Propos recueillis par Philippe Alcoy
Publié le 14 décembre 2015 
La semaine dernière près de 50.000 personnes se sont mobilisées 
contre le gouvernement « socialiste » du premier ministre Edi Rama en 
Albanie. La manifestation avait été appelée par l’opposition de droite 
du Parti Démocrate et exigeait la démission du gouvernement. Cependant, 
au-delà de la tentative de capitalisation politique par la droite, cette
 manifestation, parallèlement au mouvement étudiant en cours contre une réforme néolibérale du gouvernement,
 exprime un mécontentement social grandissant contre l’ensemble de la 
caste politique au pouvoir depuis 25 ans. Nous avons interviewé Redi 
Muçi, lecteur à l’Université Polytechnique de Tirana et militant du 
mouvement étudiant Për Universitetin.
La semaine dernière il y a eu une grande 
manifestation à Tirana, quelles étaient les principales revendications 
et qu’est-ce que cela exprimait ?
La manifestation était appelée par l’opposition de droite du Parti 
Démocrate (PD) qui dénonce la coalition gouvernementale du Parti 
Socialiste et du MSI (Mouvement Socialiste pour l’Intégration) corrompue
 et liée à des groupes mafieux. Ils appellent à leur démission immédiate
 et à la formation d’un gouvernement technique qui s’occuperait de gérer
 le pays pendant une période de transition menant à des élections 
anticipées.
Ces revendications, je pense, s’appuient sur le mécontentement 
grandissant parmi les albanais, et la manifestation de la semaine 
dernière était un moyen d’exprimer la colère et le mécontentement avec 
des institutions totalement corrompues en Albanie.
Il y a eu un nombre de réformes décevantes telles que la soi-disant 
« guerre contre le travail informel », celle de l’énergie et de 
l’éducation, etc. Elles avaient été promues par le gouvernement pour 
servir « l’intérêt commun » et l’État de droit, mais en fait par leur 
essence néolibérale ont renforcé les divisions de classe et consolidé la
 position des oligarques proches de la coalition au pouvoir. En outre, 
le système judiciaire fonctionne pratiquement entièrement à travers des 
pots de vin et a formé une caste qui protège les intérêts privés. On 
pourrait dire la même chose des médias qui sont contrôlés par les 
oligarques.
Pourquoi le Parti Démocrate n’est pas une alternative pour les classes populaires ?
Le PD représente le vieux modèle de partis politiques formés après la
 chute de la dictature « communiste », il y a 25 ans. Ses membres sont 
des politiciens-businessmen qui ont des intérêts croisés avec des 
oligarques et de petits groupes mafieux. Leur base militante reste 
active et loyale grâce au clientélisme et à l’octroi de postes dans les 
administrations locales et dans le gouvernement national une fois que le
 parti arrive au pouvoir.
Lors d’une manifestation similaire à celle de la semaine dernière, 
appelée par le Parti Socialiste le 21 janvier de 2011 pour dénoncer un 
scandale de corruption touchant le leader du MSI (à l’époque allié du 
PD, aujourd’hui au gouvernement avec le PS), quatre manifestants 
pacifiques ont été tués par balle par la Garde Nationale. L’ordre de 
réprimer avait été donnée par le ministre de l’intérieur de l’époque, 
Lulzim Basha, actuel leader du PD… qui a organisé la manifestation de la
 semaine dernière.
Alors, parmi les classes populaires aujourd’hui, le sentiment de 
frustration avec le gouvernement actuel se mélange à celui de déception 
par le fait que la seule force politique capable de mobiliser 
massivement pour le moment reste le PD. Cela est le résultat d’une 
absence presque complète de groupes sociaux organisés indépendamment de 
ces partis. Les syndicats ont fonctionné sur un programme fictif depuis 
leur fondation et les ONG financées par l’UE servent juste comme des 
pansements pour les blessures profondes du pays.
Vous pensez qu’il est possible que le mouvement continue ? Il
 y a d’autres dates de manifestation prévues pour les jours à venir ?
Je crois que les manifestations vont continuer. Comme je disais plus 
haut, le mécontentement vis à vis de l’élite politique et du 
gouvernement est en train de monter, avec des chiffres du chômage qui 
grimpent parallèlement à un sentiment de frustration généralisé qui 
estime que les choses ne vont jamais prendre un tournant positif. Le 
résultat de cela c’est une vague d’émigration poussée aux portes de 
l’Allemagne et d’autres pays du Nord européen en quête d’asile 
économique.
Par ailleurs, le PD cherche à capitaliser cette situation et à la 
canaliser vers des gains politiques, même s’il a été discrédité auprès 
de la population pendant les huit années où ils ont été au pouvoir, de 
2005 à 2013. Une nouvelle manifestation est ainsi convoquée le 17 
décembre.
Les étudiants sont actuellement en lutte contre une réforme 
néolibérale du premier ministre Edi Rama. Les organisations étudiantes 
ont-elles participé à la manifestation de la semaine dernière ?
Le mouvement étudiant « Për Universitetin » (Pour l’Université – PU) 
n’a pas pris part à la manifestation de la semaine dernière car elle 
était appelée par le PD. Le mouvement est en train de se battre durement
 contre les tentatives d’instrumentalisation de la part de l’opposition 
de la lutte étudiante. Ce mouvement représente la seule organisation de 
masse en Albanie qui se bat contre la caste politique dans son ensemble.
La lutte des étudiants se bat contre la réforme néolibérale dans 
l’éducation supérieure, qui est dans la droite ligne du reste des 
réformes appliquées par le gouvernement. Récemment, le mouvement a 
soutenu l’initiative des étudiants de la faculté de géologie et des 
mines appelant à boycotter les cours. Ils se battent contre la décision 
du gouvernement de déménager la faculté pour transformer leur bâtiment 
dans le Palace de Justice, comme part de la réforme du pouvoir 
judiciaire que le gouvernement est en train d’impulser. Le gouvernement 
n’a présenté aucune alternative viable quant à la nouvelle localisation 
de la faculté.
Aussi, le mouvement PU appelle à une nouvelle manifestation de masse 
le 16 décembre prochain, un jour avant la manifestation du PD. Nous 
espérons attirer une large foule dans cette manifestation qui vise à 
construire un discours plus général sur les questions sociales.
Source: RP 
 

 
 
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