Philippe Alcoy
Si en temps de « paix sociale » les médias dominants peuvent faire
semblant de laisser une certaine place à une pluralité de discours sur
les faits d’actualité, en temps de crise sociale et politique, de lutte
de classes et d’injonction à la « responsabilité » face à « l’intérêt
national », ils révèlent leur vraie nature : de simples agences de
communication au service, en l’occurrence, du gouvernement, des classes
dominantes en général. Ce dimanche 29 novembre, à l’occasion de la
répression des manifestants pour le climat dans le contexte de la COP
21, et contre l’état d’urgence et les interdictions de manifestation,
n’a pas fait exception, à un niveau d’intox qui en dit long sur ce à
quoi gouvernement et médias sont prêts.
Les bons et les mauvais manifestants
La première opération de communication face à la répression à la
Place de la République a consisté à séparer les « bons » manifestants,
inoffensifs pour le gouvernement, et les « mauvais » manifestants,
radicalisés et voulant « en découdre ».
Les premiers, encadrés par des organisations totalement inféodées au
cadre institutionnel de la COP21, comme expliquait un des organisateurs
de la « chaine humaine », seraient la preuve « qu’une mobilisation bien organisée, canalisée, pouvait se passer très bien ». Ces manifestants « citoyens », seraient les seuls « légitimes » et « acceptables ».
Les « mauvais » manifestants, au contraire, n’auraient pas été là,
disent-ils, pour l’écologie mais, comme par exemple l’exprime Libération, en vue de la « contestation de la politique gouvernementale ». Ils osent contester l’état d’urgence, quel scandale !
Cette « diabolisation » se combine à une tentative de ridiculisation
des secteurs les plus conscients des manifestants à travers des
caricatures qui les présentent comme des « idéalistes violents ». Ainsi,
Le Figaro se déchaine et les présente comme ceci : « Difficile
de cerner les revendications des militants, qui ont crié des slogans
variés face aux CRS : "L’état d’urgence, on s’en fout, on ne veut plus
d’état du tout !", "Les gaz lacrymo, c’est pas très écolo !", "Liberté,
liberté, liberté !". Clairement, les forces de l’ordre étaient
l’objectif et la raison d’être des manifestants les plus radicaux qui
portaient des cagoules ou des masques, et tentaient de charger la police
aux cris de "ACAB", le fameux cri anticapitaliste signifiant "All Cops
Are Bastard" ("tous les flics sont des connards") ».
Manifestants « profanateurs » de la mémoire des victimes des attentats
L’autre discours qui a eu beaucoup d’écho dans les médias a été celui
qui présente les manifestants comme des irrespectueux de la mémoire des
victimes des attentats du 13 novembre dernier. Pour preuve de cette
véritable « profanation », comme certains n’ont pas hésité à le dire
:certains « militants violents » auraient récupéré des bougies ou des
pots de fleurs dans le mémorial aux victimes des attentats pour les
lancer à la police.
Mais l’article déjà cité du Figaro va en réalité déjà plus loin, il dresse un portrait type du parfait « ennemi intérieur extrémiste » : « Un
autre [manifestant] a tenté de mettre le feu à un drapeau français pris
sur le mémorial. Pour l’allumer, il se sert de dessins d’enfants posés
là en hommage ». Les manifestants réprimés sur la place de la
République seraient ainsi responsables de dégradations irrespectueuses
du mémorial, coupables de porter atteinte au symbole qui représenterait
cet endroit, et, en vérité, rien de plus que des… terroristes à traquer
avec une « fermeté totale » comme l’a dit Cazeneuve hier soir.
Or, alors que dans la presse il n’y a presque pas d’images montrant
clairement des manifestants« se servant » des bougies du mémorial,
« étrangement » les images qui, elles, circulent le plus pour l’instant,
sont celles où l’on voit clairement des CRS marcher sur le mémorial et
pratiquement tout détruire. Mais ces images n’ont été diffusées que sur
les réseaux sociaux. Rien de tel sur les écrans de télé ou sur les pages
des principaux journaux.
Répression préméditée
Selon Libération, la présence policière était « plutôt discrète ».
Drôle de façon de percevoir la discrétion ! Au contraire, la présence
policière était envahissante, des images et des témoignages le
démontrent clairement.
Plusieurs témoignages dénoncent l’attaque par la police de
manifestants présents sur les lieux et qui démontraient n’avoir aucune
intention de s’affronter avec eux. Parfois il y a eu des interpellations
et du matraquage de manifestants assis par terre exigeant juste la
libération d’autres manifestants encerclés par les CRS.
Mais il n’y a pas que ça. L’incident qui a permis de « justifier » la
répression est pour le moins très douteux. Un groupe de 20-30 personnes
encagoulées qui se détachent de la manifestation et commencent à
s’affronter avec la police présente en grand nombre. La réponse de la
police est immédiate. Des gaz lacrymogènes et du spray piment ; des
coups de matraques et près de 300 interpellations dont 174 gardes à vue.
Mais comme affirme Reporterre : « les « hommes en noir » qui
ont suscités [les affrontements] ont rapidement disparu (…) sans
qu’apparemment aucune interpellation n’ait lieu ».
Connaissant les méthodes d’infiltration de la police, cet évènement
est plus que douteux. Notamment, que les déclarations des représentants
du gouvernement à commencer par Hollande, semblent indiquer que
l’objectif était bel et bien « taper fort » dès le début de la COP21
pour éviter que les manifestations se multiplient malgré l’interdiction
de manifester, voire pour chercher un prétexte pour prolonger
l’interdiction de manifester.
En effet, après la répression à République Hollande déclarait depuis Bruxelles : « c’est
pourquoi ces manifestations ne sont pas autorisées. Nous savions qu’il y
avait des éléments perturbateurs qui n’ont rien à voir d’ailleurs avec
les défenseurs de l’environnement ou ceux qui veulent que la conférence
(COP21) réussisse, et qui sont là uniquement pour créer des incidents.
C’est pour ça qu’il y avait eu des assignations à résidence… ».
On voit alors que cette collusion des médias avec le gouvernement
participe de la « diabolisation » des militants contestant la politique
répressive de Hollande avec son état d’urgence et la limitation des
droits démocratiques fondamentaux. Elle sert à justifier officiellement
l’extension de la « lutte contre le terrorisme » à celle contre les
« extrémistes de tout type ». C’est-à-dire, en l’occurrence, les
militants syndicalistes combattifs, militants politiques, etc. Ce n’est
pas par hasard que ce soit le cortège formé par des militants du NPA,
d’Alternative Libertaire, d’Ensemble, etc., qui ait été traqué et
proprement raflé en masse par la police sur la place de la République.
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