Philippe Alcoy
Publié le 27 octobre 2015
Mardi matin un navire lance-missiles nord-américain est entré dans
les eaux d’îles revendiquées comme territoire national par la Chine. Il
s’agit de l’archipel Spratleys composé de plusieurs îlots dont sept
îles artificielles construites par la Chine. La souveraineté sur
l’archipel est disputée par plusieurs pays d’Asie du Sud-est dont le
Vietnam et des alliés américains comme les Philippines et la Malaisie.
Avec cette manœuvre, les Etats-Unis font signifier à la Chine qu’ils ne
reconnaissent pas sa souveraineté sur les îles.
Les réactions de la part du gouvernement chinois ne se sont
pas fait attendre. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires
étrangères, Lu Kang, a déclaré que le navire étatsunien était «
entré illégalement et sans permission de la Chine (…) [et que cela]
constituait une menace pour la souveraineté de la Chine et pour ses
intérêts en matière de sécurité. [Le gouvernement chinois] s’oppose
absolument à ce qu’un pays tiers utilise la liberté de navigation et de
survol comme un prétexte pour porter atteinte à la souveraineté
nationale de la Chine ou à ses intérêts en matière de sécurité ». Le ministre des affaires étrangères Wang Yi a de son côté exigé que Washington n’agisse pas « de façon imprudente » et « ne crée pas de problèmes, là où il n’y en a pas ».
Lors d’une conférence de presse, le porte-parole du Département d’Etat américain John Kirby a répondu : « vous
n’avez à consulter aucune nation quand il s’agit d’exercer votre droit à
la liberté de navigation dans des eaux internationales ». De cette
façon, le gouvernement étatsunien a clairement exprimé qu’il ne
reconnaissait pas la souveraineté de la Chine sur l’archipel.
Ces frictions s’expliquent par le fait que l’archipel se trouve sur
une route maritime stratégique, aussi bien du point de vue commercial
que militaire. Ce sont des milliers de milliards d’euros en marchandises
qui transitent chaque année sur cette route.
Pour la Chine, il s’agit d’une priorité de sa politique extérieure,
ses exportations en dépendent mais aussi sa défense. C’est en ce sens
qu’elle est en train de construire des îles artificielles à partir de
récifs émergés et de rochers. Alors que le gouvernement chinois
déclarait que ces îles artificielles auraient des fins « essentiellement
civiles », des images satellite ont identifié des constructions
militaires et une piste de 3 kilomètres capable de faire atterrir et
décoller des avions de combat et des avions de transport. Cela n’a fait
qu’aiguiser les tensions entre Pékin et Washington.
Une question de crédibilité pour les Etats-Unis
Les Etats-Unis essayent de mettre un frein à l’expansion de la Chine
dans une zone aussi stratégique. Mais l’enjeu va bien au-delà, puisqu’il
s’agit de la crédibilité de la première puissance mondiale, notamment
après son attitude dans la crise syrienne. Ainsi, Timothy Garton Ash,
éditorialiste dans le journal britannique The Guardian, explique que « la
politique des Etats-Unis devrait être à l’opposée de ce que Barak Obama
a fait en Syrie (déclarer des « lignes rouges » pour ensuite laisser
Bachar Al-Assad les transgresser impunément). Dans le cas de la Chine,
les Etats-Unis ne devraient pas proclamer publiquement des lignes rouges
mais ils devraient le faire dans la communication privée et par des
actes qui parlent plus que les mots, faire comprendre qu’ils sont là ».
En ce sens, il n’est pas anodin que les Etats-Unis n’aient pas choisi
un petit navire mais un grand navire de guerre. Il est clair que
l’intention était d’envoyer un message fort à Pékin dans cette affaire.
Un risque réel d’escalade ?
La question maintenant est de savoir comment va réagir la Chine à ce
défi posé par les Etats-Unis : restera-t-elle dans le domaine de la
protestation diplomatique ou assistera-t-on à une escalade ? Des
responsables chinois ont déjà déclaré que cette attitude des Etats-Unis
les « obligeait » à accélérer le rythme de construction des îles
artificielles. Alors qu’il est clair que cette action symbolique des
Etats-Unis ne suffira pas à freiner l’expansion de la Chine dans cette
zone, certains commencent à se demander si lors de la prochaine
incursion des navires nord-américains, l’armée chinoise ne tentera pas
de dévier leur route ou de les empêcher d’avancer, avec tous les risques
d’accrochages qui en découlent.
Il semble évident qu’aucun des deux pays ne cherche à déclencher un
conflit armé. Cependant, vu les enjeux, on ne peut pas exclure un
accroissement des tensions. Comme nous l’avons dit plus haut, les
Etats-Unis essayent d’empêcher que la Chine ne contrôle cette route
maritime stratégique mais ils engagent aussi en quelque sorte leur
crédibilité au niveau international. Quant à la Chine, elle se trouve
confrontée à une montée du nationalisme qui s’explique en grande partie
par le ralentissement de l’économie qui sème des craintes quant à
l’accentuation des tensions sociales.
Tous ces éléments font craindre une escalade réelle, et si ce n’est
pas directement entre les deux pays, à travers des pays alliés (Vietnam,
Philippines, etc.). Un conflit de ce type n’aurait rien à voir avec
ceux déjà très complexes en Syrie ou en Ukraine. Il ne fait en tout cas
pas de doute que les relations avec la Chine seront l’une des
principales préoccupations du futur président des Etats-Unis.
Dans un tel contexte, la classe ouvrière de Chine et celle des
Etats-Unis ont un rôle fondamental à jouer pour empêcher que les
capitalistes se décident à lancer des guerres. Mettre en danger les
privilèges des classes dominantes nationales au cours d’une lutte pour
leur faire payer la crise, contre le poison nationaliste et belliciste,
reste un facteur central qui pourrait changer la donne au niveau
international.
Source: RP
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