Philippe Alcoy
Publié le 10 septembre 2015
Source: Révolution Permanente
Au cours de l’actuelle crise migratoire en Europe
on a assisté à de nombreux gestes de solidarité. Le monde artistique n’a
pas échappé à cette tendance. Particulièrement, les dessinateurs jouent
un rôle très important dans la presse et les réseaux sociaux pour
dénoncer, se solidariser ou attirer l’attention publique sur certains
événements. Après que les images du corps du petit Aylan aient été
diffusées massivement, plusieurs dessinateurs ont exprimé leur
solidarité à travers leurs dessins.
Aujourd’hui nous aimerions revenir sur les
dessins sur la crise migratoire de deux caricaturistes très connus du
public en France : Zep et Plantu. En effet, à travers leurs dessins, ces
deux artistes ont abordé la question migratoire selon deux points de
vue bien distincts.
Dans le dessin de Zep, l’auteur reprend son très
célèbre personnage Titeuf et ses amis. Mais cette fois, l’histoire ne
sera pas comme les autres. En effet, l’auteur met en scène l’enfant dont
le quotidien va être bousculé soudainement par la guerre, les combats,
les bombes et les tirs. Un à un, les personnages meurent, même les amis
de Titeuf, même ses parents, même sa maîtresse. Comme dans la vie
réelle, la guerre fait s’effondrer « l’univers Titeuf ». À la fin de
l’histoire on voit Titeuf arriver à la frontière pour échapper à la
guerre. Mais là encore comme dans la vraie vie, les barbelés l’empêchent
de traverser. Exténué et avec une expression dégradée, l’histoire finit
par un cadre noir précédé d’un autre où il y a écrit tout simplement
« Au secours ».
Il s’agit sans doute d’une façon ingénieuse de
sensibiliser à la réalité des réfugiés de guerre en mettant en scène un
personnage très connu, dont le quotidien a été bouleversé par ces
événements traumatisants. Et cela est très significatif au milieu de
l’émotion que la mort d’Aylan a suscité dans le monde entier car son
personnage est aussi un enfant.
À l’opposé des intentions de Zep, nous trouvons
Plantu. Celui-ci a décidé de « rendre hommage » tout autrement aux
migrants et réfugiés. Dans un de ses dessins l’artiste présente des
salariés vraisemblablement français en train de manifester et de s’en
prendre à un patron ou à un politicien voulant réformer le Code du
travail. À côté, on voit un bureau de douanes où une famille de réfugiés
arrive, et le père qui affirme : « Nous travailler dimanche, pas de
problème ! ».
Le racisme de ce dessin ne peut que nous provoquer un
profond rejet. En effet, il ne fait que véhiculer les pires préjugés
xénophobes et la démagogie répandus par des partis comme le Front
National : il présente les réfugiés comme étant les responsables des
dégradations des conditions de travail des travailleurs français. C’est
exactement ce que dit l’extrême droite pour justifier auprès des
salariés qu’il ne faut pas soutenir les migrants !
Avec ce dessin, Plantu sous-entend qu’il y aurait une
sorte « d’alliance objective » entre patronat et travailleurs immigrés.
C’est une façon de dissimuler les vrais responsables des attaques
contre les travailleurs en France (au-delà de leur nationalité) : le
patronat français et les politiciens à sa botte. Mais ce dessin
contribue également à diviser les exploités, en les montant les uns
contre les autres.
Dans un contexte de crise économique, sociale et
politique qui traverse l’Europe, on voit que la polarisation de la
société ne fera que s’accentuer dans tous les aspects de la vie, y
compris l’art. Les exemples de Zep et de Plantu sont peut-être ceux qui
l’ont le mieux exprimé ces derniers jours. Enfin, le fait que ces deux
dessins soient successivement parus dans Le Monde, qui est le principal
quotidien de la presse écrite en France, suffit pour montrer à quel
point les grands médias nationaux participent au premier chef au
brouillage idéologique qui permet à n’importe quelle position, même la
plus réactionnaire, de proliférer et de cohabiter avec les autres comme
si de rien n’était.
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