Philippe Alcoy
Publié le 29 octobre 2015
Il y a quelques semaines on remarquait le retour triomphal de la
Russie sur le devant de la scène internationale après son isolement
suite à l’annexion de Crimée. Moins spectaculaire et triomphal, mais
assez significatif, est le retour d’un autre pays longtemps relégué au
statut de « paria international » : l’Iran. Cela n’a lieu ni plus ni
moins qu’au cours de pourparlers pour trouver une « solution politique »
à la crise syrienne.
Il s’agit sans aucun doute d’une victoire de la Russie.
Mais la participation de l’Iran aux négociations sur la Syrie qui ont
lieu vendredi à Vienne exprime une évolution dans l’approche des
Etats-Unis et des puissances européennes. Des réticences ont été
exprimées, notamment par le régime saoudien, allié fondamental des
Etats-Unis dans la région. Le royaume s’oppose à l’Iran dans plusieurs
conflits (Syrie, Yémen), une dispute pour savoir laquelle de ces deux
puissances régionales va être hégémonique sur les autres pays. Mais
malgré ses réticences, face à la position du gouvernement d’Obama, le
régime servile de Ryad a dû accepter la présence de Téhéran à la
réunion.
En effet, une dizaine de pays impliqués participeront : la Russie,
les Etats Unis, des pays européens dont la France, la Turquie, l’Arabie
Saoudite, des pays du Golf et maintenant l’Iran. On ne s’attend pas à ce
qu’il y ait de grandes décisions prises lors de ce sommet. Il s’agit
juste d’un premier pas pour tester s’il est possible de trouver une base
commune pour discuter d’une possible « solution politique » à la guerre
en Syrie.
A la recherche d’une « transition »
Les négociations sont en cours. Mais malgré les déclarations, la
réalité est que celles-ci se mènent en grande partie sur le plan établi
par Poutine. Autrement dit, la question qui se pose désormais, c’est à
quel moment de cette dite « transition politique » il est souhaitable
que Bachar Al-Assad parte du pouvoir.
Il semble s’installer en effet l’idée que la présence d’Assad durant
une éventuelle période de transition serait pratiquement
« envisageable », mais en même temps qu’il devrait partir en fin de
compte. Même la Russie et l’Iran se montrent ouverts à cette
possibilité. Ainsi, le vice-ministre des affaires étrangères iranien,
Hossein Amir Abdollahian, a déclaré que Téhéran « ne travaille pas à maintenir Assad au pouvoir pour toujours ».
Mais cela ne veut pas dire que les différentes puissances
impérialistes et ses alliés régionaux ne seraient pas prêts à inclure
des membres du régime dans un futur gouvernement de transition. Ainsi,
la haute représentante pour la politique extérieure de l’Union
européenne, Federica Mogherini déclarait dans un entretien paru dans Le Monde : « J’ai
été chargée de travailler avec tous les acteurs concernés (…) pour
tenter d’amorcer le processus de transition politique. Cela signifie,
selon moi, que nous devons garantir une démarche inclusive, avec des
représentants du régime, comme cela a toujours été le cas dans la
démarche de l’ONU ».
La guerre en Syrie est loin d’être finie
Mais cette soi-disant solution politique à la crise syrienne ne
serait que partielle. Il est impensable de mettre une fin à la guerre en
Syrie tant que Daesh contrôle une partie du territoire syrien. Deux
options se posent : négocier avec Daesh et les autres groupes
islamistes ; ou poursuivre une guerre à mort contre eux. Pour le moment
c’est la deuxième option qui semble s’imposer. La question est de savoir
quelle force pourrait le faire ?
En effet, la transition politique avec la formation d’une sorte de
« gouvernement d’unité nationale » pourrait en réalité permettre
d’arrêter la guerre entre le régime et ladite « opposition modérée », au
moins momentanément. Cela ne voudrait évidemment pas dire reprendre le
contrôle sur l’ensemble du territoire syrien. Mais avec un tel accord il
serait possible de « pacifier » une partie du territoire et créer les
bases pour une collaboration entre les occidentaux et ses alliés ; et la
Russie, l’Iran et le régime d’Assad, contre Daesh.
Mais tout cela a lieu dans le contexte de l’existence d’une
multiplicité d’intérêts en Syrie. Les différentes puissances impliquées
ont besoin tactiquement d’une pause du conflit armé pour poursuivre leur
lutte pour l’influence dans le pays et la région à travers d’autres
méthodes moins couteuses et risquées, politiquement et économiquement.
La Russie dans une position stratégique mais dangereuse
Les frappes aériennes russes ont renforcé partiellement les positions
du régime d’Assad, mais en même temps ont renforcé la dépendance de
celui-ci vis-à-vis de la Russie. Poutine a désormais la capacité
d’assoir Assad à la table de négociations avec les occidentaux et ses
alliés. Il pourrait également menacer Assad de le laisser tomber si ce
dernier ne suit pas une ligne favorisant les intérêts russes, à
condition que Poutine se trouve un autre allié local en capacité de le
faire bien évidemment. Comme l’explique John Brennan, chef de la CIA :
« malgré ce qu’ils disent, je crois que les Russes ne voient pas Assad dans l’avenir de la Syrie ».
Mais étant donné la situation économique de la Russie, il est vital
pour elle qu’une solution politique et militaire au conflit soit
rapidement trouvée. Il est très peu probable, voire impossible, que la
Russie puisse faire face aux coûts d’une intervention comme celle
qu’elle mène en Syrie sur le long terme.
Le problème central est que la guerre en Syrie : ne semble pas prête
de se terminer et qu’une solution politique, qui n’apparait déjà pas
simple, ne semble pas capable de résoudre la situation entièrement. Le
régime de Poutine sera sans aucun doute soumis à de durs tests sur le
plan international et national.
Les nuances entre les puissances impérialistes
Les puissances impérialistes ont été prises de court en Syrie par les
dernières manœuvres politiques et militaires de la Russie ces dernières
semaines. Malgré leurs protestations et déclarations, elles ont dû
s’adapter à la nouvelle situation ouverte par le saut dans l’implication
russe, notamment sur le plan militaire.
Ainsi, les puissances de l’UE, notamment l’Allemagne, voient dans une
solution politique et la formation d’un gouvernement d’unité nationale,
et le refroidissement du conflit au moins dans une partie du pays, une
opportunité pour maitriser le flux de réfugiés, voire de permettre à
certains de rentrer en Syrie.
La France mérite une mention à part. Depuis qu’une « solution
politique » commençait à être envisagée, elle a décidé de mener ses
propres frappes en Syrie, indépendamment de la coalition dirigée par les
Etats-Unis. Hollande expliquait que c’était une question de
« légitime défense ». Ainsi, il essaye de présenter une position
« intransigeante » vis-à-vis de Bachar Al-Assad tant que la France ne
sera pas intégrée dans le groupe restreint de négociations sur la crise
syrienne. Pour le moment celui-ci est composé des USA, la Russie, la
Turquie et l’Arabie Saoudite. Certains pensent que l’Iran pourrait
éventuellement être intégré également.
Quant aux Etats-Unis, certains voient dans le saut de l’implication
de la Russie en Syrie une opportunité pour mettre moins d’énergie dans
ce conflit, et pouvoir progressivement se concentrer d’avantage sur la
région Asie-Pacifique. Dans cette région, d’ailleurs, les tensions avec
la Chine sont en train de monter, notamment après le défi posé par les Etats-Unis à la Chine dans l’Archipel Spratleys cette semaine.
Cependant, ces derniers jours, les pressions ont augmenté sur
Washington pour qu’au contraire Obama intensifie son intervention
militaire en Syrie et en Irak. Ainsi, le secrétaire de la Défense
nord-américain, Ashton Carter, a déclaré que le gouvernement avait une
nouvelle stratégie en Syrie et en Irak, le « plan des trois R » : « les
deux premiers R sont Raqqa et Ramadi, des villes en Syrie et Irak
desquelles les Etats Unis veulent expulser Daesh. Pour ce faire, le
gouvernement est en train d’envisager de déployer des troupes
américaines au sol pour soutenir les forces locales qui sont attendues
pour faire le gros des combats et faire appel à des frappes aériennes.
Le troisième R se réfère aux « raids » qui seront effectués pour
capturer et assassiner les leaders de Daesh » (The New York Times).
Certains analystes critiquent fortement cette orientation préférant
laisser la Russie se mettre au devant de la scène dans cette crise aussi
complexe et difficile à gérer. Ce serait une façon d’affaiblir Poutine
pour eux.
Bref, le constat que l’on peut faire est que l’ensemble des options
visent des objectifs profondément réactionnaires. Ce vendredi à Vienne
la « photo de famille » sera à l’image de ces objectifs.
Source: RP
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