24.6.16

La manif du 23 à Paris : une provocation plutôt qu’une « victoire pour la démocratie ». Et maintenant ?


Philippe Alcoy

Toute la presse a pointé la reculade de Valls et du gouvernement concernant son intention d’interdire la manifestation du 23 juin. Après avoir obtenu la levée de l’interdiction pour obtenir un semblant de manifestation Bastille-Bastille, les syndicats n’ont évidemment pas hésité à crier victoire face au coup bonapartiste du gouvernement et à son offensive sur le droit à manifester en dehors du rapport de forces. Or, Hollande et Valls ont réussi à « limiter la casse » et cela en grande partie grâce à l’attitude des directions syndicales.

En effet, il est indéniable que le mouvement ouvrier a réussi à faire reculer le gouvernement, notamment Valls, qui voulait restaurer son autorité, l’autorité de l’Etat, face à la rue en tentant de mettre fin de manière brutale au mouvement. Si le gouvernement avait réussi il aurait aussi posé un précédent très grave pour les classes populaires : la possibilité d’interdire une manifestation syndicale en plein conflit social. Sachant que la droite, en cas de victoire en 2017, promet d’appliquer des mesures encore plus dures que le gouvernement actuel, et que le PS n’entend pas faire moins, cela aurait été un coup important pour les travailleurs et la jeunesse.

Mais même si ce scénario le plus défavorable pour les exploités et opprimés a été évité, la « solution » alternative proposée par le gouvernement n’était qu’une provocation, une tentative d’humilier tous ceux et celles qui se mobilisent depuis presque quatre mois contre une loi de régression sociale. Non seulement le « parcours » était ridicule mais en plus le dispositif policier a été impressionnant avec plus de 2.000 policiers déployés, le quartier bouclé, les manifestants fouillés jusqu’à trois fois avant de rejoindre la manifestation.

Mais ce cadre incroyable imposé par le gouvernement a été accepté par les directions syndicales. Et cela alors que la large indignation et révolte provoquées par l’interdiction initiale de la manifestation du 23 au sein de la population donnait un rapport de forces suffisant aux syndicats pour imposer un vrai parcours. Encore une fois les directions syndicales ont préféré se montrer conciliantes face au gouvernement alors que celui-ci essaye par tous les moyens d’écraser le mouvement ouvrier et de même mettre à l’écart les syndicats dits « contestataires » (comme la CGT) à la faveur des plus « collaborationnistes » comme la CFDT.

Cette attitude notamment des directions de la CGT et FO se place dans la continuité de leur tournant opéré pour la « négociation » d’amendements en exerçant une pression sur le gouvernement, plutôt que de se battre pour le retrait total pour lui imposer une défaite.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les déclarations des leaders syndicaux demandant que le gouvernement accepte de négocier. Ainsi, Jean-Claude Mailly de FO déclarait concernant Valls : « S’il acceptait de discuter des points clefs [et n’était] pas raide comme il l’est depuis plusieurs semaines, ce conflit serait terminé depuis longtemps ». De son côté Philippe Martinez demande à Hollande de « reprendre les affaires en main » (face à des soi-disant dérives de Valls) et de rencontrer les syndicats.

Les dizaines de milliers de personnes qui se sont mobilisées malgré les provocations du gouvernement et de la police démontrent que les travailleurs et les jeunes ne vont pas accepter aussi facilement une attaque brutale contre leurs droits démocratiques les plus élémentaires. Aussi, que l’opposition à la Loi Travail continue à être massive. Mais la « manifestation » parisienne du 23 juin a laissé également un goût amer pour beaucoup de manifestants. Car c’était une imposture, car le cadre était complètement dominé par une opération policière et antidémocratique du gouvernement.

La prochaine échéance de mobilisation est le 28 juin. Dans un contexte où il n’y a plus de grèves puissantes, où l’été approche, il est probable que les directions syndicales parient tout sur une perspective de négociation parlementaire une fois que la loi sera renvoyée du sénat au parlement.

Hollande a déjà dit qu’il ira jusqu’au bout de cette réforme. Et rien ne semble indiquer qu’il pourrait faire des concessions fondamentales aux syndicats. Or, on ne peut pas exclure des modifications cosmétiques sur certains points non centraux de la loi notamment pour rallier les « frondeurs » et ne pas réutiliser le 49.3 au parlement. Mais ne serait-ce aussi un moyen de permettre aux directions syndicales de dire que les mobilisations ont réussi à obtenir des « avancées » ?

Mais même si ce scénario se confirmait, les travailleurs et la jeunesse, qui ont fait preuve d’une combativité impressionnante ces derniers mois, défiant la répression policière pourraient ne pas se résigner à cette perspective. Chez certains militants syndicaux combatifs, il commence à émerger l’idée que si, plutôt que des journées de mobilisation à saute-mouton, les confédérations syndicales avaient appelé tous les secteurs à converger en grève reconductible au même moment, le gouvernement aurait sans doute été forcé à reculer. Si l’expérience des derniers mois pouvait conduire les travailleurs et la jeunesse à chercher à se coordonner pour taper tous ensemble sur le même clou au même moment, l’automne pourrait s’avérer chaud sur le terrain de la lutte des classes. Car même si la loi est adoptée il faudra ensuite l’appliquer et cela sans oublier tous les procès qui se tiendront contre les militants du mouvement mais aussi ceux très emblématiques des travailleurs d’Air France et de Goodyear Amiens.

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