Philippe Alcoy
Publié le 2 octobre 2015
A Paris se tenait un sommet sur l’Ukraine avec le format
« Normandie 4 », réunissant les dirigeants des quatre pays qui en
février dernier ont mis en place les accords de Minsk II : le président
ukrainien Petro Porochenko, le président russe Vladimir Poutine, le
président français François Hollande et la chancelière allemande Angela
Merkel. Il s’agit d’un sommet qui a lieu dans le cadre de l’intensification de la présence militaire russe en Syrie et du début des frappes de l’aviation russe et française
dans ce pays. Impossible de séparer les deux conflits dont les
principaux protagonistes sont les mêmes pratiquement, même si aucune
décision fondamentale n’y allait être prise.
Ce sommet que certains qualifient de « Minsk III » sert aussi à tester la nouvelle politique internationale de la Russie et le retour sur le devant de la scène mondiale de Poutine.
Et dans les chancelleries européennes on ne cache pas qu’il y a
beaucoup d’expectatives pour arriver à une solution dans le conflit en
Ukraine.
En effet, depuis le début du mois de septembre le nouveau
cessez-le-feu est respecté strictement par les deux camps. Rebelles et
gouvernement de Kiev ont signé récemment un accord sur le retrait de 15
kilomètres de la ligne de front de l’artillerie de calibre de moins de
100 mm.
Cependant, sur le plan politique il reste des questions importantes à
régler comme celles des élections locales, du contrôle de la frontière
avec la Russie par les autorités de Kiev dans les régions séparatistes
et celle de l’autonomie des « républiques populaires » du Donbass. Alors
que Kiev organisera des élections le 25 octobre prochain, les régions
séparatistes veulent organiser leurs élections le 18 octobre pour la
« République populaire de Donetsk » et le 1er novembre pour celle de
Louhansk.
Une des propositions de la part de la France et de l’Allemagne c’est
que les élections aient lieu à des dates différentes mais en suivant les
règles établies par Kiev. De cette façon, d’une part, en théorie, des
candidats pro-Kiev pourraient se présenter dans les régions contrôlées
par les rebelles. D’autre part, ce serait une façon de réintégrer les
régions « séparatistes » dans le cadre légal de Kiev.
Cependant, pour faciliter le fait que les rebelles de l’Est du pays
acceptent ce compromis, le parlement ukrainien devra adopter des lois
sur l’autonomie de ces régions. Pour le moment, le président Porochenko
se trouve dans une situation difficile pour obtenir les voix nécessaires
au parlement et sur le plan social cela pourrait se révéler dangereux
(lors du premier vote au parlement il y a eu des affrontements violents entre manifestants nationalistes et la police).
Quant au contrôle de la frontière russo-ukrainienne dans les régions
séparatistes par Kiev, le gouvernement de Porochenko s’est dit prêt à
accepter qu’il n’intervienne qu’à la fin du processus, c’est-à-dire
après les élections et le vote des lois sur l’autonomie des régions du
Donbass.
La Russie cherche la levée des sanctions économiques
En décembre l’UE devra décider si elle maintient ou pas les sanctions
économiques qui pèsent sur la Russie. En principe, cela va dépendre du
respect de l’accord de Minsk II. Ce n’est un secret pour personne que
l’intervention militaire de la Russie en Syrie vise des objectifs
globaux pour Moscou, donc aussi des objectifs en Ukraine. En ce sens, il
n’est aucunement un hasard si l’accalmie sur le plan militaire à l’Est
de l’Ukraine a lieu en même temps que l’intensification de la présence
militaire de la Russie en Syrie et le début des frappes de l’aviation
russe. Cet investissement en Syrie a permis à Poutine de revenir sur le
devant de la scène mondiale et devenir une pièce maîtresse dans la
guerre syrienne.
C’est ainsi que de plus en plus de voix s’élèvent en Europe en faveur
d’une collaboration avec la Russie pour trouver une solution en Syrie.
Jeudi dernier Merkel déclarait que « dans le cas de la Syrie (…) nous savons tous depuis des années qu’il ne peut y avoir de solution sans le concours de la Russie ».
Avec son attitude de « coopération avec les occidentaux » en Syrie
Poutine va essayer de convaincre Merkel et Hollande de lever les
sanctions économiques de l’UE qui pèsent sur son pays. Mais l’attitude
de la Russie pourrait aussi faire basculer des pays qui depuis le début
sont plus ou moins réticents vis-à-vis des sanctions contre la Russie.
Ainsi, la prise de décisions au sein de l’UE exigeant l’unanimité, il
suffirait qu’il y ait une voix contre le maintien des sanctions pour que
celles-ci soient levées dès fin janvier 2016.
Cependant, pour cela, la Russie devra continuer dans sa politique de collaboration durant plusieurs mois.
Poutine va diviser les puissances impérialistes sur l’arène internationale ?
Les États-Unis maintiennent une politique de séparation des dossiers syrien et ukrainien. Alors qu’en Syrie par contrainte et par intérêt propre ils doivent s’adapter à la politique de Poutine, le gouvernement d’Obama continue à défendre le maintien des sanctions économiques.
Cependant, l’Europe voit de plus en plus possible un assouplissement
de ses sanctions contre la Russie en échange d’une coopération en Syrie
pour lutter contre Daesh et mettre fin à la guerre. Ce serait une façon
pour l’UE et principalement pour l’Allemagne de stopper le flux de
réfugiés qui arrivent quotidiennement en Europe. Ce flux de migrants a
en effet mis sous pression Merkel dans son pays où une partie de
l’opinion publique et des partis d’opposition sont hostiles à la
politique d’accueil de réfugiés.
La France, de son côté, n’est pas confrontée à la même arrivée
massive de migrants et réfugiés que l’Allemagne (ce qui n’empêche pas le
gouvernement et les partis d’opposition de faire des migrants un fonds
de commerce réactionnaire) pourrait aussi trouver son compte en
collaborant avec la Russie en Syrie.
En effet, sous prétexte de « défense légitime », la France a lancé le
weekend dernier ses premières frappes en Syrie contre Daesh. En
réalité, avec cet investissement miliaire, la France cherche à devenir
un acteur à part entière pour ainsi pouvoir participer de manière
autonome vis-à-vis des États-Unis à d’éventuelles négociations de paix
et permettre aux entreprises hexagonales de participer à une possible
reconstruction du pays et gagner de nouveaux marchés.
Hollande pourrait négocier avec Poutine un soutien en ce sens face à
la coalition dirigée par les États-Unis. Ce n’est pas par hasard que
Poutine et Hollande se soient entretenus pendant une heure et quart
avant le sommet sur l’Ukraine à Paris.
Cependant, une politique d’assouplissement des sanctions économiques à
l’encontre de l’opinion des États-Unis reste trop risquée pour l’UE car
cela marquerait une vraie fracture entre ces puissances impérialistes
et surtout une victoire presque inespérée de la politique de Poutine.
Les faiblesses de la Russie
Le déploiement militaire de la Russie en Syrie et le retour
spectaculaire de Poutine sur le devant de la scène internationale ne
doivent pas cacher ses faiblesses, à commencer par une économie en
grandes difficultés.
En effet, malgré le fait que la presse occidentale présente la Russie
comme une super puissance il ne faut pas oublier que Poutine vient de
perdre le contrôle sur un pays stratégique pour les intérêts du
capitalisme russe. Alors qu’avant le mouvement Maïdan il était question
d’intégrer l’Ukraine dans l’union eurasiatique, aujourd’hui l’influence
de la Russie sur l’Ukraine se réduit à une partie seulement du pays.
Ce qui est en train de se négocier aujourd’hui c’est une pause dans
le conflit ukrainien où l’on acterait certes de fait l’annexion de la
Crimée à la Russie mais aussi la perte du contrôle de celle-ci sur
l’ensemble de l’Ukraine qui, elle, resterait avec un gouvernement
pro-occidental à la tête. Evidemment, en cas d’un éventuel accord qui
signerait l’arrêt des hostilités on ne peut pas penser que le Kremlin
resterait inactif ni même que les risques de reprise du conflit
disparaissent.
Mais cette pause dans le conflit avec l’Ukraine devient de plus en
plus nécessaire pour la Russie pour faire face à la difficile situation
économique du pays due en grande partie à la baisse du prix du pétrole,
du gaz et des matières premières en général au niveau mondial.
En ce sens aussi la capacité de la Russie à mettre fin à la guerre en
Syrie est très limitée et pourrait se révéler un bluff total vis-à-vis
des puissances impérialistes. En effet, la Russie profite de l’espace
laissé par les Etats Unis au Moyen Orient pour ses manœuvres
diplomatiques mais cela ne veut pas dire que Poutine soit en capacité de
mener jusqu’au bout les objectifs qu’il dit chercher.
Pour faire reculer Daesh des frappes aériennes ne suffisent pas. Et
même dans le cas d’une campagne de frappes prolongée il n’est pas sûr
que la Russie puisse assumer le coût d’une opération militaire aussi
éloignée de son territoire. Et envoyer des troupes au sol représente non
seulement un coût économique mais aussi politique : un échec comme lors
de l’invasion de l’Afghanistan en 1979 par l’URSS ou un embourbement
comme ont connu les Etats Unis en Irak et Afghanistan signifierait sans
aucun doute un effondrement du régime de Poutine.
Il est plus que clair que Poutine est en train de faire un grand
effort militaire et diplomatique pour mettre fin ou imposer une trêve
prolongée dans les conflits où se trouve impliquée la Russie. Les
puissances impérialistes européennes et les Etats Unis pourraient aussi
en pleine crise trouver leur compte dans cette politique. Au moins
conjoncturellement.
Source: RP
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