Philippe Alcoy
Publié le 9 octobre 2015
« La France a toujours été du côté des dictateurs… ». Avec
toute l’énergie qu’on lui connaît lorsqu’il s’agit de faire des
déclarations profondément réactionnaires, Nicolas Sarkozy avait commis
ce lapsus lors de la clôture de l’université d’été de Les Républicains
début septembre. Autre lapsus évidemment révélateur : comme lui-même précédemment,
le gouvernement Hollande-Valls se charge en ce moment de montrer la
réalité bien tangible de l’affirmation. En effet,ce week-end, le premier
ministre Manuel Valls entamera une visite militaro-économique de quatre
jours chez les dictateurs en poste en Égypte, en Arabie Saoudite et en
Jordanie.
Le premier ministre ne s’y rendra pas tout seul. Il sera
accompagné du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, du ministre des
affaires étrangères Laurent Fabius, du secrétaire d’État chargé des
Transports, de la Mer et de la Pêche Alain Vidalies et de Jack Lang,
président de l’Institut du Monde Arabe à Paris. Embarqueront avec eux au
moins vingt chefs d’entreprise.
L’objectif de la tournée est très clair : décrocher des contrats pour
les entreprises françaises et renforcer les partenariats militaires
dans cette région où la France intervient très activement, notamment en
Syrie et en Irak.
Que vivent les guerres !
La France bombarde en Syrie pour la paix ; la France intervient en Centrafrique pour empêcher un bain de sang ;
la France envoie des troupes au Mali pour lutter contre le terrorisme
qui menace la paix ; les frappes françaises en Irak visent à stopper les
barbares de l’État Islamique. Bref, la France bombarderait seulement
parce qu’elle y serait obligée, malgré elle, pour « sauver » la
démocratie et la paix.
En réalité, la France est depuis toujours à l’initiative sur ce
terrain : elle vend des armes, des navires de guerre, des bombes et
toute une gamme de matériel militaire sophistiqué. Et ses entreprises
sont des leaders mondiaux. Quelle n’est pas la fierté nationale attachée
aux mistrals et aux rafales, comme c’était le cas il y a peu pour les
mirages et les porte-avions nucléaires ? Le gouvernement PS n’entend pas
être le gouvernement qui laissera ces « fleurons de l’industrie
nationale » abandonner leur place. Bien au contraire !
C’est pour cela que ce samedi, selon la presse égyptienne, Valls va s’employer à conclure enfin la vente de deux navires Mistral pour l’Égypte, à l’origine construits pour la Russie.
Égypte qui devrait aussi acquérir 24 avions de chasse Rafale fabriqués
par Dassault Aviation. Cette commande s’inscrit dans le cadre d’un
contrat franco-égyptien de 5,2 milliards d’euros qui comprend aussi des
missiles et une frégate. Selon le journal économique Les Échos, le Caire serait également intéressé par un aménagement du métro de la capitale égyptienne et des satellites de communication.
En Arabie Saoudite les porte-drapeaux français devraient aussi signer
des contrats significatifs dans d’autres secteurs aussi divers que
l’énergie, l’aéronautique et l’agroalimentaire. Selon Reuters,l’Arabie
Saoudite serait tentée par l’achat d’équipements de renseignement
militaire par satellite, domaine tout particulièrement couvert par le
français Thalès, qui avait émis en mai l’espoir d’un « gros contrat »
avec Riyad. Côté énergie, la France espère vendre à l’Arabie deux
réacteurs de type EPR conçus par Areva.
En Jordanie la visite de la délégation française portera sur la
question des réfugiés syriens (650.000 pour 6,5 millions d’habitants,
soit 10 % de la population). Mais il s’agira aussi de souder les
relations diplomatico-militaires avec les autorités du pays, étant donné
que la France y stationne des avions français engagés contre l’État
islamique.
La France, cette amie des dictateurs…
En France, Manuel
Valls se déchaîne contre les salariés d’Air France en lutte contre la
suppression de 2.900 en les qualifiant, suite aux événements de lundi,
de « voyous ». Une formule reprise en chœur par ces patrons (qui,
eux, le sont réellement), se permettant de rajouter en outre le
qualificatif de « terroristes » pour désigner ces mêmes salariés. Mais
cela n’empêche pas Valls d’aller faire ami-ami avec des dictateurs
sanguinaires comme le président égyptien Abdel Fattah al Sissi. Et que
dire de la monarchie saoudienne ? Sérieusement, où est le scandale ?
Le cynisme de Valls et de son gouvernement n’a pas de limite.
EnÉgypte et en Arabie Saoudite, il évoquera la question des Droits de
l’Homme et demandera notamment au régime de Ryad « un geste de grâce, d’humanité et de clémence » en faveur du jeune Ali al-Nimr, condamné à la décapitation et à la crucifixion. En Égypte, aussi pour prouver « le souci et l’intérêt » qu’il porte aux minorités religieuses, il se rendra dans une église copte…
Des gestes purement formels. Car les affaires sont les affaires. Le
gouvernement français ne va pas s’arrêter à des détails de ce genre
concernant des régimes tyranniques lointains, si cela risque de
constituer un obstacle pour décrocher des contrats. C’est évidemment
l’opinion du patronat français aussi. Pour tout ce beau monde, le
problème, ce n’est pas tant que tel ou tel soit un dictateur, mais qui
empêche de conclure des affaires. Quelle crédibilité peut-on leur
accorder quand ils accusent des salariés en colère, qui se battent pour
leur dignité et sont mis dos au mur, d’être « violents » ?
Source: RP
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