Philippe Alcoy
Publié le 18 décembre 2015
« Avec moi, disait-il, tu vas vivre dans un appartement luxueux…
Des acomptes tous les jours… Le fond est bon, disait-il, mais j’ai
horreur des chats… » (Extrait de Cœur de chien – 1925 – de Mikhaïl Boulgakov).
Parfois la réalité dépasse la fiction. Parfois la fiction
se mêle à la réalité, sans que l’on puisse faire la différence. Filip
Filipovitch est le personnage principal du roman de Mikhaïl Boulgakov Cœur de chien
écrit en 1925. Filip Filipovitch c’est un chien qui, grâce à
l’expérience du professeur Preobrajenski, devient un Homme et arrive
même à intégrer l’appareil de la bureaucratie soviétique au début des
années 1920. Barsik est un chat qui mène une vie calme à Barnaul en
Sibérie. Il est également le plus populaire des candidats à la mairie de
la ville pour les élections de dimanche prochain. L’histoire de Filip
Filipovitch n’est pas réelle. Celle de Barsik oui. Toutes les deux sont
surréalistes…
Tout commence quand le groupe Altai Online décide de mener un
sondage concernant les six candidats à la mairie de Barnaul en Sibérie
occidentale. Sauf que pour l’occasion ils ont ajouté, aux six candidats
humains, la candidature de Barsik, un chat âgé de 18 mois. Et résultat
inattendu, avec plus de 2000 participants Barsik devançait de loin ses
rivaux : plus de 90% des votants préféraient le candidat félin !
L’affaire a envahi les réseaux sociaux, déjà très accros aux aventures des chatons, la presse russe et internationale. « Qu’on
le veuille ou pas, Barsik fait partie de l’establishment politique de
la région et ne va pas abandonner ses ambitions politiques », déclarait le responsable du groupe promoteur du candidat chat.
Un régime corrompu et profondément antidémocratique
Au-delà du contenu surréaliste et humoristique que cette affaire
comporte, il faut comprendre ce qu’elle exprime plus profondément. En
effet, la ville de Barnaul a été touchée par un grand scandale de
corruption qui a forcé l’ancien maire à démissionner il y a six mois.
Celui-ci, à travers une combine impliquant l’administration locale,
achetait et revendait des terrains à des prix cassés favorisant des
membres de sa famille qui ensuite revendaient les terrains à des prix
beaucoup plus élevés.
Ce type de scandale de corruption se répète par centaines à travers
tout le pays. Peu importe qui vient remplacer ceux qui se font attraper,
l’histoire semble se répéter toujours.
Dans le cas de Barnaul il faudrait ajouter aussi une violation
ouverte du fonctionnement démocratique le plus élémentaire : depuis cinq
ans les maires de la ville étaient désignés par le pouvoir central.
C’est dans ce contexte de corruption et d’un régime complètement
antidémocratique qu’il faut comprendre le succès de Barsik le chat
candidat. « On ne connait pas leurs programmes [des candidats à mairie],
ni leurs motivations ni ce qu’ils veulent faire de la ville »,
déclarait encore le responsable d’Altai Online.
La candidature de Barsik est en effet une réponse « absurde » à une
situation absurde ; une manifestation du fait que les classes populaires
ne sont pas stupides et sont bien au courant de cette farce
démocratique.
C’est un phénomène qui exprime une profonde méfiance vis-à-vis du
régime politique et ses partis. On pourrait dire que la candidature de
Barsik est un phénomène de la même nature que celles des personnages de Star Wars
lors des élections locales en Ukraine. Dans ce pays d’ailleurs, un
candidat, sous la casquette du personnage de la saga « Darth Sidious » a
été élu au conseil municipal de la ville d’Odessa. Dans cette même
ville d’Odessa, « Chewbacca » (un autre personnage de Star Wars) avait
été interpellé pour mener « campagne illégalement » aux abords d’un
bureau de vote.
Mais au-delà de ces réponses ironiques sur le ton même de la moquerie
il est certain que pour les travailleurs et les classes populaires de
Russie, tôt ou tard, l’affrontement avec le régime est inévitable pour
lutter contre la corruption, la limitation des droits démocratiques les
plus élémentaires mais aussi contre les attaques à leurs conditions de
vie qui se multiplieront au fur et à mesure que la crise économique
s’approfondit. La lutte actuelle des transporteurs
semble être déjà un signal d’alarme pour le gouvernement. Derrière un
chat candidat, un mécontentement social profond peut se cacher…
Source: RP
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