Philippe Alcoy
Publié le 18 décembre 2015
Au résultat des élections, elle s’écrit avec joie : « NO
PASARAN ! Le FN n’a remporté aucune région ! Les français ont poussé
leur coup de gueule au premier tour, mais ensuite, ils rappellent bien
qu’ils tiennent aux valeurs de la République ». Et puis elle ajoute :
« Cette fois, les gens se sont vraiment mobilisés pour voter. Ne crois
pas que je vote par conviction : cela fait longtemps que je vote pour
faire barrage. Mais là, ça montre que ça a été utile ! ». Elle exprime
un tel soulagement que je ne sais pas comment pas lui dire que « NON
c’est pas comme ça qu’il faut penser ». Pour moi, c’est une nouvelle
confirmation que les idées sont une lutte de tous les jours, avant tout
au sein de notre classe. Cette amie, avec qui je discute, est prise,
comme beaucoup, dans un chantage ambiant visant à nous forcer à choisir
« le moins mauvais ». Une logique qu’il est essentiel de déconstruire,
pour ne pas se tromper de direction.
Naissance et évolution du Front Républicain
Elle poursuit : « Sarkozy a dit « ni-ni », tandis que le PS, lui,
s’est grandi moralement. Il a su se retirer pour laisser place au Front
Républicain, et il a gagné son pari ». Mais concrètement, qu’est-ce que
ce « front républicain » ?
Si l’on regarde les faits historiques, on apprend que ce concept de
« Front Républicain » a d’abord désigné l’alliance électorale du
centre-gauche pour les législatives de 1956 : regroupant la SFIO
(Section Française de l’Internationale Ouvrière), l’Union démocratique
et socialiste de la Résistance de Mitterrand et les gaullistes de
gauche. Cette alliance s’est constituée contre la menace « poujadiste »
mais aussi pour préserver le régime menacé par la guerre d’Algérie.
Ainsi le « front républicain » consiste bien à faire bloc entre les
« partis républicains » contre les partis « non républicains » ou
« antirépublicains ». Une pratique antérieure s’était déjà développée
sous la IIIe République : le « désistement républicain ». Celui-ci
consistait en un accord entre des partis de gauche qui estimait que les
autres forces devaient retirer leurs listes au second tour à la faveur
de la liste la mieux positionnée face aux forces « réactionnaires ».
Comme on voit ces variantes de front ou désistement républicain
naissent et se développent comme union des partis républicains mais de
gauche. C’est surtout à partir des années 1980 et avec les premiers
succès électoraux du FN qu’il va prendre la forme d’une union de
l’ensemble des partis républicains (droite et centre inclus), en vue de
« défendre la république » des « menaces ».
Si aujourd’hui le « front républicain » est principalement dirigé
électoralement contre le FN, comme le 21 avril 2002, où la Gauche
Plurielle avait appeler à voter Chirac, ou comme lors de ce « 21 avril »
régional avec le « barrage républicain » du PS de Hollande-Valls, il
pourrait, dans un tout autre cas, se produire face à des partis de
gauche radicale ou d’extrême gauche remettant en cause, même
partiellement, les intérêts des classes dominantes et le régime.
Une tactique électorale
Le « front républicain » n’est autre chose qu’une tactique électorale
des principaux partis du régime soumis à leurs calculs conjoncturels.
Il n’est aucunement un « principe moral » ou répondant à des « valeurs
supérieures ». C’est ainsi que lors de ces élections, comme par le
passé, on a constaté des désaccords sur la pertinence de retirer ou
fusionner les différentes listes face au FN au second tour.
A droite Sarkozy avait opté par le « ni-ni », critiqué par la suite
par Christian Estrosi et Xavier Bertrand qui doivent tous deux leur
victoire, comme ils l’ont eux-mêmes reconnus, aux voix de « l’électorat
de gauche ». Mais du côté du PS, alors que Valls appelait ses candidats à
se retirer dans trois régions à la faveur de LR, le candidat PS du
Grand-Est Jean-Pierre Masseret s’est maintenu au second tour, avant
d’être désinvesti par le PS.
L’hypocrisie du PS et de Les Républicains face au FN
« Quand il en va de la République, il faut être désintéressé, il faut
être à la hauteur des événements. Quand on aime ce pays, on va droit au
but et on appelle à voter pour Les Républicains (…) Il y a deux visions
et dimanche prochain il faudra choisir entre ces deux visions de la
France ». C’est comme ça que Valls appelait à voter pour le parti de
Sarkozy. Il s’agirait de « visions » différentes entre le camp
« républicain » et le FN.
Comme l’explique Joël Gombin, coauteur de l’ouvrage Le Front
national. Mutations de l’extrême droite française, dans un article du
Monde Diplomatique : Le mythe du front républicain permet (…) de
justifier des revirements politiques, au nom d’une lutte supérieure
contre le FN. Pour celui qui le mobilise, il offre l’occasion de se
placer automatiquement dans le camp du bien, de la République et de ses
valeurs, sans avoir à préciser ce que signifient concrètement ces
référents, puisqu’il est entendu que l’extrême droite n’en relève pas ».
Or, face à la politique réactionnaire du gouvernement, de contrôles
aux frontières, de limitation des droits fondamentaux, de renforcement
des forces répressives de l’Etat et d’une fuite en avant guerrière avec
une nouvelle intervention en Syrie, nationaliste et xénophobe, avec la
déchéance de nationalité, on pourrait dire que l’on assiste à une vraie
lepénisation du PS. Et la droite, malgré le fait qu’elle soit prise en
étau entre un Hollande Lepénisé et le véritable FN, ne prétend pas non
plus rester en marge de cette droitisation du champ politique, bien au
contraire.
Certes, le Front National n’a gagné aucun exécutif dans les régions
mais en voyant la politique et les discours des partis du régime, on
peut, encore plus aujourd’hui, s’interroger sur quelle est la barrière
qui sépare le « camp républicain » de la « réaction antirépublicaine ».
Un programme qui n’est pas encore crédible pour le grand patronat
Par ailleurs, malgré cette « lepénisation » évidente des partis du
régime, le « front républicain » continue à marcher, ou tout du moins à
empêcher, pour le moment, le FN de prendre le pouvoir dans des instances
importantes de l’appareil d’Etat. De cette façon, les appareils du PS
et des Républicains réussissent à faire front contre le FN sur les
postes de l’exécutif et de présidence. Cependant, le PS, plus
particulièrement, a lors de ces régionales, perdu un grand nombre de
postes de conseillers régionaux et a vu son maillage territorial fondre,
dans la continuité des municipales de mars 2014 et des départementales
de mars 2015.
Ce « sursaut républicain », prôné en dernière instance par la gauche
et la droite, et cela en fonction des rapports de forces électoraux en
présence, est adoubé par le MEDEF et les médias dominants. Cela
s’explique notamment par le fait que la véritable ligne de démarcation
entre le FN et les partis de gouvernement, et notamment un PS lepenisé,
se pose sur la question de l’euro et de l’UE. Le FN défend la sortie de
l’UE et de l’euro ainsi qu’un retour réactionnaire au franc aux
frontières nationales, ce qui aujourd’hui, est en décalage par rapport
aux intérêts impérialistes du grand patronat français.
Cela ne veut aucunement dire pour autant que le FN défendrait un
programme « anticapitaliste » ou « anti-impérialiste ». Ces points de
son programme répondent en réalité aux intérêts des secteurs
capitalistes en difficultés, petits et moyens qui sont faibles face à la
concurrence internationale. De là la nécessité de revenir aux
frontières nationales (et surtout aux douanes protectrices), à
l’intervention dans l’économie d’un « Etat stratège », de rompre avec
l’euro pour pouvoir dévaluer (faire baisser les salaires), entre autres.
En ce sens, le FN ne peut pour le moment être une alternative de
pouvoir pour le grand patronat français. En outre, il s’agit d’un parti
qui n’a pas encore démontré dans les faits ce qu’il est en mesure de
faire en termes de gestion de l’Etat. Ainsi même si le FN n’a pas obtenu
aucune présidence de régions, ce sont bien ses idées qui, au-delà de
cette campagne, dominent désormais une large partie de la classe
politique.
Source: RP
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