Philippe Alcoy
Qu’il est loin le temps où des éditoriaux des principaux journaux
internationaux louaient les merveilles du Brésil. « La puissance
émergente », affirmaient certains même. Cependant, le spectacle
pathétique que les députés brésiliens ont donné dimanche dernier lors du
vote pour l’ouverture de la procédure de destitution de la présidente
Dilma Rousseff, viennent détruire cette fantaisie. Le pays se trouve
submergé dans une crise politique et économique, et même si le coup
d’État institutionnel avance, les options pour le patronat et
l’impérialisme sont très limitées et surtout remplies de dangers.
Profondément réactionnaire
Si le « cirque » parlementaire auquel on a assisté dimanche dernier
au Brésil, en plus d’avoir été l’une des scènes les plus pathétiques de
la vie politique brésilienne des dernières décennies, révèle le
caractère profondément réactionnaire des députés et de l’ensemble du
régime politique. Toute la planète a pu assister aux explications de
vote les plus incroyables, allant du ridicule aux discours ouvertement
putschistes.
Il est évident pour tout le monde que le processus de coup d’État
institutionnel au Brésil est en train d’être mené par une caste
politicienne profondément corrompue et pitoyable. Les députés qui ont
voté pour l’ouverture de l’impeachment sont aussi corrompus que les
politiciens actuellement au pouvoir, voire plus corrompus encore.
L’impérialisme reste méfiant
C’est un constat que tout le monde fait. Et c’est en grande partie
cela qui explique la réserve de la presse internationale du vote. Les
puissances impérialistes en effet prennent beaucoup de précautions face à
la situation au Brésil. Elles soutiennent l’austérité et les mesures
drastiques contre les classes populaires mais elles ne font pas
confiance aux éventuels successeurs de Dilma.
Pas tant à cause de leur caractère corrompu mais avant tout par
crainte qu’ils se révèlent incapables d’appliquer les réformes exigées
par le patronat et les institutions financières internationales sans
ouvrir une situation d’instabilité politique, social et politique. En ce
sens, aucun dirigeant international de taille n’a salué le vote du
parlement.
Le PT et Dilma veulent s’appuyer sur cette attitude des dirigeants et
de la presse impérialiste pour faire pression sur les sénateurs et
essayer d’empêcher l’ouverture de la procédure de destitution.
Un problème de légitimité
En effet, après le vote dans la chambre basse, c’est maintenant le
tour du sénat brésilien de ratifier la décision d’ouvrir la procédure
d’impeachment. Il est très probable, sauf surprise, que le sénat, où les
partis d’opposition (PMDB, ancien allié du PT, et PSDB) sont largement
majoritaires.
Dans le cas de vote favorable à l’impeachment au sénat, c’est au
vice-président d’assumer la fonction de président et de former un
nouveau gouvernement. Ainsi, les anciens alliés de Dilma et du PT,
Michel Temer et Eduardo Cunha du Parti du Mouvement Démocratique
Brésilien (PMDB), prendraient la tête du pays.
Or, ce « couple » n’est pas sans poser plusieurs problèmes face aux
défis que cet éventuel nouveau gouvernement aura à faire face. En effet,
non seulement il s’agirait d’un gouvernement que personne n’a élu, mais
aussi bien Temer que Cunha sont embourbés dans des affaires de
corruption liées à l’enquête « Lava Jato ». Cela est un grand problème
pour le patronat car ce serait ce gouvernement, très peu légitime, qui
devrait appliquer des mesures très antipopulaires pour répondre aux
exigences du patronat et du capital international.
C’est pour cela que l’autre grand parti d’opposition de droite, le
Parti Social-Démocrate du Brésil (PSDB), a déjà déclaré qu’il ne
participerait pas à un éventuel gouvernement avec le PMDB, même s’ils
ont proposé de soutenir l’éventuel nouveau gouvernement de l’extérieur
si celui-ci s’engage à appliquer toute une série de mesures que le PSDB a
proposé. Probablement le PSDB cherche à laisser Temer et le PMDB faire
le « sale boulot » d’ici les prochaines élections présidentielles de
2018 ou à ne pas se discréditer avant d’éventuelles élections
anticipées. Cependant, on ne peut pas exclure que des figures du parti
soient tentées par une offre ministérielle (la presse brésilienne parle
d’une offre de la part de Temer à l’ex candidat à président du PSDB,
José Serra, au ministère des finances).
Quelle sera l’attitude du PT et de ses relais syndicaux et dans les mouvements sociaux ?
Le problème du manque de légitimité et de soutien pour le
gouvernement est évidemment lié à la question de la probable
contestation sociale face à des mesures d’austérité. En effet, depuis
2013 le pays a connu de grandes mobilisations, notamment de la jeunesse,
contre les dépenses pour la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques, les
services publics de mauvaise qualité, etc. Par la droite, ce sont les
secteurs aisés des classes moyennes qui se sont récemment mobilisés
contre le gouvernement de Dilma sans pour autant faire confiance aux
partis d’opposition.
Ce n’est par un hasard que l’un des quotidiens les plus importants du pays, Estado de São Paulo, se pose la question dans un édito si « La rue va soutenir l’austérité ». On y évoque la sensation que « la
majorité de la population ressent un rejet à peine légèrement inférieur
envers les politiciens qui ont voté pour la destitution de Dilma ».
En ce sens, l’attitude des directions syndicales, notamment de la CUT
(Central Unifiée de Travailleurs), et des mouvements sociaux
historiquement liés au PT reste un facteur déterminant. En effet, une
possible destitution de Dilma pourrait pousser la CUT à lutter, même si
elle essaie de contrôler le mouvement, pour d’une part répondre à la
pression de la base et, d’autre part, sauver ce qui est possible de
sauver de l’image du PT en vue d’une préparation de nouvelles élections.
Ce serait une première car après presque 15 ans la CUT serait renvoyée
dans le camp de l’opposition, alors que pendant toutes ces années de
gouvernements du PT elle a essentiellement joué le rôle d’éviter les
luttes ouvrières.
Évidemment, on ne peut pas exclure que la bureaucratie décide, même
dans le cas de destitution de Dilma, de ne pas se lancer dans une lutte
de résistance face à l’austérité. Mais ce serait une position très
difficilement tenable et des débordements par la base deviendraient
possibles, notamment dans d’éventuelles mobilisations de la jeunesse
comme on a vu en 2013, 2014 et actuellement à Rio de Janeiro où le
mouvement lycéen est en lutte.
Pour les travailleurs et la jeunesse, il n’est pas possible
d’attendre de voir ce que l’éventuel nouveau gouvernement du PMDB fera
en terme d’attaques pour répondre et résister. La mobilisation dès
maintenant contre le coup d’État institutionnel et les mesures
d’austérité que le gouvernement du PT est déjà en train de mettre est la
seule option pour freiner l’avancée des tendances réactionnaires.
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