Philippe Alcoy
Publié le 3 décembre 2015
« Nous n’oublierons jamais (...) ceux qui ont tiré dans le dos de nos
pilotes. (...) Ils vont regretter ce qu’ils ont fait. Ceux qui croient
que la réplique de la Russie se limitera à des sanctions commerciales se
trompent ». Voilà le message menaçant que Vladimir Poutine a adressé à
la Turquie, dix jours après qu’un avion de chasse russe ait été abattu
par l’armée turque. Le président russe a affirmé également que désormais
ses avions en Syrie seraient équipés également de missiles air-air, ce
qui témoigne d’une situation de plus en plus tendue.
Les menaces, les accusations et les exigences pour que
l’autre partie s’excuse publiquement vont bon train entre les dirigeants
russes et turcs. Dix jours après la destruction de son avion et le
froid diplomatique qui en a suivi, la Russie est passée aux sanctions
contre la Turquie. Parmi celles-ci on trouve l’interdiction de
l’importation de certains produits alimentaires turques en Russie, la
prohibition aux lignes aériennes turques d’atterrir su le sol russe et
la suspension des échanges universitaires et touristiques entre les deux
pays.
Cependant, selon certains analystes, les sanctions russes ne vont pas
toucher aux grands projets économiques entre les deux pays, comme la
construction du gazoduc TurkishStream, malgré les spéculations, ou la
construction d’une centrale nucléaire. Pour le moment
l’approvisionnement de gaz russe vers la Turquie (55% de la consommation
turque) ne serait pas affecté non plus. Cela n’a pas empêché Erdogan de
signer un accord avec le Qatar pour importer du gaz naturel liquéfié,
une tentative claire de diversifier ses fournisseurs de gaz.
L’une des premières accusations de Poutine contre le régime turc a
été de « révéler » sa complicité avec Daesh dans la vente et l’achat du
pétrole extrait en Syrie et en Irak. Mais cette semaine les accusations
ont été dirigées directement contre Erdogan et les membres de sa
famille. Ainsi, le vice-ministre de la défense russe, Anatoli Antonov,
déclarait : « Vous ne vous posez pas de questions sur le fait que le
fils du président turc s’avère être le dirigeant d’une des principales
compagnies énergétiques et que son beau-fils a été nommé ministre de
l’énergie ? Quelle merveilleuse entreprise familiale ! ».
Erdogan, qui avait déjà proposé sa démission si la Russie arrivait à
prouver la complicité de la Turquie avec le trafic de pétrole de Daesh, a
réagit en dénonçant une « calomnie ». Cependant, cette accusation russe
a déjà été avancée dans plusieurs journaux occidentaux.
Le nationalisme russe dans l’ombre de la politique extérieure de Poutine
Depuis le début de la crise ukrainienne et l’intensification de
l’intervention russe en Syrie, le nationalisme russe est en pleine
montée. Suite à l’incident avec l’avion de chasse russe, le sentiment
antiturc a aussi augmenté. La semaine dernière en effet l’ambassade
turque a été attaquée avec des pierres et œufs par des manifestants
russes, sous le regard passif de la police.
Les médias russes se sont également déchainés contre la Turquie,
rappelant la propagande poutinienne contre le régime pro-impérialiste de
Kiev. En ce sens, la télévision russe a révélé que l’un des combattants
turkmènes, Alparslan Celik, que l’on voit dans une vidéo tirant contre
les pilotes de l’avion russe, tuant l’un d’entre eux, est en réalité le
fils du leader d’un groupe nationaliste turc. Cela a permis à la presse
russe de parler des « fascistes d’Erdogan ». Sans aucun doute des
groupes d’extrême droite fascisants qui soutiennent le gouvernement
d’Erdogan existent. Mais, les médias russes complètement soumis au
gouvernement semblent oublier les groupes fascisants qui soutiennent
aussi Poutine.
Les Etats-Unis tentent de calmer le jeu
Suite à la perte de terrain de son allié Bachar Al-Assad en Syrie, la
Russie a décidé d’y intensifier son intervention militaire pour
protéger sa base navale militaire de Tartus ainsi que sa base aérienne
de Lattaquié. Ces deux bases militaires russes se trouvent au nord de la
Syrie à proximité de la frontière avec la Turquie. A cela il faut
ajouter les bases militaires que la Russie possède en Arménie, un autre
pays limitrophe d’Ankara.
Mais ce n’est pas seulement cet « encerclement » de la Turquie par la
Russie qui inquiétait Erdogan. Celui-ci voyait dans les bombardements
russes en Syrie un obstacle pour atteindre ses propres objectifs dans le
pays. En effet, les frappes russe visent Daesh mais aussi des groupes
d’opposition à Assad, dont certains soutenus par la Turquie comme les
rebelles turkmènes. C’est dans ce contexte que l’avion de combat russe a
été abattu.
Cette situation rend plus difficile la mise en place d’une coalition
internationale anti Daesh en Syrie. Les dirigeants des puissances
impérialistes essayent de jouer les médiateurs pour faire baisser les
tensions, mais les résultats, pour le moment, ne sont pas très
concluants.
A la différence des pays comme la France qui ont immédiatement
regretté l’incident, les Etats-Unis ont soutenu son allié en affirmant
dès le début que l’avion russe avait violé l’espace aérien turque.
Cependant, Obama n’a pas affirmé qu’Ankara avait eu raison d’abattre
l’avion de combat russe.
En effet, Obama essaye de jongler dans une situation difficile car il
sait qu’il a besoin de l’un comme de l’autre pour arriver à une
solution politique en Syrie. Comme on l’affirme dans le site d’analyse
géostratégique américain Foreign Policy :
« Washington a besoin de l’aide du président russe Vladimir Poutine
pour élaborer une solution diplomatique à la guerre en Syrie, ce qui
veut dire qu’il doit faire attention de ne pas aller trop loin dans la
condamnation de la Russie pour avoir violé l’espace aérien turque. En
même temps, la Turquie est une puissance régionale clé et un membre
crucial de l’OTAN. Ne pas soutenir la version des faits présentée par
Ankara, ce serait risquer de perdre un allié américain important ».
Les jours et semaines à venir seront déterminants pour voir si le
conflit entre la Russie et la Turquie se calme ou si l’on se dirige vers
un scénario d’escalade qui pourrait aboutir à des affrontements directs
entre les armées russes et turques. Ce qui est sûr, cependant, c’est
que les relations entre Moscou et Ankara ne reviendront pas d’aussi tôt
au point de collaboration dans laquelle elles se trouvaient avant cet
incident.
Source: RP
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