Philippe Alcoy
Publié le 3 septembre 2015
Source: Révolution Permanente
« L’Allemagne donne l’exemple, et le bon exemple.
Face à la poussée migratoire dont l’Europe est le théâtre, Angela Merkel
a eu, lundi 31 août, les mots les plus justes. La chancelière a
convoqué ce qui est au cœur de l’Union européenne – « les droits civils
universels », selon ses mots – pour appeler à un sursaut commun de
‘solidarité’ ». C’est avec ces mots que Le Monde présentait la politique
de l’Allemagne vis-à-vis de l’énorme crise humanitaire que traverse
l’Europe dans un édito récent.
Avec un tel éloge, on oublierait presque qu’il
s’agit du même gouvernement qui impose une politique criminelle contre
les conditions de vie des masses en Grèce et dans bien d’autres pays à
travers le continent.
Mais que Le Monde se lance dans la promotion de la
politique du gouvernement allemand n’est pas aussi surprenant. Par
contre, ce qui est étonnant c’est que cette tendance gagne même des
secteurs du journalisme « indépendant » comme Médiapart où, dans un article
intitulé « Crise des réfugiés : l’hypocrisie française, l’exemple
allemand », on affirme : « Dans cette cacophonie où les égoïsmes
nationaux tiennent lieu de boussole, il est un pays, l’Allemagne, qui
s’organise et est en train de démontrer à l’Europe entière ce que peut
être une politique d’accueil conforme aux valeurs européennes. Depuis
deux semaines, il n’est pas une journée sans que des ministres
allemands, de droite comme de gauche, expliquent à leur opinion publique
la gravité de cette crise et ses enjeux, la nécessité d’un accueil
massif de réfugiés et la capacité de leur pays à pouvoir le faire ».
Mais, la politique de Merkel est-elle vraiment en train de créer une opinion favorable aux migrants dans son pays ?
Polarisation de la société allemande face à la crise migratoire
Comme expliquent nos camarades de l’Organisation Internationaliste Révolutionnaire (RIO) d’Allemagne dans les pages d’Izquierda Diario :
« la ‘crise migratoire’ polarise la société. Dans un sondage récent 77%
des répondants ont choisi le thème de « l’immigration » comme leur
principale inquiétude dans la situation actuelle. (…) Il y a de plus en
plus de personnes qui cherchent à échapper à la famine, à la guerre et à
la persécution en mettant en danger leur vie. Alors qu’en 2008
seulement 28.000 personnes ont demandé l’asile en Allemagne, en 2014 il y
a eu 202.800 demandes et en 2015 on en est déjà à 179.500. Le ministre
de l’intérieur s’attend à 800.000 demandes d’asile cette année. A cela
il faut rajouter les milliers de personnes qui arrivent sans être
registrées ».
Selon le même article, cette situation est en train
de provoquer une augmentation du nombre d’agressions contre les
étrangers : « ces derniers mois, la déjà habituelle campagne de
diffamation contre les immigrés de la part du gouvernement a été
accompagnée d’attaques directes. Entre 2013 et 2014 le nombre de ces
attaques a triplé, atteignant l’année dernière le chiffre de 203.
Pendant les six premiers mois de 2015 on enregistre déjà 202 cas
d’agressions contre des immigrés (…) Et cela sans parler des chiffres
« non officiels » qui seront beaucoup plus élevés étant donnée la
complicité entre la police, les services d’intelligence et des groupes
d’extrême droite ».
Il faudrait signaler aussi les attaques de ces
groupes xénophobes contre les activistes, médecins et membres
d’associations solidaires des migrants. Peut-être l’évènement le plus
grave en ce sens a été enregistré à la mi-août dans la ville de Heidenau
où des groupes de néo-nazis ont attaqué pendant plusieurs jours un
centre d’accueil pour les réfugiés.
Mais il y a aussi une autre partie de la société
allemande qui s’exprime clairement en faveur des migrants, comme la
manifestation du 29 août dernier dans la ville de Dresde où 10.000
personnes se sont mobilisées pour dire « Refugees Welcome ». On peut
citer encore les supporteurs des clubs de football les parmi les plus populaires qui ont manifesté leur soutien aux réfugiés.
Ces manifestations de solidarité s’inscrivent dans un
contexte où, l’année dernière, l’Allemagne a connu le plus grand
mouvement démocratique pour les droits des réfugiés, duquel des
centaines de jeunes et militants d’extrême gauche ont pris partie. La
situation actuelle de plus grande polarisation autour de la question des
migrants pourrait effectivement redynamiser le mouvement qui s’était
essoufflé face à l’intransigeance du gouvernement.
Une politique humaniste de Merkel ?
Mais
les politiques allemandes sont-elles aussi accueillantes vis-à-vis des
migrants ? Il y a un aspect en effet de ces politiques justement qui
n’est pas du tout mentionné dans l’article de Médiapart cité plus haut.
Quand les membres du gouvernement de Merkel parlent d’accueillir 800.000
réfugiés cette année, ils parlent bien des personnes fuyant la guerre
en Syrie et un peu moins en Afghanistan et en Irak.
De cette façon ils procèdent à faire un « tri » entre
les « bons » et les « mauvais » migrants. Les « bons » seraient les
réfugiés fuyant les conflits armés et les « mauvais » lesdits « réfugiés
économiques », notamment les populations venant des Balkans. En effet,
40% des demandeurs d’asile dans les premiers six mois de 2015 venaient
de pays des Balkans comme le Kosovo (18%), Albanie (14%), Serbie (6%),
etc.
Ainsi, tous les partis capitalistes allemands
défendent l’idée d’une restriction du droit d’asile pour les pays de
cette région. En plus d’établir des listes de pays « sûrs » (qui ne sont
pas en état de guerre), on est en train de construire des centres de
rétention pour les migrants dans les régions du sud de l’Allemagne et
dans les pays dans les frontières européennes. L’objectif, c’est faire
une présélection des migrants pour pouvoir renvoyer plus facilement les
« réfugiés économiques ».
Ici, on doit faire justice à l’édito du Monde qui
mentionne cet élément de la politique allemande… pour la soutenir :
« Les pays-frontières de l’UE que sont la Grèce, l’Italie, la Hongrie,
tous débordés, ont moins besoin de leçons de morale que d’une aide
conséquente pour créer dans l’urgence des centres d’accueil où opérer
une première sélection entre candidats au statut de réfugié et migrant
économique (souvent venus des Balkans) (…)Cela suppose de s’entendre sur
une liste de pays dits « sûrs », dont les ressortissants n’ont pas
vocation au statut de réfugié politique ».
Mais même dans sa politique d’accepter certains
réfugiés venant des pays en guerre, qui soit dit en passant ne sauve la
vie de personne car l’Allemagne ne fait rien pour faciliter le transit
des migrants jusqu’à son territoire, Merkel et le patronat allemand
trouvent leur compte. Il s’agit d’une part de se refaire une image de
pays respectant les « valeurs européennes », après leur attitude
criminelle dans le dossier grec ; et d’autre part de répondre à un
problème démographique qui pourrait avoir des conséquences économiques
pour le pays. Ainsi, le président de la Chambre de l’industrie et du
Commerce allemand (DIHK) Eric Schweizer a condamné les attaques contre
les migrants et revendiqué une « culture de l’accueil » en affirmant :
« je fais cela dans mon propre intérêt car les entreprises allemandes
dépendent d’experts venus de l’étranger ».
Bref, face à un faible taux de natalité, le patronat
allemand compte exploiter la main d’œuvre étrangère, formée et bon
marché arrivée de pays en guerre. Même si le chiffre de 800.000 réfugiés
qui arriveront en 2015 semble complètement exagéré, il est clair que
ces nouveaux travailleurs désespérés vont être utilisés par le patronat
pour faire baisser les salaires de l’ensemble de la classe ouvrière.
C’est en ce sens qu’il est une illusion de croire à
la « bienveillance » de dirigeants impérialistes comme Angela Merkel
vis-à-vis des migrants. La tâche de solidarité internationaliste avec
l’ensemble des migrants, qu’ils fuient la guerre ou la misère, retombe
donc entièrement dans les mains des exploités et des opprimés de
l’Allemagne.
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