Propos recueillis par Philippe Alcoy
Publié le 15 décembre 2015
Le gouvernement russe veut imposer aux transporteurs une nouvelle
taxe par kilomètre parcouru, appelée « Platon ». Dans un secteur composé
à 80% de travailleurs autonomes et de petits propriétaires possédant
deux camions tout au plus, celle-ci est perçue comme une menace à leurs
conditions de vie, voire à leur seul moyen de survie. Lestransporteurs se battent donc depuis la mi-novembre pour le retrait de la nouvelle taxe. Nous avons interviewé Kirill Medvedev, militant anticapitaliste du Mouvement socialiste de Russie (RSD) et membre du groupe de musique moscovite Arkady Kots, sur la situation de la lutte.
Qui sont les transporteurs ?
Ils ont plutôt des positions et des conditions de vie différentes.
Cependant, une chose importante est que la majorité d’entre eux ne
peuvent pas s’imaginer sans ce travail. Dans certains cas, c’est juste
parce qu’il n’y a pas d’autre travail dans leur région (c’est surtout
les transporteurs du Daguestan qui pointent cette situation) mais en
général, ils disent juste aimer leur métier.
Un métier dur, bien sûr, mais associé à la « liberté » et à ce type
de choses. Il se considèrent comme une sorte de secteur privilégié de la
classe ouvrière ayant une fierté particulière. Leur position sociale a
été relativement stable depuis la chute de l’URSS jusqu’à présent, c’est
pourquoi ils ont réagi aussi radicalement à cette nouvelle taxe, qui
est destructrice pour leur condition matérielle ainsi que pour leur
fierté et leur conscience de soi.
Les transporteurs ont-ils le soutien d’autres secteurs de travailleurs et de la population ? Un sondage récent indiquait qu’ils avaient le soutien de 71% de la population de Moscou…
Je pense qu’ils ont le soutien passif de la majorité de la
population. Les syndicats indépendants les soutiennent également. Pour
ces derniers, les transporteurs doivent non seulement se battre contre
« Platon » mais aussi contre les transactions « grises » dans leur
secteur, qui ne sont évidemment ni transparentes ni respectueuses des
lois du travail.
Il y a le projet d’organiser un nouveau syndicat de transporteurs.
S’ils arrivent à le mettre en place, basé sur l’auto-organisation et
indépendant, sans l’aide de conseillers du Parti communiste ou du
Kremlin, alors ce sera déjà probablement une petite victoire. Je pense
que l’une des tâches de la gauche radicale est de les aider dans ce
processus.
L’un des éléments les plus positifs de ce mouvement est que les
conducteurs de poids lourds du Daguestan sont très actifs et agissent en
commun avec des travailleurs d’autres endroits de la Russie. Ceci est
un exemple important de lutte inter-nationale car les divisions
ethniques et religieuses sont fortes en Russie en général, et beaucoup
de politiciens (parmi ceux de l’opposition aussi) manipulent cette
question.
Enfin, certains groupes d’extrême gauche et de l’opposition
soutiennent les transporteurs en leur apportant de l’essence, de la
nourriture, des médicaments, etc. Les militants de notre groupe, le RSD,
se sont rendus à leur camp. Nous y avons organisé un concert de notre
groupe de musique, Arkady Kots, et nous avons aussi distribué des tracts
à Moscou appelant à soutenir leur mouvement.
Que peut-on dire par rapport à la répression ? On a pu lire qu’ils se trouvaient sous forte surveillance et répression.
Pour ce qui est de la répression, beaucoup de camions en route vers
Moscou, où une manifestation était organisée, ont été stoppés et bloqués
sous différents prétextes par la police. Leurs campements près de
Moscou sont sous surveillance permanente. Il y a eu quelques
arrestations (mais pour quelques heures seulement) et à la télévision,
il n’y a aucune information. Le gouvernement dit qu’il peut faire
quelques petites concessions mais qu’il ne peut pas retirer la taxe
Platon.
Comment organisent-ils la lutte ?
Avant tout, ils se coordonnent à travers leur système radio. Mais en
termes politiques, ils sont désormais en train d’élire des représentants
des campements (ceux qui sont proches de Moscou), des représentants
régionaux et des porte-paroles.
Ils gardent toujours le secret sur ce qu’ils vont faire, alors il y a
toujours un espoir, mais parfois tu sens qu’ils sont juste en train de
bluffer. Le gouvernement prend son temps et essaye de ne pas trop leur
mettre la pression en espérant qu’ils vont se fatiguer et finir par
rentrer chez eux. Cela va probablement fonctionner s’il n’y a pas une
radicalisation dans la lutte cette semaine.
Il existe un syndicat de transporteurs depuis plusieurs années. Son
leader est actif dans la lutte et essaye de devenir son porte-parole
mais ce syndicat n’est pas suffisamment radical. Il fait partie du
régime. L’idée d’organiser un syndicat nouveau et plus radical est très
populaire parmi les transporteurs désormais.
Source: RP
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