Philippe Alcoy
Publié le 27 novembre 2015
Semaine d’intense activité diplomatique pour le gouvernement
français. Hollande a rencontré en quatre jours le premier ministre
britannique David Cameron, le président nord-américain Barak Obama, la
chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Vladimir
Poutine. Objectif : mettre en place une large coalition unique
anti-Daech. Si la mission semblait déjà difficile, la destruction d’un
avion de combat russe par la Turquie mardi dernier l’a rendu presque
impossible, au moins à court terme. Seule nouveauté : la France ouvre la
porte à une coopération avec l’armée syrienne de Bachar Al-Assad dans
la lutte contre l’EI.
Au lendemain d’une rencontre entre Hollande et Poutine, qui
n’a fait que confirmer le fait que les deux pays ne coopéreront pas
militairement en Syrie mais coordonneront plutôt leurs frappes, le
ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, déclarait sur
l’antenne de RTL : « il y a deux séries de mesures : les
bombardements, (…) et des forces au sol, qui ne peuvent pas être les
nôtres, mais qui peuvent être à la fois des forces de l’Armée syrienne
libre, des forces arabes sunnites, et pourquoi pas des forces du régime
et des Kurdes également bien sûr ».
Le gouvernement français affirme que son projet de grande coalition
anti-Daech n’est pas encore tout à fait mort. Or, pour le moment le
résultat concret de son activité internationale n’est ni plus ni moins
qu’un pas vers le régime du boucher Al-Assad. « Mieux vaut tard que
jamais. Si Fabius est sérieux concernant l’idée de travailler avec
l’armée syrienne et avec les forces sur le terrain qui combattent Daech,
alors nous saluons [cette position] », s’est empressé de déclarer
le ministre des affaires étrangères syrien, Walid Mouallem. Le régime
syrien est conscient que ces déclarations de Fabius résonnent comme une
petite victoire pour lui.
Quant à la Russie, même si des désaccords persistent avec la France,
notamment vis-à-vis du futur d’Assad, la position de Hollande semble de
plus en plus souple et prête à des compromis.Non seulement, il est en
train d’envisager de sortir l’allié syrien de l’isolement de Poutine,
mais la coordination militaire des deux pays contre Daech se précise. Ce
rapprochement pourrait permettre à Poutine d’essayer de convaincre les
puissances de l’UE d’assouplir les sanctions économiques qui pèsent sur
son pays.
La politique des impérialistes vis-à-vis d’Assad ne répond à aucun principe démocratique
L’attitude vis-à-vis du régime syrien des puissances impérialistes
occidentales dans les négociations sur la crise syrienne varie et évolue
selon la conjoncture. Entre les impérialistes de l’UE et les
États-Unis, il semble y avoir un accord sur le fait qu’Assad doit partir
pour « trouver » une solution à la guerre. C’est une question sur
laquelle même la Russie s’est montrée ouverte. Seulement, la discorde
apparaît sur les modalités et le moment du départ d’Assad.
Pour la Russie, Assad fait partie de la solution en Syrie et de la
lutte contre Daech, et en dernière instance c’est le peuple syrien qui
doit décider s’il reste ou non, à l’issu d’un processus de transition.
Pour les puissances occidentales, le départ d’Assad est une condition
fondamentale pour envisager une transition en Syrie. Cependant, l’avis
de ces puissances divergent également entre elles sur les modalités et
le temps. Et cela à tour de rôle.
En réalité, pour le moment, les impérialistes n’ont pas d’option de
rechange pour Assad et sont conscients que la chute du régime syrien
dans les conditions actuelles pourrait ouvrir la possibilité d’une
situation encore plus chaotique et incontrôlable. En ce sens, comme
Fabius vient de le reconnaître, ils ont besoin d’Assad et surtout de la
Russie pour mener à bien un éventuel processus de transition, mais aussi
pour mener des opérations militaires contre Daech.
Cependant, la position des puissances impérialistes vis-à-vis d’Assad
ne varie pas en fonction de quelconques « principes démocratiques ». Il
y a bien évidemment l’objectif de ne pas renforcer l’influence de la
Russie en Syrie, mais cette position varie également en fonction des
intérêts des différents pays impérialistes et de leurs rivalités. Ainsi,
depuis les attentats de Paris, alors que la France semble plus
« ouverte » au régime d’Assad, peut être pour des questions
pragmatiques, la Russie et les États-Unis sont au contraire plus
réticents. Quelques semaines auparavant, les rôles étaient inversés...
Rivalité inter-impérialiste
En effet, la situation en Syrie révèle à sa façon la concurrence
entre les États-Unis et les puissances centrales de l’UE, en
l’occurrence la France. Comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises,
depuis qu’une possibilité de « transition pactisée » s’est ouverte en
Syrie, la France essaye d’avoir une politique indépendante vis-à-vis de
la coalition dirigée par les États-Unis, avec pour objectif de faire
avancer ses intérêts économiques et géopolitiques dans la région.
La France restait jusqu’alors en dehors du cercle restreint des pays
qui étaient en train de négocier une éventuelle transition (États-Unis,
Russie, Turquie, Arabie Saoudite). Cependant, les attentats de Paris,
qui ont poussé le gouvernement français à accentuer sa politique
guerrière en Syrie, lui ouvrent la possibilité de prétendre devenir un
acteur plus « légitime » en Syrie et de trouver une place dans le
« cercle restreint ».
Les besoins militaires de l’approfondissement de l’intervention
française en Syrie ont poussé Hollande à se rapprocher du régime d’Assad
et de la Russie, en les incluant dans le plan de grande coalition. Ce
tournant du gouvernement français, accéléré par les attentats du 13
novembre, le met au centre de la politique en Syrie. Dans ce cadre, la
France pourrait bénéficier de l’accélération d’une « transition »
politique. Mais c’est ce changement de situation qui explique également
la nouvelle position plus « intransigeante » d’Obama vis-à-vis du régime
d’Assad et de la Russie.
En ce sens, l’attaque de l’avion de combat russe par la Turquie, dont
le régime est complètement subordonné aux États-Unis mais qui poursuit
également ses propres objectifs en Syrie, tombe très bien : c’est cet
événement qui permet de rendre pratiquement impossible dans l’immédiat
la coalition large souhaitée par la France. Cela permet aux États-Unis
de gagner du temps soit pour créer un nouveau cadre de discussion, soit
pour laisser passer le temps et que la France apparaisse moins au centre
de la situation en Syrie.
Les objectifs de la Russie en Syrie sont évidemment réactionnaires.
Cependant, ils n’ont rien à voir avec ceux des pays impérialistes
centraux. La Russie est certes un pays avec une énorme puissance
militaire, comparable en ce sens aux pays impérialistes les plus
importants, mais il s’agit d’un pays qui a connu un processus de
désindustrialisation profond au cours des années 1990, et son économie
est devenue complètement dépendante de l’exportation des hydrocarbures
et matières premières.
Elle intervient en Syrie avec l’objectif de défendre sa seule
position militaire et alliée en dehors des ex républiques soviétiques,
ainsi que pour sortir de l’isolement international dans lequel elle se
trouvait après le déclenchement de la crise ukrainienne. C’est une façon
pour Poutine de convaincre les puissances occidentales, notamment au
sein de l’UE, d’assouplir les sanctions économiques qui pèsent sur elle.
Autrement dit, ses objectifs sont défensifs.
Ces derniers mois ont démontré qu’il n’était pas simple d’atteindre
ces objectifs aussi rapidement que le gouvernement russe l’aurait voulu.
Cependant, si les rivalités entre les États-Unis et les puissances
européennes comme la France, qui ont besoin d’alliés en Syrie,
continuent à se développer, cela pourrait aboutir sur un rapprochement
pragmatique avec la Russie et une possible brèche dans la politique de
sanctions économiques contre ce pays.
Source: RP
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