Philippe Alcoy
Le 10 avril dernier le premier ministre ukrainien, Arseni
Iatseniouk, annonçait sa démission et prenait tout le monde par
surprise, même si le gouvernement se trouve dans une profonde crise
politique depuis plusieurs mois déjà. Cette situation ouvre beaucoup
d’interrogations quant au futur du pays et sur les conséquences
politiques et économiques internes et externes.
Cependant, bien qu’Arseni Iatseniouk ait présenté sa
démission, son parti, le Front Populaire (devenu très impopulaire) n’a
pas rompu pour autant son alliance gouvernementale avec le bloc
parlementaire du président, l’oligarque Petro Porochenko. La question
qui se pose néanmoins c’est si la coalition réussira à former un nouveau
gouvernement qui amène un semblant de stabilité et ainsi échapper à des
élections anticipées qui pourraient être fatales pour la coalition au
pouvoir.
En effet, c’est un proche fidèle de Porochenko, Volodymyr Hroïsman,
ancien maire de la ville de Vinnitsa où l’actuel président a fait
fortune, qui est chargé de remplacer Iatseniouk et de former un nouveau
gouvernement. Pour ce faire Hroïsman devra compter sur les voix non
seulement des partis de la coalition mais aussi sur celles d’au moins
l’une des formations minoritaires, comme celle de l’ancienne première
ministre Ioulia Timochenko. Une autre option serait de convaincre des
députés « indépendants » de soutenir le nouveau gouvernement, ce qui
comporte cependant un risque élevé d’instabilité politique dans le futur
proche.
Le FMI ainsi que les « partenaires » politiques et financiers
occidentaux du pouvoir de Kiev ont déjà annoncé le gel des versements
des tranches des prêts jusqu’à ce que la situation politique se
clarifie.
Des tensions au sein de la coalition pro-occidentale
On ignore pour le moment les raisons exactes qui ont poussé
Iatseniouk à la démission. Mais la rivalité entre le premier ministre et
le président étaient connues du public depuis plusieurs mois. Tous les
deux sont arrivés au pouvoir à la suite des mobilisations connues comme
« Euromaïdan » et la chute du gouvernement dit « pro-russe » de Viktor
Ianoukovitch en 2014. Mais cette coalition pro-occidentale s’est peu à
peu discréditée aux yeux de la population et érodée à l’intérieur. La
guerre à l’Est du pays avec les rebelles « pro-russes » mais aussi
l’état délabré de l’économie, ainsi que les mesures d’austérité imposées
par le FMI et les créanciers occidentaux du pays en échange d’emprunts
essentiels pour le gouvernement, ont joué dans la dégradation de la
situation.
Les exigences occidentales, pour plus de rapidité dans l’application
des réformes et de la soi-disant « lutte contre la corruption », ont
peut-être aussi accéléré les frictions au sein de la coalition au
pouvoir et entre le gouvernement et les fractions politiques défendant
différents intérêts des oligarques et classes dominantes dans le pays.
En effet, Iatseniouk est un politicien très proche des Etats-Unis et
des circuits financiers internationaux et donc très enclin à mettre en
place des « réformes » exigées par les créanciers occidentaux.
Porochenko, ainsi que l’ensemble des plus grands oligarques du pays, a
aussi intérêt à entretenir des bonnes relations avec les puissances
impérialistes, l’Ukraine en est devenue financièrement et
géopolitiquement très dépendante. Mais certaines des mesures prônées par
les puissances occidentales pourraient mettre en danger les intérêts
économiques de ces secteurs (rentes liées aux entreprises d’Etat, entre
autres). Ces contradictions exercent un poids important dans la crise
politique actuelle et sur l’évolution de la situation.
Quelles conséquences internes et externes ?
Il est encore trop tôt pour dire exactement quelles seront les
conséquences externes (Russie, Etats Unis, UE) et internes de la
démission du premier ministre. Cependant, nous pouvons faire quelques
hypothèses.
Sur le plan extérieur il est peu probable que dans l’immédiat il y
ait des changements de la politique du gouvernement ukrainien vis-à-vis
de la Russie. Le principal allié de Kiev, les Etats Unis, ne veulent
surtout pas voir l’Ukraine retomber dans la « zone d’influence » russe.
Mais un rapprochement avec Poutine, dans l’état actuel des choses,
pourrait aggraver la crise à l’intérieur du pays. Non seulement la
plupart des partis d’opposition défendent des positions « dures » à
l’égard du Kremlin mais depuis l’annexion de la Crimée par Poutine et la
guerre dans les Donbass une partie de la population ukrainienne a
développé un sentiment « antirusse ».
Le résultat concret de la démission du premier ministre actuellement
c’est une concentration du pouvoir dans les mains de Petro Porochenko.
Même si pour le moment son candidat au poste de premier ministre ne
parvient pas à former un nouveau gouvernement, on sait déjà que les
figures « technocrates » proches des Etats Unis et des circuits
financiers internationaux, comme l’ancienne ministre des finances
Natalie Jaresko (née aux Etats-Unis et y ayant longtemps travaillé),
n’en feront plus partie.
Probablement Porochenko cherche à ralentir le rythme de l’application
des mesures d’austérité du FMI pour faire baisser les tensions internes
avec les oligarques opposants et surtout avec les classes populaires
pour qui le bilan du gouvernement est désastreux. Calmer les tensions
internes devient urgent pour Porochenko aussi car il est impliqué dans
le « scandale du Panama ».
Bien qu’il soit très improbable que Porochenko se dirige vers une
rupture avec les Etats Unis, il est indéniable que la relation avec
Washington s’est dégradée ces derniers temps. D’ailleurs, on ne peut pas
exclure que les révélations sur le placement de l’argent de Porochenko
au Panama soient le fait des occidentaux pour exercer une pression sur
lui. Ce qui est clair en tout cas, c’est que l’instabilité politique en
Ukraine est très loin d’être finie.
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