Philippe Alcoy
La nouvelle du « Brexit » a secoué l’actualité en Europe et
ouvert beaucoup de débats. Aussi bien au sein des classes dominantes
qu’entre les différentes organisations se revendiquant de la gauche
radicale, de l’extrême gauche et de la classe ouvrière. C’est dans ce
contexte que des représentants d’organisations anticapitalistes
britanniques sont venus à l’université d’été du NPA pour exposer leurs
positions vis-à-vis du référendum et débattre avec des militants
anticapitalistes de France.
Ainsi Fred Leplat de Socialist Resistence, organisation qui a appelé à
voter pour le « Remain », et Joseph Choonara membre du Socialist
Workers Party qui, lui, a fait campagne pour le « Leave » ont présenté
leur point de vue lors de deux débats. L’un, consacré plus généralement à
l’UE, et l’autre plus spécifique sur le Brexit.
Dans leurs présentations, on pouvait constater plusieurs points
d’accord sur des caractéristiques de l’UE. Tous deux considèrent que
l’UE est essentiellement un outil des capitalistes européens pour mieux
exploiter les travailleurs à travers le continent et maximiser leurs
profits. Un autre point d’accord était la dénonciation du caractère
antidémocratique des institutions européennes, où les décisions
fondamentales sont prises par un petit cercle de technocrates, liés aux
grands capitalistes européens, qui n’ont été élus par personne et dont
les actions ont des conséquences pour des millions de personnes. On
pourrait évoquer également leur accord sur le fait de dire que le Brexit
exprime, de la part des classes populaires, un rejet de l’establishment
britannique.
Loin du « Lexit », un renforcement des tendances réactionnaires
Le fait que le vote en faveur du Brexit ait renforcé les tendances
racistes, nationalistes et réactionnaires en Grande-Bretagne ne faisait
pas débat non plus entre les exposants, ni parmi le public. Cependant,
le représentant du SWP a affirmé qu’il serait faux de considérer que les
17 millions de personnes qui ont voté pour le Brexit sont racistes ou
xénophobes. Il a aussi ajouté que les institutions européennes ne
constituent aucunement un « rempart contre la montée du racisme ». Au
contraire, ce sont les politiques appliquées par l’UE qui alimentent le
racisme.
Face à la remarque que le référendum et la campagne pour le Brexit a
été en grande partie une initiative qui répondait à la pression du parti
xénophobe et raciste, UKIP, et à l’aile dure de la droite britannique,
Joseph Choonara a expliqué que son parti n’a pas fait campagne pour le
référendum, mais qu’une fois que celui-ci avait été convoqué « il
fallait répondre et prendre position ». C’est ainsi que le SWP a décidé
de faire campagne pour le « Leave » (partir de l’UE) mais, à la
différence de l’extrême droite et la droite souverainiste, pour une
rupture de gauche et anticapitaliste, le« Lexit ».
Pour les partisans du « Lexit », il ne faut pas « abandonner la
contestation de l’UE aux seules forces d’extrême droite ». Ils
considèrent également qu’une rupture avec l’UE peut affaiblir les
capitalistes européens, relancer les luttes et permettre aux exploités
et opprimés de se trouver dans une meilleure position pour défendre
leurs intérêts.
Ainsi Choonara, pour démontrer cela, a affirmé que le premier
résultat du référendum a été de pousser à la démission le premier
ministre Cameron et ouvrir une crise au sein du Parti Conservateur. Le
nouveau gouvernement est plus fragile et aura plus du mal à appliquer
des mesures d’austérité.
Or, la réalité c’est que la campagne a été complètement dominée par
les discours nationalistes xénophobes et que la « campagne du Lexit »
était complètement marginale. Et il ne pouvait pas en être autrement.
Tout le cadre était gouverné par des options réactionnaires : si le
« Remain » gagnait, cela aurait été le gouvernement de Cameron qui se
serait renforcé, ce qui impliquerait la continuité des politiques
pro-capitalistes, d’austérité et racistes ; le Brexit l’a emporté et ce
sont les tendances nationalistes et xénophobes qui se renforcent, et
cela ne veut aucunement dire que les politiques pro-capitalistes et
austéritaires vont s’arrêter.
Face au Brexit, réformer l’Europe ?
De son côté, Fred Leplat de Socialist Resistence, qui a fait campagne
pour rester dans l’UE, a mis plus l’accent sur le renforcement des
tendances réactionnaires pendant la campagne et après le vote du Brexit.
Pour lui, au contraire de ce qu’affirmaient les partisans du « Lexit »,
la victoire du « Leave » n’a pas provoqué une crise profonde pour la
droite traditionnelle, étant donné que celle-ci a pu rapidement
« résoudre ses contradictions » en nommant première ministre Theresa May
et un gouvernement plus à droite dominé par des figures du « Leave ».
Cependant, cette vision comporte une certaine surévaluation de la
capacité du Parti Conservateur à résoudre ses contradictions et
divisions internes.
Aussi, il est indéniable que le Brexit a accéléré la crise au sein de
l’autre composante du bipartisme britannique, le Parti Travailliste, où
l’aile droite de ce parti s’est lancé dans une offensive contre son
actuel leader, Jeremy Corbyn. Celui-ci est accusé de ne pas avoir
défendu de façon suffisamment résolue le « Remain ».
Tout en présentant une variante de critique par la gauche de l’UE,
l’exposé de Leplat était traversé par un discours qui laissait entendre
qu’il serait possible de « réformer l’UE », de« construire une autre
Europe ». En ce sens, il n’est pas étonnant qu’il ait affirmé au cours
du débat que, dans une situation plus difficile que celle d’avant le
référendum, le seul espoir pour les travailleurs et les jeunes en
Grande-Bretagne serait… Jeremy Corbyn.
Mais sur le fait d’apporter leur soutien à Corbyn face à l’offensive
de l’aile droite du Parti Travailliste, les deux exposants étaient
d’accord, bien que le représentant du SWP ait présenté quelques nuances.
Un cadre piégé
En réalité, le cadre posé par des fractions capitalistes était un
piège pour les travailleurs et les classes populaires. Le référendum
posait les termes du débat en laissant le choix uniquement entre deux
options réactionnaires qui allaient toutes deux se retourner contre les
opprimés et exploités.
Un autre accord exprimé par les deux invités a été d’affirmer le fait
que prendre position pour le boycott ou l’abstention aurait signifié
« ne pas avoir une politique », ne pas avoir une réponse face aux
masses. Or, face à une campagne pour le « Leave », dominé par l’extrême
droite nationaliste, et une campagne pour le « Remain », qui aurait
signifié le renforcement de Cameron et l’ensemble de l’establishment,
une campagne unitaire des forces anticapitalistes et révolutionnaires
pour le boycott du référendum, dénonçant les institutions européennes
pro-capitalistes, l’austérité mais aussi le racisme et le réactionnaire
repli national proposé par l’extrême droite, aurait sans aucun doute
constitué un pas en avant pour faire avancer la conscience de
travailleurs et des classes populaires qui regardent avec sympathie les
idées anticapitalistes.
Face à l’Europe du capital, qui nous exploite et nous opprime, face à
l’Europe forteresse, responsable de la répression et de la mort de
milliers de personnes essayant de rejoindre le continent pour échapper à
la guerre ou à la misère, mais aussi face à la montée des partis et
tendances d’extrême droite, il devient urgent que la classe ouvrière
développe son propre outil politique. Un outil politique indépendant des
alternatives capitalistes et qui se batte non seulement contre les
attaques des classes dominantes mais aussi dans la perspective de
renverser ce système.
Or, ni la perspective de « réformer l’Europe » ou de « construire une
autre Europe » à travers quelques « réformes radicales », ni le mot
d’ordre du « Lexit », qui laisserait entendre qu’il serait progressiste
de rompre avec l’UE même dans le cadre du capitalisme, représentent des
options valables pour les exploités et opprimés du continent. Seul le
renversement du capitalisme dans les pays de l’UE, envisagé comme
construction des États-Unis Socialistes d’Europe, pourra offrir une
alternative réaliste et progressiste à l’Europe du capital.
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