Philippe Alcoy
Peu importe qu’elle soit sainte, le nerf de la guerre c’est 
l’argent. L’État peut être islamique, l’économie est capitaliste. Et, en
 temps de crise, la recette est la même que dans n’importe quel « État 
infidèle » : l’austérité.
Non sans ironie et avec un brin de dérision les journaux 
internationaux ont informé ces derniers jours de la mesure drastique 
prise par les autorités de Daesh : le salaire de ses combattants, quel 
que soit le rang, va être raboté de 50%. Ainsi, les djihadistes seront 
payés désormais moins de 200 euros par mois et les djihadistes venus de 
l’étranger autour de 370 euros par mois.
Une paye bien misérable pour des « guerriers d’Allah ». Et cela même 
avant la coupe dans les salaires d’ailleurs. Cependant, ce salaire reste
 supérieur ou du moins égal à celui des membres des forces armées de 
n’importe quel État de la région. Les combattants de Daesh ne verront 
cependant pas leur aide alimentaire coupée.
Il y a plusieurs facteurs qui expliquent les difficultés économiques 
de Daesh. Il y a tout d’abord une intensification des bombardements 
contre des cibles économiques : banques, puits de pétrole, routes, ponts
 et différentes infrastructures dans le territoire contrôlé par Daesh. 
Et cela aussi bien de la part de la coalition dirigée par les États-Unis
 que par la Russie.
Cette offensive rend plus difficile l’acheminement du pétrole et a 
comme effet une augmentation du prix de celui-ci le rendant moins 
compétitif. Parallèlement, suite à des accusations répétés de complicité
 entre le gouvernement de Erdogan et Daesh, il y a un plus grand 
contrôle à la frontière turque, par où une partie du pétrole de Daesh 
transite habituellement.
Mais au-delà de ces éléments on doit mentionner également la baisse 
du prix du pétrole. L’économie de Daesh n’est pas totalement coupée de 
l’économie mondiale. Et le prix du pétrole produit par Daesh est aussi 
lié aux prix internationaux du baril de brut. Avec un baril à moins de 
30 dollars, les profits de l’État islamique sont à la baisse. Cette 
baisse des gains de Daesh serait encore plus importante, selon un 
analyste cité par Le Monde , car « sur environ 80 puits exploités sur les territoires sous son contrôle, l’État
 islamique en a perdu 69 en un an et demi. La plupart des puits restants
 sont vieillissants et ne suffisent plus à répondre à ses besoins 
militaires et à ceux des populations vivant dans sa zone ».
Daesh au pouvoir, le pouvoir de Daesh
A la différence d’autres organisations dites « terroristes » comme 
Al-Qaeda, Daesh possède une caractéristique qualitativement différente :
 c’est une organisation qui gouverne une zone où l’on estime qu’habitent
 10 millions de personnes. Daesh ne dépend pas (simplement) de dons 
particuliers depuis l’étranger, il possède une structure économique 
propre basée sur l’industrie pétrolière.
Tout cela implique une gestion économique, sociale et politique assez sophistiquée. Un article du Financial Times
 d’octobre dernier analysant le fonctionnement économique de l’État 
Islamique, expliquait par exemple que la mise en route de l’industrie 
pétrolière dans les territoires de Daesh impliquait l’embauche de 
personnel qualifié tels qu’ingénieurs, formateurs, ouvriers qualifiés, 
managers, etc.
Dans ce même article on expliquait le risque de déstabiliser économiquement l’État Islamique : « le
 diesel et le pétrole produit dans les zones de Daesh ne sont pas 
seulement consommés dans le territoire contrôlé par le groupe mais aussi
 dans des zones techniquement en guerre contre lui, telles que le nord 
de la Syrie contrôlé par les rebelles : la région est dépendante de 
l’essence des djihadistes pour survivre. Des hôpitaux, des magasins, des
 tracteurs et les machines utilisées pour sortir les victimes des 
décombres fonctionnent grâce à des générateurs boostés par l’essence de 
Daesh ».
En ce sens, mettre à l’arrêt complet la machine économique de Daesh 
pourrait aussi avoir des conséquences pour les alliés des occidentaux 
dans la région.
Les limites de Daesh au pouvoir
Cependant, ce serait erroné de croire que cela fait un Daesh « tout 
puissant ». Au contraire, la gestion d’un vaste territoire peuplé par 
des millions de personnes, et non simplement la gestion de combattants, 
impose certaines contraintes et également des risques.
D’un point de vue économique, l’industrie pétrolière, comme toute 
industrie, a besoin non seulement d’une expertise assez avancée mais 
aussi de l’entretien et du renouvellement des machines ainsi que 
d’améliorations techniques et de l’organisation du travail. Pour cela 
Daesh devra investir. Or, dans la situation d’isolement international 
dans lequel se trouve l’État Islamique il est difficile d’imaginer qui 
pourrait prendre le risque de lui prêter de l’argent. L’autofinancement 
ne sera pas suffisant. Mais l’argent ne suffit pas. La technologie, pour
 une industrie qui demande tant de précision, est détenue 
essentiellement par des pays impérialistes aujourd’hui en guerre contre 
Daesh.
Une option serait que Daesh ouvre des voies de négociation avec 
certaines puissances. Même si rien ne peut être exclu, pour le moment 
cette option semble complètement fermée. Aucune puissance ne déclare 
(ouvertement) vouloir négocier quoi que ce soit avec l’État Islamique 
actuellement. En effet, sur un plan géopolitique et militaire Daesh n’a 
aucun allié étatique.
Une
 autre question centrale est celle de la gestion sociale du territoire 
contrôlé par Daesh. Il est évident que, pour se maintenir au pouvoir, 
l’organisation islamiste ne peut pas seulement avoir recours à la 
« terreur », il lui faut créer du consensus avec une partie de la 
population. C’est cela qui explique sa politique « sociale » comme les 
aides aux familles des combattants, les subventions pour certains 
produits de base comme le pain, entre autres.
Or précisément, les mesures drastiques d’économie prises par Daesh 
n’affectent pas que les combattants mais l’ensemble de la population 
vivant dans les territoires que celui-ci contrôle. Ainsi, selon 
l’article du Monde déjà cité : « A Rakka (…) l’EI a annoncé en
 ce début d’année une libéralisation de son prix, laissant aux fours à 
pain de la région la latitude de déterminer le prix de la denrée, 
jusque-là fixé par l’organisation, qui la subventionnait. (…) A la 
mi-janvier, le kilogramme de pain se vendait autour de 135 livres 
syriennes (0,65 euro) – 86 livres au début de l’année 2015 –, contre 50 
livres à Damas. (…) La consommation quotidienne de pain dans la province
 de Rakka se serait effondrée de 70 % en volume sur une année (…) Et le 
coût du fioul, alors que les températures dans la vallée de l’Euphrate 
flirtent régulièrement avec les 5 °C en cette saison, augmente 
régulièrement ».
Tout cela met à l’épreuve Daesh. On ne peut donc pas exclure que la 
contestation parmi la population et même parmi des factions du pouvoir 
n’apparaissent dans la prochaine période. Il est évident que des 
révoltes dans les territoires contrôlés par Daesh pourraient avoir des 
conséquences directes dans les territoires contrôlés par les forces 
rebelles et par celles du régime. C’est du côté du resurgissement d’une 
nouvelle vague de contestation populaire dans la région que peut venir 
l’espoir pour les exploités et opprimés en Syrie et ailleurs.

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