Philippe Alcoy
Publié le 4 novembre 2015
« Je ne pense pas que cela soit une priorité. Je l’avais dit il y a
trois ans, cela avait provoqué un scandale, on avait dit “abandon d’une
promesse”… Mais cette promesse, de toute façon, ne sera pas mise en
œuvre. Et je suis convaincu qu’elle ne sera pas reproposée à la
prochaine élection présidentielle (…) ce n’est plus le sujet ». Ce
sont les mots prononcés par Manuel Valls en visite à Sciences Po Paris,
mardi soir, à propos du droit de vote des étrangers aux élections
locales, promesse de campagne de François Hollande. Ce serait un symbole
de la totale faillite d’un gouvernement prétendument de « gauche », si
cette arnaque électoraliste n’était pas devenue une tradition pour le PS
depuis l’élection de François Mitterrand en 1981.
Plus personne ne croyait plus à cette promesse : cette déclaration
n’est en fin de compte qu’une formalité. Mais sous la forme, le symbole
est parlant. En effet, c’est lors d’une conférence à Science Po,
l’élitiste école de formation d’une grande partie du personnel politique
de l’Etat français, que Valls a décidé d’entériner d’une fois pour
toutes la trahison auprès d’une partie de son électorat sensible à cette
question. Justement à Science Po où le FN, qui ne cesse de progresser
dans les sondages, a été reconnu récemment en tant qu’association étudiante.
Dans un contexte non seulement de banalisation des idées xénophobes
et racistes, mais aussi de « droitisation » de l’échiquier politique,
les déclarations de Valls se différencient à peine de celles de la
droite s’opposant au droit de vote des étrangers non-communautaires aux
élections locales. En effet, bien que la position de la droite dépende
de la conjoncture électorale – en 2001 et 2005 Sarkozy lui-même se
disait favorable à ce droit pour les étrangers - il s’agit pour la
droite de s’y opposer au nom de « l’identité nationale ». Valls, quant à
lui, est plus hypocrite, fondant son argumentaire sur un soit-disant
souci de « défense » des étrangers : « On mettrait le pays sous
tension sur un sujet qui ne serait pas jugé comme prioritaire. Le “non”
l’emporterait largement car on remettrait l’immigré – à tort – au cœur
du débat et des tensions ».
Le PS et la négation du droit de vote des étrangers, une vieille habitude
Cependant, il n’y a rien de nouveau dans cette trahison, de la part
de Valls et du PS, de la promesse d’une mesure démocratique bien maigre.
Même les arguments ne sont pas nouveaux.
En effet, depuis la campagne présidentielle de Mitterrand en 1981, le
PS promet d’adopter le droit de vote pour les étrangers aux élections
locales à condition d’être en France depuis cinq ans. A l’époque,
Mitterrand n’avait finalement même pas soumis la mesure au parlement. Le
prétexte avait été que le Sénat, dominé par la droite, bloquerait la
loi. C’est d’ailleurs un des prétextes présentés par Valls, pour qui
cette réforme « ne peut pas se faire » faute d’une « majorité qualifiée ».
Lors de l’élection de 1988, Mitterrand, prenant les Français pour des
imbéciles, regrettait que « les mœurs » ne permettent pas que la
société française accepte une telle mesure. Cette fois-ci, ce ne serait
donc pas la droite qui ferait barrage, mais les « mœurs » trop
« arriérées » de la société française. Un argument également véhiculé
actuellement par Valls, qui affirme qu’un référendum sur la question
donnerait forcément une victoire pour le « non » au droit de vote.
En 1997, lors de la formation du gouvernement de « l’unité de la
gauche » et de la « cohabitation » avec le président Chirac, le PS
ressort cette promesse de son chapeau. Un texte de loi est même adopté à
l’Assemblée en 2000 mais Lionel Jospin, alors Premier Ministre, refuse
de le transférer au Sénat… à cause de la majorité de droite qui y
dominait.
En 2012, Hollande brandit une nouvelle fois la promesse d’adopter
cette mesure démocratique élémentaire. Mais de nouveau le PS, une fois
arrivé au pouvoir, n’esquisse pas le moindre geste pour mettre cette
promesse à exécution. Au moins maintenant c’est officiel, la promesse
est enterrée : « elle n’est plus une priorité », « elle n’est plus le
sujet ».
La discrimination des étrangers par l’Etat est loin de concerner seulement le droit de vote
Le droit de voter et d’être élu à toutes les élections, sans
condition pour les étrangers résidant en France quelle que soit la durée
du séjour, est un droit démocratique élémentaire. Depuis presque 35
ans, le PS utilise cette revendication de façon démagogique dans les
campagnes électorales ; mais quand il arrive au pouvoir, rien n’est
fait.
La proposition reprise par le PS est pourtant elle-même très
limitée : il ne s’agit aucunement de promettre le droit de vote à toutes
les élections, mais seulement aux élections locales.
De cette façon le PS participe pleinement au maintien des étrangers
dans une situation de discrimination et de négation du droit
démocratique de pouvoir participer à l’élection des représentants censés
gouverner le pays dans lequel ils vivent.
Or, la négation du droit de vote n’est pas la seule expression de
cette discrimination d’Etat envers les étrangers. Selon la HALDE, en
France, le nombre d’emplois fermés aux étrangers en provenance des pays
hors UE est estimé à 7 millions, soit 30% de l’ensemble des emplois.
Parmi ces postes, il y a évidemment ceux de la fonction publique (5,2
millions de postes) ; mais encore les emplois permanents dans les
entreprises de services publics tels qu’EDF-GDF ou la Banque de France.
Cependant, dans le privé aussi il existe des restrictions pour les
étrangers : 17 professions sont soumises à une stricte condition de
nationalité française, dont les postes de directeurs de publications de
presse. Les professions libérales relevant pour la plupart d’un ordre
professionnel (médecins, avocats, chirurgiens-dentistes, sages-femmes,
experts-comptables, architectes, etc.) sont également soumises à une
condition de nationalité communautaire.
Les étrangers hors UE peuvent parfois accéder à des emplois dans la
fonction publique ; mais cela se fait alors en marge du statut de
fonctionnaire, dans des conditions de travail beaucoup moins favorables,
et avec des salaires plus bas que les fonctionnaires titulaires - comme
c’est par exemple le cas des médecins ou des enseignants contractuels.
Toutes ces raisons, parmi d’autres, expliquent que le taux de chômage
des étrangers hors UE soit de 22,2%, alors que la moyenne nationale est
de 10%. En France, c’est la République qui, la première, applique la
préférence nationale à l’embauche dans le service public.
Comme on voit, la discrimination et la négation des droits
démocratiques élémentaires des étrangers sont des éléments structurels
du capitalisme français. En tant que fidèle représentant des classes
dominantes, le PS ne peut que participer à cette oppression des
étrangers en France. C’est à la classe ouvrière qu’il revient donc de
lutter aussi pour les droits démocratiques les plus élémentaires de nos
frères et sœurs venus d’ailleurs.
Source: RP
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