Philippe Alcoy
Publié le 5 novembre 2015
Mercredi matin le Premier ministre Victor Ponta présentait sa
démission, au lendemain d’une manifestation massive, mardi soir, où
20000 personnes ont défilé dans les rues de la capitale roumaine.
L’élément déclencheur de cette mobilisation a été l’incendie d’une boîte
de nuit vendredi soir dernier où 32 personnes ont perdu la vie et où
plus de 140 personnes ont été blessées. Cependant, la contestation vise
un système politique corrompu et les partis qui ont gouverné le pays
depuis 26 ans.
La démission du Premier ministre V. Ponta cherchait
clairement à calmer les manifestants et empêcher que le mécontentement
s’étende. Mais la manœuvre n’a pas empêché que le soir même 30000
personnes descendent à nouveau dans les rues de Bucarest ainsi que dans
d’autres villes du pays.
La peur de l’ouverture d’une période d’instabilité politique est
redoutée par les puissances occidentales ainsi que par leurs partenaires
locaux. En ce sens, l’ambassadeur américain s’est empressé de déclarer
qu’il saluait « l’exercice non violent de la liberté d’expression et de rassemblement »
et que les États-Unis comptaient collaborer avec le président roumain,
Klaus Iohannis, et le Premier ministre par intérim, Sorin Campeanu
ex-ministre de l’Éducation du gouvernement Ponta.
En effet, cette démission se produit quelques jours seulement après
que le gouvernement du pays voisin, la Moldavie, tombe suite à un
scandale de corruption qui a fait descendre aussi des milliers de
personnes dans les rues de Chisinau.
Rejet profond de la caste politicienne
Ce qui ressort des manifestations c’est un refus profond des
politiciens qui ont gouverné le pays depuis 1989 et de l’ensemble des
partis politiques du régime. « À bas le système mafieux » ; « justice nulle part, corruption partout » ; « À bas le parlement », étaient certains des slogans qu’on pouvait entendre.
En effet, même si la démission de Ponta a pris certains par surprise,
elle intervient alors qu’il était poursuivi depuis le mois de septembre
pour évasion fiscale et blanchiment d’argent. Mais Ponta et son parti
(le Parti Social-démocrate) ne sont pas les seuls entachés par la
corruption. L’opposition nationale-libérale est aussi touchée par des
affaires de corruption.
C’est pour cela qu’alors qu’une partie des manifestants exigent des
élections anticipées, d’autres déclarent ne faire confiance à aucun
parti et demandent la formation d’un « gouvernement de technocrates »
indépendant des partis politiques.
Pour répondre à ce sentiment d’hostilité face à la caste politicienne
le président roumain essaye de mettre en place une manœuvre visant à
désamorcer la mobilisation et à donner de la légitimité à un nouveau
gouvernement qui dirige le pays au moins jusqu’aux élections générales
de décembre 2016 : en plus de consulter les différents partis politiques
en vue de la formation d’un gouvernement, il recevra également vendredi
des « représentants de la société civile ».
Manque d’alternatives pour les classes populaires
Ni la formation d’un gouvernement « transitoire » avec des membres du
PSD, ni avec l’opposition libérale, ni un gouvernement « d’unité
nationale » ne représentent une alternative pour les travailleurs et les
classes populaires en Roumanie. La formation d’un « gouvernement
technocratique indépendant des partis politiques » n’est garantie de
rien non plus. La Troïka a bien mis en place des gouvernements
techniques en Grèce ou en Italie sans que cela les empêche d’instaurer
des mesures d’austérité et des attaques contre les masses.
Comme tant d’autres mobilisations populaires qui ont eu lieu dans la
région depuis le début de la crise économique, il existe un profond
rejet du régime politique dit de la « transition », des privatisations
corrompues et de la corruption en général ainsi que des partis
politiques. Cependant, une grande faiblesse que ces mobilisations
connaissent réside dans leurs revendications qui visent souvent à créer
une « vraie démocratie » mais limitée dans le cadre d’un capitalisme
débarrassé de la corruption.
À ces faiblesses dans les revendications (quand elles sont
identifiables) il faut ajouter un manque d’organisation indépendante de
l’État, de l’impérialisme et des oligarques locaux qui se sont enrichis
tout au long du processus de réintroduction du capitalisme dans la
région depuis le début des années 1990.
Pour l’instant le mouvement en Roumanie reste très peu radical quant
aux méthodes et objectifs. C’est précisément ce qui constitue l’atout
des classes dominantes locales. Pendant combien de temps ? Cela on ne
peut pas le dire.
Source: RP
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