Philippe Alcoy
Il s’agit de l’un des plus sanglants attentats qui ont frappé
l’Irak depuis l’invasion nord-américaine en 2003. Selon un bilan
provisoire, plus de 200 personnes ont perdu la vie et autant ont été
blessées. Alors que ce samedi soir la foule se rassemblait dans le
quartier de Karrada de la capitale irakienne pour prendre le repas de la
rupture du jeun du ramadan, une camionnette piégée a explosé. Cette
attaque barbare a été revendiquée immédiatement par Daesh. Alors que le
groupe islamiste connaît depuis quelques mois plusieurs revers
militaires, ce troisième attentat contre des civils en moins d’une
semaine (Istanbul, Dacca [Bangladesh] et Bagdad) marque-t-il un tournant
dans la stratégie de l’État Islamique ?
Cet attentat a lieu alors que le gouvernement irakien
venait d’annoncer, quelques jours auparavant, que ses forces militaires,
avec l’assistance de la coalition dirigée par les États-Unis, avaient
repris la ville de Fallouja à l’État Islamique. Fallouja étant l’un des
centres de fabrication de « voitures piégées » de Daesh, les autorités
irakiennes assuraient qu’après sa reprise « Bagdad [serait] définitivement plus sûr ».
L’attentat de samedi soir ébranle ainsi le gouvernement en place
depuis 2014. Dimanche, le premier ministre Haider al-Abadi, qui s’était
rendu sur le lieu de l’attaque, est reparti sous les hués, les jets de
pierres et de chaussures des habitants. La foule scandait « voleur ! ».
En effet, beaucoup d’analystes signalent la possibilité que, outre la
crise politique (re)ouverte, les masses reprennent les rues pour
protester contre la corruption du personnel politique irakien. Mais
elles pourraient aussi se mobiliser pour de meilleurs services publics
et contre la crise économique et la violence liée aux conflits internes,
conséquence de l’intervention des armées impérialistes dans le pays.
Un changement de stratégie pour Daesh ?
Il est impossible de ne pas établir de relation entre ce nouveau
carnage à Bagdad et les attentats à Dacca, où 20 personnes ont été
assassinées pas des assaillants dans un bar, et à l’aéroport d’Istanbul,
où 41 personnes ont perdu la vie (même si cette dernière attaque n’a
pas été officiellement revendiquée par Daesh).
En effet, ces attaques n’expriment pas seulement le caractère
profondément réactionnaire de Daesh. Elles semblent être une réponse aux
revers militaires que l’État Islamique a subi ces derniers temps en
Syrie et en Irak, et dont la perte de Fallouja fait partie. Il faudrait
ajouter également un « grand accord » sur la Syrie auquel les États-Unis
et la Russie seraient arrivés qui implique leur collaboration pour
combattre les groupes islamiques agissant dans le pays dont le Front Al
Nosra et Daesh. La Turquie pourrait également participer de ce tournant
militaire à la faveur d’une détente de ses relations avec la Russie.
C’est dans ce cadre que Daesh seraient en train d’adopter pour une
stratégie de type « guérilla » et d’accentuer sa politique d’attaques
contre des cibles civiles. Cependant, malgré l’objectif déclaré de faire
en sorte que « chacun se méfie de son voisin », ce tournant pourrait
commencer aussi à lui faire perdre des sympathisants dans la région,
étant donné que lors de ces attentats périssent aussi bien des civils
chiites que sunnites. D’ailleurs, selon certains analystes, l’une des
raisons de Daesh pour ne pas revendiquer d’attentats en Turquie (outre
le fait d’attiser les divisions internes avec les kurdes) serait de ne
pas éloigner les soutiens à l’État Islamique en Turquie.
Ainsi, tout semble indiquer que plus Daesh va perdre du terrain sur
l’arène militaire plus il va viser les populations non seulement dans
les pays occidentaux mais aussi, voire principalement, de la région.
Daesh poursuit des projets politiques profondément réactionnaires et
participe à la division des opprimés et des exploités dans la région. En
même temps, les bombardements occidentaux, qui créent les conditions du
chaos sur lequel Daesh se développe, ainsi que les politiques des
gouvernements serviles aux intérêts des puissances impérialistes dans la
région ne font que renforcer l’influence de Daesh. En plus de la lutte
contre notre propre impérialisme, la mobilisation des travailleurs et
des masses contre la barbarie islamiste et l’oppression impérialiste et
ses alliés locaux reste la seule option capable d’offrir des réponses de
fond aux problèmes structurels des peuples de la région.
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