Philippe Alcoy
« Ce ne sera pas sur la base du volontariat », prévient l’ex
président Nicolas Sarkozy aux militants des Républicains (ex UMP) venus
l’écouter ce mercredi 6 avril. Il est en effet venu leur faire part d’un
grand projet, innovateur, audacieux, pour l’Education Nationale : en
cas d’alternance en 2017, il faudra instaurer le Service Militaire
Adapté pour les jeunes décrocheurs. Idée de génie. « Ça va faire parler »,
martèle-t-il. Les élections présidentielles arrivant à grands pas, et
la lutte pour l’investiture à droite étant très serrée, c’est bien cela
qu’il cherche.
Le projet est simple, « à partir de l’âge de 18 ans,
toute personne qui n’aura pas son bac, qui ne sera pas en apprentissage,
pas en formation, pas en stage » devra être envoyée en Service Militaire Adapté afin de « réapprendre les règles de la vie en commun ». Ni plus ni moins.
Ainsi, on comprend que si en France le chômage des jeunes est de 25%,
ce n’est pas un problème structurel d’un système qui exclu toute une
partie de la jeunesse de son « droit de se faire exploiter » mais bien
un manque de compréhension des « règles de la vie en commun » de la part
de la jeunesse.
En effet, Sarkozy cherche avec ces déclarations à attirer les
secteurs les plus réactionnaires de l’électorat et une partie de ceux
qui sont aujourd’hui attirés par le FN. Face à un Alain Juppé, son
principal rival à droite, qui fait figure de trop « mou » sur ces
questions, Sarkozy veut être le candidat de « l’ordre fort » ; celui qui
mettra au pas cette jeunesse désœuvrée, la « racaille » dont il voulait
se « débarrasser » en 2005 lors des révoltes des banlieues.
Mais ces déclarations relèvent également d’un cynisme profond. En
effet, prétendre qu’une institution comme l’armée impérialiste française
va « réapprendre les règles de la vie en commun » à qui que ce soit est
une provocation. Notamment quand on connait son passé de tortures, de
brutalités et de colonialisme ; c’est une provocation quand on connait
toutes les scandales d’abus sexuels contre des mineurs qui pèsent
actuellement sur les soldats français dans tous les terrains où ils
interviennent.
Légitimer les forces répressives
Sarkozy fait ces propositions dans un contexte particulier,
post-attentats, et de montée du racisme, notamment de l’islamophobie, en
France et en Europe. En ce sens, il s’agit pour lui d’essayer de surfer
sur cette vague nauséabonde.
Mais son discours est aussi marqué par une volonté de légitimer les
institutions répressives, en l’occurrence l’armée. Et cela au moment
même où le gouvernement Hollande-Valls réprime de plus en plus fort le
mouvement de la jeunesse contre la Loi El Khomri. Ce n’est pas un
hasard. Aussi bien Sarkozy que tous les autres candidats du régime
savent que le patronat français aura besoin de continuer à appliquer des
attaques contre les travailleurs et les secteurs populaires. En ce
sens, ils auront besoin d’avoir des forces répressives jouissant d’une
certaine légitimité pour briser éventuellement les résistances.
Un projet héritier de la tradition colonialiste
Cependant cette proposition sarkozyste n’est pas une nouveauté. Il
s’agirait d’étendre à la métropole une mesure qui existe dans les
colonies françaises d’outre-mer depuis les années 1960, seule
différence : là-bas c’est volontaire.
En effet, comme l’affirme l’historienne Marie-Céline Whannou dans un article du Monde, le Service Militaire Adapté est un « projet politique de défense nationale », « une
réponse directe aux émeutes de Fort-de-France [Martinique] de décembre
1959, dans un contexte de tensions sociales dans les grands centres
urbains des Antilles-Guyane : explosion urbaine et anarchique, chômage
élevé, population très jeune, infrastructures publiques non adaptées ». Dans la tête des responsables militaires qui l’ont élaboré à l’époque il s’agissait d’un projet pour « encadrer
les jeunes, leur dispenser une formation professionnelle répondant aux
besoins économiques locaux tout en leur donnant des instructions
militaires adaptées à leur environnement ».
Comme on voit, l’objectif de ce dispositif est loin d’être celui de
répondre à des problèmes structurels de l’éducation nationale ou encore
moins à ceux liés au chômage et à la précarité des jeunes. Le Service
Militaire Adapté cherche avant tout à contrôler, réprimer et éviter les
révoltes des populations exploitées et opprimées.
Mais Sarkozy n’est pas le premier à avoir eu cette idée merveilleuse.
Hollande s’est lui aussi inspiré du Service Militaire Adapté pour
mettre en place son Service Militaire Volontaire l’été dernier. Dans le
contexte actuel, où l’on a connu en France récemment des attentats
terroristes menés principalement par des jeunes français affiliés à
Daesh, ces discours sont en effet fonctionnels à renforcer les amalgames
et la répression contre les musulmans et les étrangers issus des
ex-colonies, notamment ceux habitant dans les quartiers populaires du
pays. Encore un exemple du caractère profondément réactionnaire du
personnel politique de l’impérialisme français.
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