Philippe Alcoy
Depuis l’accord sur le nucléaire iranien en juillet de l’année
dernière, l’assouplissement des sanctions économiques pesant sur le pays
depuis 2012 était inévitable. Sur le plan géopolitique, l’accord n’a
fait que crisper les alliés traditionnels de l’impérialisme
nord-américain dans la région, Israël et l’Arabie Saoudite. Aujourd’hui,
la nouvelle de la levée partielle des sanctions contre l’Iran crée de
l’incertitude parmi tous les pays producteurs de pétrole. On estime que
l’augmentation de la production de pétrole iranien va alimenter la
surproduction de brut et faire baisser encore plus le prix du baril qui
se trouve déjà sous la barre des 30 $.
Le rapport du 16 janvier de l’Agence internationale de
l’énergie atomique, indiquant que l’Iran a respecté ses engagements
quant à la limitation du développement de son programme nucléaire, a
ouvert la voie à la levée des sanctions économiques qui pesaient sur le
pays depuis 2012. Cette décision a également entrainé un échange de
prisonniers entre l’Iran et les États-Unis.
Cependant, aussitôt levées les sanctions économiques plus lourdes,
les États-Unis ont imposé d’autres sanctions contre l’Iran suite à ses
essais de missiles balistiques. D’après l’ONU, ces essais violeraient le
traité qui interdit au pays de produire des missiles capables de
transporter des ogives nucléaires.
Néanmoins, ces sanctions ont beaucoup moins pesantes que les
antérieures et ne remettent pas en cause les accords de juillet. On ne
peut pas écarter la possibilité que cette décision de la part du
gouvernement Obama soit un geste vis-à-vis de ses partenaires dans la
région qui s’inquiètent du rapprochement entre Washington et Téhéran. En
effet, malgré les déclarations d’Obama mettant l’Iran à distance et
affirmant qu’il reste beaucoup de différences avec Téhéran, ces derniers
mois montrent un clair rapprochement entre les deux pays. Aussi bien en
Irak, où tous les deux soutiennent le gouvernement chiite, qu’en Syrie,
où ils essayent de freiner l’avancée de Daech, leur collaboration est
évidente.
Les semaines et les mois à venir cependant vont tester cette nouvelle
« entente » entre les États-Unis et l’Iran, notamment lors de
l’ouverture des négociations sur une « solution » politique à la guerre
civile syrienne qui dure depuis près de cinq ans. Le conflit au Yémen et
les tensions avec l’Arabie Saoudite mettront également cette entente à
l’épreuve. Néanmoins, ce rapprochement reste historique si l’on prend en
compte que depuis la révolution iranienne de 1979 les deux pays avaient
pratiquement rompu toutes leurs relations directes.
Pour le moment ce sont donc surtout les multinationales européennes
qui essayent de prendre le devant dans les « nouvelles opportunités »
qui s’ouvrent avec la levée des sanctions.
Le prix du pétrole, un enjeu et une préoccupation centrale
Cette levée des sanctions n’arrive pas à n’importe quel moment pour
le gouvernement iranien non plus : en février prochain se tiendront des
élections législatives, et début 2017 des élections présidentielles. Si
les critiques de la part des alliés des États unis et de la part de
l’opposition républicaine quant à l’accord sur le nucléaire iranien sont
fortes, il en va de même pour l’opposition interne dans le pays perse.
Certains secteurs estimant que cet accord représente un recul face aux
Américains.
Ainsi, la levée des sanctions permet au gouvernement iranien de
présenter des « résultats concrets » de sa politique internationale de
dialogue avec Washington. Cependant, l’interrogation porte sur la
capacité du gouvernement à traduire cette réussite en croissance
économique. Et le principal obstacle pour cela est le faible prix
international du pétrole, dont la levée des sanctions contre l’Iran
paradoxalement est une pression supplémentaire à la baisse.
En effet, dès l’annonce de la levée des sanctions le gouvernement
iranien a déclaré qu’il prétendait produire 500 000 barils
supplémentaires de brut par jour pour atteindre progressivement le
niveau d’avant les sanctions (soit 2,5 millions de barils par jour,
contre 1 million par jour actuellement). Au-delà des sérieux doutes sur
la réelle capacité du pays perse à atteindre ces objectifs
(l’infrastructure iranienne nécessiterait d’être renouvelée), on craint
que la production supplémentaire de pétrole ne vienne aggraver la
situation économique des pays producteurs.
Depuis la mi-2014 le prix du pétrole a chuté de 70%, passant d’une
moyenne de 100 $ le baril entre 2008 et 2014 à moins de 30 $ le baril
actuellement. Mais l’évolution de ces dernières semaines est alarmante
pour les pays producteurs. En effet, fin 2015 le baril coutait 36,6 $,
le 15 janvier il coutait 29 $, soit une chute de 20% en seulement deux
semaines.
Le problème central pour les pays producteurs c’est qu’ils n’arrivent
pas à prendre des mesures capables de stopper la chute du prix du brut
comme pourrait être la baisse la production. En effet, une telle mesure
se révèle très compliquée actuellement car cela implique un accord entre
des pays qui sont en même temps concurrents économiques et
géopolitiques. Si l’un des pays réduisait sa production, ça serait au
bénéfice d’un autre qui ne l’aurait pas fait. Et surtout que ces pays se
trouvent dans une lutte pour conquérir ou garder des parts de marché.
Tout cela rend difficile une entente pour faire monter le prix du baril
ou au moins stopper la chute du prix.
À cela il faut ajouter une lutte économique entre les pays de l’OPEP,
notamment l’Arabie Saoudite, et les producteurs de pétrole de schiste
nord-américains. L’Arabie Saoudite, par cette stratégie de baisse des
prix cherche notamment à s’en prendre aux exploitations de pétrole de
schistes américains, devenus non rentables du fait de la faiblesse du
prix du baril. C’est une véritable guerre des prix que sont en train de
se mener ces deux pays qui sont à la fois partenaires géopolitiques et
concurrents économiques. Une situation qui exacerbe encore davantage les
rivalités et les tensions au niveau international.
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