Philippe Alcoy
Publié le 4 décembre 2015
Maintenant c’est fait, le président de la Chambre des députés,
Eduardo Cunha, a accepté de lancer l’examen de la demande du processus
de destitution contre la présidente brésilienne Dilma Rousseff. Alors
que depuis des mois la menace planait sur sa tête et que, depuis les
secteurs patronaux, on essayait d’éviter ce scénario pour ne pas ajouter
à la crise économique une crise politique, les manœuvres d’une caste
politicienne corrompue ont abouti à cette nouvelle phase de la crise au
Brésil.
Eduardo Cunha, ancien allié du Parti des Travailleurs (PT)
de Dilma et Lula et membre du PMDB (Parti du Mouvement Démocratique
Brésilien), qui est toujours dans la majorité gouvernementale, a décidé
d’accepter la demande d’impeachment déposée par l’opposition le même
jour où celui-ci s’est fait lâché par les députés du PT dans le Conseil
d’Ethique du parlement. En effet, Cunha est impliqué dans des affaires
de corruption, notamment de blanchiment d’argent à travers des comptes
secrets en Suisse dont lui et des membres de sa famille sont
propriétaires.
Pendant des mois les dirigeants du PT avaient décidé de le soutenir
pour qu’il ne déclenche pas l’examen de la demande d’impeachment. A la
mi-octobre, Dilma avait même procédé à un remaniement de son gouvernement
en donnant davantage de poids à son partenaire centriste de coalition,
le PMDB, pour entre autres essayer de s’assurer le soutien de ses
députés en prévision d’un éventuel processus de destitution contre
Dilma.
Le Brésil se trouve dans une situation économique très difficile. Le
PIB est en chute de 4,5%, le chômage et l’inflation montent en flèche.
Cette situation a été aggravée encore plus par le scandale géant de
corruption qui a éclaté autour de l’entreprise nationale de pétrole,
Petrobras, et des entreprises du BTP qui surfacturaient leurs services
avec la complicité de responsables politiques.
L’opposition de droite et les secteurs les plus rétrogrades de la société avaient organisé des manifestations importantes
dans plusieurs villes importantes du pays, sans pour autant arriver à
mobiliser massivement les secteurs populaires, en grande partie en
raison de leur caractère profondément antipopulaire.
Tout cela faisait craindre au patronat que l’ouverture d’une crise
politique puisse empêcher le gouvernement d’avancer sur son plan
d’austérité pour faire face à la crise économique.
En partie parce qu’elle n’était pas capable de canaliser les
manifestants sans s’aliéner complètement des secteurs populaires qui,
désenchantés par le PT, se tourneraient vers elle et d’autre part parce
qu’elle devait répondre aux intérêts de classe de la bourgeoisie,
l’opposition de droite avait même baissé ses ardeurs quant à la demande
de destitution de Dilma.
La question qui se pose alors est : pourquoi les députés du PT ont
décidé de retirer leur soutien à Cunha en sachant qu’il pouvait à son
tour ouvrir le processus menant à un éventuel impeachment ? Même si les
raisons ne sont pas encore très claires, on peut faire l’hypothèse que
le PT a estimé que le moment était arrivé de se débarrasser du chantage
de Cunha. D’une part, le processus ouvert par Cunha qui est impliqué
dans des affaires de corruption lui enlève de la légitimité. D’autre
part, le remaniement du gouvernement qui a donné plus de poids au PMDB
laisse ouverte la possibilité que ses députés soutiennent Dilma au
parlement et que Cunha et l’opposition n’arrivent pas à recueillir les
2/3 requis pour entamer la procédure d’impeachment.
Quoiqu’il en soit, la procédure d’impeachment est très longue et
devra passer par plusieurs étapes avant d’aboutir… ou pas. Des milieux
d’affaires commencent à exiger que le processus, quel que soit le
résultat, soit rapide pour ne pas perdre de temps dans les réformes et
éviter un nouvel abaissement de la note de la dette brésilienne par les
agences de notation.
Dans ce contexte, nous ne pouvons que reprendre les conclusions de nos camarades du quotidien d’extrême gauche brésilien, Esqueda Diário :
« nous ne sommes ni avec Dilma, ni avec la droite. Nous ne défendons
pas l’ouverture d’un processus d’impeachment où les corrompus vont se
juger entre eux. Ceux qui ont le plus à gagner dans ce processus
d’impeachment c’est le PMDB du vice-président Michel Tremer, un parti
connu par ses notables corrompus et qui n’a rien à envier sur ce plan au
PT ou au PSDB [Parti Social-Démocrate du Brésil –droite]. Tout
gouvernement issu d’un très peu probable impeachment serait aussi
mauvais pour les travailleurs et les classes populaires que le
gouvernement de Dilma qui applique l’austérité exigée par les grandes
banques et patrons.
Plus que jamais ce qui est nécessaire dans le scénario politique
national c’est une troisième force, qui représente les intérêts des
travailleurs et de la jeunesse contre le gouvernement de Dilma et du PT
de Lula et contre la droite. Cette alternative doit être forgée dans la
lutte de classes à travers de l’unification des processus de résistance
aux mesures d’austérité qui se sont affrontés aux différents
gouvernements locaux et des différents Etats dirigés par le PT, le PSDB,
le PMDB et leurs alliés. Mais il est nécessaire également d’offrir une
réponse face à la crise politique, qui passe par affronter l’ensemble de
la caste politique qui dirige le pays au profit d’une poignée de
privilégiés. Pour cela nous défendons l’exigence d’une assemblée
constituante, libre et souveraine, imposée par la mobilisation ouvrière
et populaire et organisée indépendamment de l’actuel système de partis
où les travailleurs et les classes populaires puissent débattre de
comment faire pour que ce soient les riches qui payent la crise
actuelle ».
Source: RP
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