre les travailleurs et les classes
populaires.
Ce que l’affaire Apple révèle du capitalisme contemporain
Au-delà des intentions réelles des autorités européennes, ce que ce
scandale fiscal révèle est très significatif pour les classes
populaires. Ce sont les cadeaux des gouvernements aux grandes fortunes
et aux multinationales qui sont exposés au grand jour devant des
millions de personnes à travers le monde. Et ils ne tâchent même pas de
le cacher : le gouvernement irlandais refuse de récupérer l’argent
d’Apple et fait appel de la décision !
En effet, depuis le début de la crise économique internationale en
2008, au cours de laquelle les masses se sont vues imposer des plans
d’austérité dégradant leurs conditions de vie, on assiste à
l’accélération de la rupture de larges secteurs des classes populaires
avec le « consensus néolibéral ». Et l’une des expressions de cette
rupture c’est la remise en cause de plus en plus forte de la fiscalité
trop favorable aux grands capitalistes. Comme explique l’intellectuel
britannique Owen Jones dans The Guardian à propos d’Apple : « l’évasion
fiscale est l’une des grandes injustices de notre temps. Il y a des
coupes dans les services publics, justifiées par le manque d’argent
public, alors que des multinationales et individus méga riches trouvent
des manières pour éviter de payer les impôts (…) L’évasion fiscale
incarne un ordre social injuste où différentes règles s’appliquent
dépendant de ta richesse et ton pouvoir et où les sociétés sont
ouvertement façonnées pour favoriser les élites avides ».
Comme Apple et l’Irlande vont faire appel de la décision de la
Commission, plusieurs années pourront se passer avant que la
multinationale nord-américaine rembourse ce qu’elle doit (si un jour
elle le fait). Alors la colère populaire est complètement compréhensible
et légitime. Et elle ne tardera pas à s’exprimer.
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