Philippe Alcoy
« Pendant la campagne du référendum, j’ai déclaré que je voulais
récupérer mon pays. Maintenant, je dis que je veux récupérer ma vie ».
Voilà comment terminait son discours de démission le leader du parti
populiste d’extrême droite UKIP (Parti de l’Indépendance du Royaume
Uni), Nigel Farage. Une démission qui ouvrira également une crise au
sein du troisième parti pour qui l’on vote le plus en Grande Bretagne ?
Nigel Farage a réussi à se créer une image médiatique le
faisant passer pour un « homme lambda », politiquement incorrect et
étranger aux cercles de l’establishment. C’est ainsi qu’il a réussi à
imposer son style de « populiste de droite » et à toucher une partie de
la classe ouvrière et des secteurs populaires gagnés par les
frustrations, la peur et le racisme. Cependant, Farage en réalité est un
milliardaire qui a fait fortune en tant que trader et véhicule une
idéologie profondément anti ouvrière, libérale et xénophobe.
Sa démission, après sa victoire au référendum, est une surprise et
ajoute un nouvel élément d’incertitude dans le paysage post-Brexit.
Une « fièvre démissionnaire » ?
En effet, depuis la victoire du Brexit la vie politique britannique
semble mue par le rythme des démissions. D’abord celle annoncée par le
premier ministre David Cameron, qui avait défendu le camp du « Remain »,
le lendemain du résultat du référendum. Cela a ouvert de fait une lutte
interne pour la succession à la tête du Parti Conservateur.
Ensuite, toujours dans le camp du « Remain », la « patte gauche » du
bipartisme britannique, le Labour Party, a été aussi secoué par les
divisions. Cette fois ce n’est pas une démission qui a eu lieu mais une
sorte de « destitution » ou « coup interne » : la fraction parlementaire
du parti a voté largement une motion de censure à l’encontre de Jeremy
Corbyn car il n’aurait pas suffisamment défendu le camp favorable à
rester dans l’UE, et lui demande de démissionner. Celui-ci refuse de se
soumettre à cette décision, s’appuyant sur le soutien de la base du
parti. Le risque de scission du Labour est de plus en plus concret
actuellement.
Mais dans le camp du « Brexit », il y a également eu des
désistements. En effet, au sein du parti conservateur, l’excentrique et
populiste ex-maire de Londres, Boris Johnson, fervent défenseur du
Brexit, a décidé de ne pas briguer la direction des « Tories » et donc
de renoncer à occuper le poste de premier ministre.
Des possibilités ou des luttes internes pour l’UKIP ?
C’est donc dans ce contexte qu’intervient la démission de Nigel
Farage. Une démission qui semble d’autant plus surprenante que le parti
populiste de droite se trouve dans une situation favorable pour tirer
profit de la crise et divisions des partis centraux du régime. En ce
sens, le Financial Times commente : « [la décision de Farage] signifie
que l’UKIP doit chercher à capitaliser sa victoire dans le référendum
sans le leader qui l’a pratiquement à lui tout seul transformé dans le
troisième parti le plus voté au Royaume-Uni ». Le journal de la City
fait l’hypothèse que cela « pourrait aussi permettre de mettre en place
une nouvelle stratégie électorale, centrée sur les régions ouvrières
dominées par le Labour dans le nord et dans le Pays de Galles ».
L’un des candidats à la succession de Farage, Paul Nuttall, a
également fait des déclarations en ce senségalement mais il élargit les
possibilités d’attraction de l’UKIP sur une partie de la base électorale
des conservateurs : « Vous avez un Labour qui ne représente plus la
classe ouvrière comme il le faisait avant – et nous pouvons avancer sur
ce territoire. Également, si les Conservateurs élisent quelqu’un à leur
tête qui n’est pas pour le Brexit et commence à reculer dans les
négociations nous pourrions aussi chasser sur leur terrain ».
Mais la démission du milliardaire Farage peut aussi ouvrir une guerre
de succession au sein du parti xénophobe britannique. En effet, comme
signale également le Financial Times : « le parti a connu des luttes
[internes] entre ceux qui se focalisent sur l’immigration et s’opposent
au Traité Transatlantique avec les Etats Unis et ceux (…) qui adoptent
une posture plus libérale et de libre marché ».
Le vote du Brexit a ouvert une crise politique en Grande-Bretagne.
Les classes dominantes n’ont pas encore un plan concret pour savoir
comment elles vont gérer le Brexit. Même l’extrême droite et les
différentes tendances populistes qui pourraient essayer d’en tirer
profit semblent désorientées. Ce qui est clair en tout cas c’est que,
malgré leurs discours démagogues, chacune de ces diverses options
capitalistes (qu’elles soient originellement pour le Brexit ou pour le
Remain) prépare des attaques pour les conditions de vie des travailleurs
et les classes populaires.
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