18.9.15

Réfugiés. Echapper aux bombes, supporter les gaz, éviter les mines


Philippe Alcoy
Publié le 17 septembre 2015
« Vous allez tenter de traverser la frontière illégalement ? », demande le journaliste de la chaine SkyNews. Déconcertée, elle répond « Non ! ». Puis elle reprend : « [on est allé de] Syrie vers la Turquie ; illégalement car nous n’avons pas de passeports syriens. De Turquie on est allé en Grèce, en Macédoine, en Serbie et maintenant ici. Tout notre voyage est illégal (…) Nous voulons passer, même si après on doit marcher. S’ils ne veulent pas de nous, OK, prenez notre fille et amenez-la en Allemagne, dans un endroit sûr. (…) Pas de problème, je reviens en Syrie. Mon droit à la vie, je n’en veux pas ; je veux le droit de vivre pour ma fille, qu’elle aille à l’école. C’est un droit simple non ? ».

Voilà comment une réfugiée syrienne résumait sa situation, ses objectifs, face à la question du journaliste que l’on pourrait qualifier de surréaliste si elle n’était pas l’expression d’une situation profondément réactionnaire aux frontières de l’Europe. En effet, alors que des milliers de personnes fuient la guerre, les bombes, la misère, en Europe l’encre coule pour nous expliquer comment les pays du continent ne peuvent pas faire face au flux de réfugiés et migrants. Qu’il serait même dangereux de les accueillir. Et on devrait les comprendre. Et on devrait soutenir les décisions des dirigeants européens. Et on devrait adhérer à leur défense de « l’identité chrétienne » de l’Europe menacée par les « muslims ».

L’impérialisme c’est la réaction sur toute la ligne ; l’impérialisme c’est la réaction sur toute la frontière. Des prisonniers hongrois construisent des murs barbelés pour « protéger » leur pays des étrangers. Des gardes pour surveiller les prisonniers. Des gardes, des brigades antiémeutes, des matraques, des camions lance-eau, des boucliers, des gaz (beaucoup de gaz) pour surveiller les frontières ; pour réprimer les migrants.

Depuis mardi effectivement, la frontière hongroise est un mur impénétrable. Et la répression s’abat contre des enfants, des vieux, des femmes et des hommes épuisés. On les tabasse. « Ils ne sont pas pacifiques ces migrants », dit un responsable du gouvernement hongrois. La preuve : ils résistent à la répression.

Pour ceux et celles qui arriveront à passer et marcher sur les terres magyars, il vaut mieux ne pas se faire prendre : selon les nouvelles lois votées par le gouvernement, désormais c’est un délit passible de trois à cinq ans de prison, voire de déportation. Neuf iraquiens et deux syriens seraient sur le point d’être déportés selon les autorités hongroises. Voilà l’Europe qui se réveille…

Les bombes les ont fait fuir. Ce n’est pas des barbelés et des gaz qui vont les arrêter. Certains campent du côté serbe de la frontière, parfois aux cris de « Merci la Serbie ! ». « Jusqu’à ce qu’ils ouvrent la frontière » disent-ils. D’autres tentent de nouvelles routes : Go West, la Croatie !

La présidente croate Grabar Kitarović, qui n’a rien à envier au premier ministre hongrois Viktor Orban, s’est dite prête à ne pas présenter d’obstacle aux migrants… pourvu qu’ils ne restent pas en Croatie et ne fassent que traverser le pays.

Mais tout n’est pas rose. Quelques heures après ces déclarations, on commence déjà à parler de flux « trop massif et incontrôlé ». En effet, quelques 6 200 migrants seraient déjà rentrés dans le pays, et dans les semaines à venir le gouvernement estime que 20 000 autres arriveront.

Mais encore plus dangereux pour les migrants qui décideraient de contourner la Hongrie par la Croatie, restent encore des mines antipersonnel sur cette partie du pays, le risque est réel que des migrants tombent dessus. Ce n’est pas un paradoxe, c’est la réalité d’une société submergée par la barbarie : les réfugiés échappant à une guerre risquent de se blesser gravement ou mourir à cause de mines non désamorcées d’une guerre finie il y a vingt ans. Tout un symbole !

Il reste à savoir si la Hongrie réussira durablement à maintenir sa frontière fermée hermétiquement ou s’il s’agit seulement d’une question de temps. Une autre question est de savoir si les réfugiés qui aujourd’hui traversent la Croatie arriveront à s’infiltrer par la Slovénie et arriver en Autriche. Dans ce cas là, assistera-t-on à des scènes de répression et de violence contre les migrants aux frontières, non plus dans un pays semi-colonial comme la Hongrie, mais dans un pays central comme l’Autriche ?

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