Philippe Alcoy
« Dehors le PT », criaient les dirigeants du PMDB (Parti du
Mouvement Démocratique Brésilien) à l’issu de leur réunion, qui n’a duré
que trois minutes, où ils ont formalisé la rupture de leur parti avec
le gouvernement de Dilma. « Brésil en avant, Temer président ! »,
scandaient ils également, en exprimant leur souhait de voir l’actuel
vice-président et membre du PMBD occuper bientôt le poste suprême du
pouvoir exécutif. Ainsi, la rupture est consommée et le PT perd son
principal allié au pouvoir. Echec et mate pour Dilma ? Répondre
affirmativement ce serait trop s’aventurer.
En effet, le PT et le gouvernement de Dilma est en train de payer
pour sa propre politique : pour essayer d’échapper à l’ouverture du
processus d’impeachment ou au moins pour s’assurer des alliés le PT
avait décidé de renforcer la position du PMDB dans la coalition au pouvoir
en lui offrant de nouveaux postes ministériels. Aujourd’hui la rupture
de celui-ci avec Dilma n’est que plus ressentie et ne fait
qu’approfondir la crise gouvernementale qui devient de plus en plus une
crise du régime politique.
Le PMDB est l’un des partis les plus corrompus et opportunistes du
régime politique brésilien. Dans la crise actuelle, ce parti cherchera
sans doute à se présenter comme force de « transition » pour les
capitalistes brésiliens et leurs partenaires impérialistes face à la
profonde crise du régime. On pourrait aussi attribuer en partie leur
tour de force contre le PT à la peur de voir ses membres encore plus
touchés par les affaires de corruption qui commencent à entacher tous
les partis du régime.
Différents scénarios se profilent
Cette rupture était annoncée. Et les tractations et manœuvres avaient
déjà commencé. Lula en personne est en train de négocier le soutien de
membres du PMDB au gouvernement malgré la rupture du parti. « Il va arriver la même chose qu’en 2003, on va avoir une coalition sans l’accord de la direction [du PMDB] », estime Lula.
Il existe un risque que le départ du PMDB pousse d’autres partenaires
du PT à abandonner l’alliance avec le PT dans le parlement, notamment
les partis dits du « grand centre ». Pour contrebalancer cette tendance
le PT compte très probablement réutiliser la même politique de
négociations en échange de postes ministériels qu’il a employée avec le
PMDB. Comme le journal brésilien Folha de São Pauloaffirme dans un édito titré « Attraction irrésistible » : « [le
gouvernement] utilisera contre le PMDB les postes qu’il laissera libres
[en rompant avec le gouvernement]. Ce seraient presque 500 postes mis à
disposition pour des négociations futures avec le gouvernement du PT –
dans le cas où celui-ci survive à l’impeachment évidemment ».
En effet, la perspective de l’impeachment a perdu relativement de sa
force ces derniers jours. Pour le gouvernement il suffit que 172 députés
sur 513 que compte le parlement votent contre la procédure de procès
politique contre la présidente à la mi-avril pour qu’il reste lettre
morte. Même après la rupture du PMDB il est difficile de prédire le
succès de l’impeachment. Et une fois ouverte la procédure d’impeachment,
cela ne veut pas dire que celui-ci aboutirait, les accusations contre
Dilma étant faibles d’un point de vue légal pour justifier sa
destitution. C’est pour cela d’ailleurs que l’Ordre des Avocats du
Brésil a rédigé une autre demande d’impeachment ajoutant d’autres
éléments à ceux déjà imputés à Dilma.
Ainsi, bien que la perspective de l’impeachment reste d’actualité
d’autres alternatives se développent aussi. D’une part il y a celle
tendant à ériger de plus en plus le pouvoir Judiciaire comme arbitre de
la situation, en lui donnant un pouvoir bonapartiste au-dessus des
partis. Cela se matérialiserait par la continuation et
l’approfondissement de l’opération de « lutte contre la corruption »
(« Lava Jato »). Cependant le risque pour le régime c’est qu’une telle
opération pourrait non seulement toucher le PT mais l’ensemble des
partis en aggravant la crise.
Comme affirme Leandro Lanfredi du journal d’extrême gauche brésilien, partenaire de Révolution Permanente, Esquerda Diario : « l’autre
extrême c’est la tendance à la modération, c’est-à-dire à accepter que
Lula assume en tant que ministre ou conseiller et que l’opposition et
les secteurs bourgeois reprennent la tactique de « saignement » du PT et
de pression pour qu’il applique plus de réformes austéritaires, une
orientation que Lula a déjà annoncé qu’il appliquerait ». En ce sens
va la décision du procureur général Rodrigo Janot qui s’est prononcé
pour l’acceptation de l’intégration de Lula au gouvernement, tout en
affirmant que les investigations pour corruption devraient continuer.
Le patronat indécis face à la crise politique
Il n’y aucun doute que le patronat brésilien a besoin d’appliquer des
attaques profondes contre les travailleurs et les classes populaires.
Le pays se trouve dans sa crise économique la plus profonde depuis 25
ans. Depuis l’éclatement des affaires de corruption impliquant des
membres haut placés du PT, les classes dominantes brésiliennes et ses
alliés impérialistes avaient parié sur la stabilité du gouvernement du
PT donnant la priorité à la mise en place de l’austérité et aux
réformes.
Or, le gouvernement n’a fait que perdre de la légitimité et
popularité. Certains secteurs puissants du patronat ont considéré que le
moment était arrivé de substituer le PT. Les prévisions des
manifestations des secteurs bourgeois et des classes moyennes aisées du
13 mars dernier les confortaient dans cette opinion. Mais la
mobilisation n’a pas était aussi importante qu’annoncé et surtout les
principales figures de l’opposition de droite (PSDB) se sont fait
expulser des manifestations.
Le patronat s’est rapidement rendu compte qu’il avait un grand
problème de rechange du personnel politique. Le PMDB a en ce sens lancé
un appel à la constitution d’un gouvernement de « salut national » face à
une éventuelle chute du gouvernement de Dilma mais les principaux
dirigeants de la droite l’ont refusé. Ainsi, pour reprendre les mots de
Leandro Lanfredi : « pour les élites, une des difficultés du mot
d’ordre ‘que Dilma s’en aille’ se trouve moins dans l’unification des
forces pour cette option que dans la question de quelle figure mettre à
sa place ».
Une tentative de coup d’Etat institutionnel
Aussi bien la procédure d’impeachment que les appels à démission et à
élections anticipées de la part de la droite (et que certains de la
gauche radicale et l’extrême gauche soutiennent) sont une tentative de
renverser à travers des manœuvres institutionnelles le gouvernement du
PT et Dilma pour le remplacer par un autre qui soit suffisamment
légitime pour mettre en place les mesures d’austérité exigés par le
patronat local et le capital international.
Les gouvernements de Lula et de Dilma ont démontré tout au long de
ces 13 ans au pouvoir qu’ils savaient servir les intérêts des
capitalistes, tout en contenant les luttes et mobilisations des classes
populaires. En tout cas, jusqu’à juin 2013 et la grande mobilisation de
la jeunesse. Aujourd’hui ce même PT au pouvoir n’est plus capable de
présenter de telles garanties et une partie importante du patronat pense
qu’il faut de façon urgente installer un nouveau gouvernement, plus
légitime.
C’est pour cela que ces secteurs, suite à l’échec de la politique de
préserver la stabilité politique, maintenant décident de changer les
règles du jeu. C’est ainsi que le pouvoir Judiciaire, complètement lié
au grand patronat et à l’impérialisme, a pris de plus en plus de
relevance dans le pays et essaye d’imposer à travers des manœuvres
institutionnelles un changement de gouvernement en faveur des intérêts
des classes dominantes.
Les travailleurs et les classes populaires se trouvent donc dans une
situation où on veut leur faire choisir entre deux options
capitalistes : soit soutenir le gouvernement de Dilma qui est en train
d’appliquer des réformes antipopulaires ; soit soutenir les alternatives
de l’opposition de droite.
Dans ce contexte, le surgissement d’un troisième pôle, indépendant
des options capitalistes, représentant les intérêts des exploités et des
opprimés est entravé principalement par la politique des directions
syndicales liées au gouvernement. Cette orientation laisse le terrain
libre à la droite pour se renforcer et progresser. Le surgissement de ce
troisième pôle, de classe, ne peut surgir qu’en combattant
l’impeachment sans soutenir le gouvernement austéritaire de Dilma, comme
le défend le Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs du Brésil.
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