Philippe Alcoy
Toute la presse a pointé la reculade de Valls et du gouvernement
concernant son intention d’interdire la manifestation du 23 juin. Après
avoir obtenu la levée de l’interdiction pour obtenir un semblant de
manifestation Bastille-Bastille, les syndicats n’ont évidemment pas
hésité à crier victoire face au coup bonapartiste du gouvernement et à
son offensive sur le droit à manifester en dehors du rapport de forces.
Or, Hollande et Valls ont réussi à « limiter la casse » et cela en
grande partie grâce à l’attitude des directions syndicales.
En effet, il est indéniable que le mouvement ouvrier a réussi à faire
reculer le gouvernement, notamment Valls, qui voulait restaurer son
autorité, l’autorité de l’Etat, face à la rue en tentant de mettre fin
de manière brutale au mouvement. Si le gouvernement avait réussi il
aurait aussi posé un précédent très grave pour les classes populaires :
la possibilité d’interdire une manifestation syndicale en plein conflit
social. Sachant que la droite, en cas de victoire en 2017, promet
d’appliquer des mesures encore plus dures que le gouvernement actuel, et
que le PS n’entend pas faire moins, cela aurait été un coup important
pour les travailleurs et la jeunesse.
Mais même si ce scénario le plus défavorable pour les exploités et
opprimés a été évité, la « solution » alternative proposée par le
gouvernement n’était qu’une provocation, une tentative d’humilier tous
ceux et celles qui se mobilisent depuis presque quatre mois contre une
loi de régression sociale. Non seulement le « parcours » était ridicule
mais en plus le dispositif policier a été impressionnant avec plus de
2.000 policiers déployés, le quartier bouclé, les manifestants fouillés
jusqu’à trois fois avant de rejoindre la manifestation.
Mais ce cadre incroyable imposé par le gouvernement a été accepté par
les directions syndicales. Et cela alors que la large indignation et
révolte provoquées par l’interdiction initiale de la manifestation du 23
au sein de la population donnait un rapport de forces suffisant aux
syndicats pour imposer un vrai parcours. Encore une fois les directions
syndicales ont préféré se montrer conciliantes face au gouvernement
alors que celui-ci essaye par tous les moyens d’écraser le mouvement
ouvrier et de même mettre à l’écart les syndicats dits
« contestataires » (comme la CGT) à la faveur des plus
« collaborationnistes » comme la CFDT.
Cette attitude notamment des directions de la CGT et FO se place dans
la continuité de leur tournant opéré pour la « négociation »
d’amendements en exerçant une pression sur le gouvernement, plutôt que
de se battre pour le retrait total pour lui imposer une défaite.
C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les déclarations des
leaders syndicaux demandant que le gouvernement accepte de négocier.
Ainsi, Jean-Claude Mailly de FO déclarait concernant Valls : « S’il
acceptait de discuter des points clefs [et n’était] pas raide comme il
l’est depuis plusieurs semaines, ce conflit serait terminé depuis
longtemps ». De son côté Philippe Martinez demande à Hollande de « reprendre les affaires en main » (face à des soi-disant dérives de Valls) et de rencontrer les syndicats.
Les dizaines de milliers de personnes qui se sont mobilisées malgré
les provocations du gouvernement et de la police démontrent que les
travailleurs et les jeunes ne vont pas accepter aussi facilement une
attaque brutale contre leurs droits démocratiques les plus élémentaires.
Aussi, que l’opposition à la Loi Travail continue à être massive. Mais
la « manifestation » parisienne du 23 juin a laissé également un goût
amer pour beaucoup de manifestants. Car c’était une imposture, car le
cadre était complètement dominé par une opération policière et
antidémocratique du gouvernement.
La prochaine échéance de mobilisation est le 28 juin. Dans un
contexte où il n’y a plus de grèves puissantes, où l’été approche, il
est probable que les directions syndicales parient tout sur une
perspective de négociation parlementaire une fois que la loi sera
renvoyée du sénat au parlement.
Hollande a déjà dit qu’il ira jusqu’au bout de cette réforme. Et rien
ne semble indiquer qu’il pourrait faire des concessions fondamentales
aux syndicats. Or, on ne peut pas exclure des modifications cosmétiques
sur certains points non centraux de la loi notamment pour rallier les
« frondeurs » et ne pas réutiliser le 49.3 au parlement. Mais ne
serait-ce aussi un moyen de permettre aux directions syndicales de dire
que les mobilisations ont réussi à obtenir des « avancées » ?
Mais même si ce scénario se confirmait, les travailleurs et la
jeunesse, qui ont fait preuve d’une combativité impressionnante ces
derniers mois, défiant la répression policière pourraient ne pas se
résigner à cette perspective. Chez certains militants syndicaux
combatifs, il commence à émerger l’idée que si, plutôt que des journées
de mobilisation à saute-mouton, les confédérations syndicales avaient
appelé tous les secteurs à converger en grève reconductible au même
moment, le gouvernement aurait sans doute été forcé à reculer. Si
l’expérience des derniers mois pouvait conduire les travailleurs et la
jeunesse à chercher à se coordonner pour taper tous ensemble sur le même
clou au même moment, l’automne pourrait s’avérer chaud sur le terrain
de la lutte des classes. Car même si la loi est adoptée il faudra
ensuite l’appliquer et cela sans oublier tous les procès qui se
tiendront contre les militants du mouvement mais aussi ceux très
emblématiques des travailleurs d’Air France et de Goodyear Amiens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire