Philippe Alcoy
La mascarade organisée à Genève sur les pourparlers de paix à propos
de la Syrie s’est révélée être un échec total. Les représentants des
forces rebelles ne se sont même pas présentés à l’ouverture des négociations. Parallèlement, le régime du président Bachar Al Assad aux côtés de son allié russe ont intensifié leurs attaques contre la ville d’Alep,
tenue par des forces rebelles afin de renforcer leurs positions à la
table des négociations. Une situation qui ne convient guère à l’Arabie
Saoudite et la Turquie, principales puissances régionales soutenant les
forces rebelles, qui envisagent désormais l’intervention armée sur le
terrain. Les États-Unis et l’UE, après un tournant pragmatique, se
trouvent dans l’embarras vis-à-vis de la politique de leurs alliés.
Au milieu de ce chaos, divers intérêts économiques et géopolitiques
sont en jeu. Et ces nouvelles annonces d’une nouvelle vague
d’interventionnisme ne seront synonymes que de souffrances
supplémentaires pour les masses. On parle de négociation de paix, pour
mieux dissimuler les offensives guerrières. On promet de signer un
armistice, tout en proclamant que l’on va poursuivre les bombardements.
Et ce sont les populations civiles qui payent. Des femmes, des enfants,
des vieillards et des hommes qui fuient l’horreur, bombardés même dans
les hôpitaux.
Tout le monde dit agir contre « le terrorisme islamiste ». Une bonne
excuse, alors que le phénomène réactionnaire qu’est Daesh est
précisément né de l’ingérence impérialiste et du chaos engendré sur le
terrain. En définitive, chaque force en présence poursuit ses propres
intérêts. Le régime de Bachar Al-Assad cherche avant tout à survivre et
rester au pouvoir d’une manière ou d’une autre. L’Iran, soutenu par ses
alliés libanais, soutient le régime pour contrer l’influence de l’Arabie
Saoudite et réaffirmer sa nouvelle position géopolitique suite à
l’accord sur le nucléaire signé avec les puissances impérialistes.
Quant à la Russie, son objectif en Syrie est de renforcer son allié
Assad. Poutine, depuis le début de son intervention aérienne en
septembre, cherche à faire en sorte que les occidentaux n’aient le choix
qu’entre Daesh et Assad. En ce sens, il lui est fondamental d’aider le
régime à écraser les rebelles (que la Russie appelle « terroristes »)
soutenus par les occidentaux et ses alliés, à commencer par la Turquie
et l’Arabie Saoudite. C’est de cette façon que la Russie pourrait
réussir non seulement à conserver sa base militaire en Syrie, tout en
renforçant son influence dans un éventuel régime de transition, mais
aussi utiliser la Syrie comme un « monnaied’échange » avec les
puissances occidentales, à commencer par celles de l’UE, dans le dossier
ukrainien.
En ce sens, on comprend le ridicule des représentants politiques et
de la presse en Occident exigeant que la Russie arrête d’attaquer les
opposants « modérés ». L’écrasement de ces opposants du régime d’Assad
fait partie des objectifs centraux de la Russie en Syrie.
Dans un même temps, les alliés des puissances occidentales tentent
aussi d’avancer leur pion pour atteindre leurs objectifs. Et ces
objectifs ne sont pas toujours les mêmes que ceux de leurs partenaires
impérialistes. Ainsi, pour la Turquie, l’objectif principal en Syrie
n’est nullement de combattre Daesh mais d’empêcher que les kurdes de
Syrie sortent renforcés de ce conflit. Celle-ci ne va donc pas
s’attaquer à Daesh si cela permet que les forces kurdes progressent. Au
contraire, le régime d’Erdogan pourrait avoir plutôt tendance à aider
directement ou indirectement Daesh et toutes les forces hostiles aux
combattants kurdes.
Le problème qui se pose pour la Turquie actuellement, c’est que les
États-Unis, dans leur tournant pragmatique en Syrie, deviennent des
alliés conjoncturels des forces kurdes en Syrie, les seuls ayant
réellement connu des victoires sur Daesh. Bien entendu, cette
conjoncture fragilise l’alliance américano-turque.
L’Arabie Saoudite, quant à elle, voit dans le conflit syrien un moyen
d’augmenter son influence et surtout bloquer le développement de
l’influence iranienne, son rival régional. Ainsi, l’Arabie Saoudite ne
va pas s’engager dans la lutte contre Daesh tant qu’elle ne s’assurera
que cela ne va pas favoriser les alliés de l’Iran (Assad) et l’Iran
lui-même en Syrie.
On comprend alors que l’avancée des forces d’Assad, appuyées par la
Russie et l’Iran sur le champ de bataille, pousse la Turquie et l’Arabie
Saoudite à envisager d’envoyer leurs propres troupes sur le terrain. Il
ne s’agit en effet d’aucune tentative de sauver des forces
démocratiques, ni de lutte contre le « terrorisme », mais de poursuivre
leurs propres objectifs qui ne sont pas moins réactionnaires que ceux du
régime d’Assad ou de Poutine.
Pour le moment, aussi bien Ankara que Riyad déclarent que leur
mission en Syrie devrait être soutenue par les États-Unis. Or, ceux-ci,
ainsi que les européens, ne veulent surtout pas que tout ceci ait lieu,
notamment sur le fait que la Turquie s’engage en Syrie. Le risque étant
que cela conduira sans aucun doute à des affrontements avec la Russie.
L’OTAN serait alors dans un dilemme très difficile : soit soutenir un
État membre, embarqué dans une aventure militaire et attaqué par une
puissance nucléaire comme la Russie, soit rester en retrait et voir sa
crédibilité affectée et, à terme, risquer l’explosion de l’Alliance
Transatlantique.
À cela, il faudrait ajouter que les États-Unis voient (aujourd’hui)
comme principal objectif en Syrie-Irak la défaite de Daesh afin de la
présenter comme la fin de leur mission dans la région, et pouvoir
pivoter dans un second temps leur politique internationale vers
l’Asie-Pacifique. Mais cela ne sera pas si facile étant donné le chaos
existant sur le terrain, conséquence en grande partie des interventions
militaires impérialistes dans la région.
Les puissances de l’UE, quant à elles, cherchent de manière très
pragmatique à faire en sorte que la guerre s’arrête pour mettre un terme
au flux de réfugiés qui arrivent sur le continent depuis au moins un
an. En ce sens, une intervention de la Turquie et de l’Arabie Saoudite
pourrait avoir comme conséquence d’augmenter le flux migratoire vers
l’Europe.
Comme on le voit, la direction politique, aussi bien des
impérialistes et de leurs alliés régionaux, de la Turquie et l’Arabie
Saoudite que celle de la Russie, de l’Iran et du régime Assad, est en
train de préparer des troubles géopolitiques et sociaux néfastes dans
toute la région et bien au-delà encore. En ce sens, il est inévitable
que des phénomènes réactionnaires comme Daesh continuent à surgir,
notamment face à l’absence d’alternative révolutionnaire pour les
travailleurs et les classes populaires de Syrie qui s’opposent
clairement à l’impérialisme, ainsi qu’à toutes les factions des classes
dominantes locales.
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