Philippe Alcoy
Actualisation le 22 juin à 10h : Ce mercredi matin, la préfecture
de police de Paris a confirmé l’interdiction de manifester contre la loi
travail ce jeudi. C’est la première fois sous la 5e République, depuis
la guerre d’Algérie et le massacre de Charonne le 8 février 1962, qu’une
manifestation intersyndicale est interdite par le gouvernement.
A l’heure où nous écrivons, rien n’est encore décidé par rapport à la
manifestation parisienne du 23 juin contre la Loi Travail. La
préfecture (le gouvernement) campe sur sa position de demander aux
organisations syndicales un rassemblement statique à Nation ;
l’intersyndicale persiste à vouloir organiser une manifestation, même si
elle a proposé plusieurs parcours alternatifs. Mais ce qui est en jeu,
dans le fond, ce n’est pas simplement cette manifestation ponctuelle
mais la résistance face à un coup de force du gouvernement contre la
jeunesse et le mouvement ouvrier pour faire passer sa loi pro-patronat.
Aux arguments sur le « risque » de débordements et pour la sécurité
des personnes et des biens pour interdire la manifestation s’est ajouté
maintenant l’argument de la « fatigue » des policiers. Ainsi les
déclarations du premier ministre Bernard Cazeneuve affirmant que « les policiers sont fatigués et ont besoin de retrouver des forces »
ont été rejointes par celles du syndicat de police Alliance. Expliquant
la « fatigue » des officiers de police, celui-ci va même plus loin,
allant jusqu’à exiger « le report de cette manifestation, comme d’ailleurs de tout rassemblement statique » et cela jusqu’à ce que « les forces de l’ordre ne seront plus utilisées sur tous les fronts » (lutte contre le terrorisme, sécurité de l’Euro, répression contre les migrants,répression contre les manifestants).
Dans le camp de ceux qui s’opposent à l’interdiction il y a eu
quelques « surprises » également. Par exemple Laurent Berger, leader de
la CFDT et favorable à la contre-réforme gouvernementale, déclare avoir
deux raisons pour s’opposer à l’interdiction de manifester : « La
première, qui est la raison de fond, qui tient à ma conviction, c’est
qu’il faut donner la possibilité à chacun de manifester dans de bonnes
conditions, à condition évidemment qu’en termes de sécurité, ce soit
tenable » ; puis « La deuxième raison c’est que je n’ai pas tellement envie qu’on victimise la CGT ».
Et que dire alors des déclarations de Nicolas Sarkozy(ni plus ni moins) : « [Il] n’est pas raisonnable qu’un gouvernement républicain décide d’interdire [les manifestations] ».
Ces propos de Sarkozy, qui cherche à tout prix à se démarquer du
gouvernement actuel, ont pris à contre-pied les membres de son propre
parti qui avaient déclaré lundi que le gouvernement devait interdire la
manifestation contre la Loi El Khomri.
Se mobiliser massivement ce jeudi
Sans aucun doute, les calculs politiciens de Sarkozy et de l’appareil
de la CFDT, qui se trouvent pleinement dans le camp du gouvernement,
répondent au fait qu’ils ont compris que la manœuvre du gouvernement
était en dehors du rapport de forces réel.
Pour la jeunesse et le mouvement ouvrier il est central de se
mobiliser massivement ce jeudi, avec ou sans autorisation de la
préfecture de Paris. Il s’agit d’une grave attaque contre les droits
démocratiques fondamentaux de la part d’un gouvernement qui cherche à
mettre fin au plus vite à la mobilisation contre la Loi Travail mais
aussi à réaffirmer l’autorité de l’Etat.
En effet, alors que la cote de popularité du président et du premier
ministre ne fait que baisser ; que pendant plus de trois mois, en plein
état d’urgence, des centaines de milliers de jeunes et des travailleurs
se sont mobilisés, ont fait grève, bloqué des dépôts pétrolier, des
ports, des routes, des incinérateurs, ont occupé des places, entre
autres, il est impératif pour le patronat et le gouvernement de
« montrer qui commande ». Le gouvernement pensait qu’interdire la
manifestation parisienne du 23 était un bon moyen. Or, cela apparaît
aujourd’hui comme une manœuvre très risquée. Interdire une manifestation
appelée par l’un des premiers syndicats de France est une mesure qui
n’avait été prise que pendant la guerre d’Algérie.
Mais cela est dangereux pour le gouvernement aussi parce qu’il est de
plus en plus décrédibilisé dans un contexte où 70% des personnes en
France continuent à s’opposer à ce projet et que 60% comprennent les
manifestants (une pétition lancée contre l’interdiction de manifester a déjà recueilli plus de 130.000 signatures).
Ce qui est en jeu actuellement, aussi bien pour le patronat et le
gouvernement que pour la jeunesse et le mouvement ouvrier, va bien
au-delà de la Loi El Khomri et de la manifestation du 23. Il en va de
savoir si les travailleurs, les travailleuses et la jeunesse vont
permettre que ce gouvernement antipopulaire pose un précédent en
interdisant une manifestation syndicale. Il faut répondre très
clairement et dire « NON » ! Et la meilleure façon de le faire c’est en
descendant massivement dans la rue ! L’obligation d’obtenir une
autorisation pour manifester a été imposée en 1935 par un gouvernement
autoritaire et antipopulaire pour entraver le développement des
mobilisations ouvrières face à la crise économique et à la montée de
l’extrême droite. A nous d’imposer une nouvelle tradition de liberté
absolue de manifester sans avoir à demander à nos exploiteurs la
permission de défendre nos droits !
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