Philippe Alcoy
Publié le 14 septembre 2015
Source: RévolutionPermanente
Une tribune d’ex ministres. Et on s’en vante. L’allemand Oskar
Lafontaine, leader de Die Linke et ex ministre des finances de Gerhard
Schröder ; Stefano Fassina ex fonctionnaire du FMI et ex vice-ministre
des finances du gouvernement italien de Matteo Renzi ; Yanis Varoufakis
ex ministre de finances du gouvernement Syriza-Anel ; Jean-Luc Mélenchon
ex ministre de l’Enseignement professionnel du gouvernement de Lionel
Jospin. Tous étaient là pour parler et convoquer à une conférence
internationale pour le Plan B face à l’échec éclair du gouvernement dirigé par Alexis Tsipras en Grèce.
Précisément, la capitulation fulgurante du gouvernement
grec face à la Troïka et la scission qu’a connue Syriza ont ouvert une
phase d’interrogations et de reconfigurations de certains aspects du
projet politique des formations de la « gauche radicale » à travers
l’Europe. Il s’agit en réalité d’une crise des projets politiques de
partis et coalitions électorales comme Podemos dans l’Etat Espagnol ou
le Front de Gauche en France.
Alors que l’équipe de direction de Podemos autour de Pablo Iglesias
et notamment le PCF semblent s’incliner plutôt par un maintien du
soutien à Tsipras et son gouvernement austéritaire, d’autres, comme
Jean-Luc Mélenchon, montrent des signes d’ouverture vers l’Unité
Populaire conduite par l’ex ministre grec (encore un) Panagiotis
Lafazanis.
C’est dans ce contexte que l’on a commencé à parler d’un Plan B et
même d’une conférence internationale sur ce fameux plan alternatif. Et
c’est pour présenter ce projet que le Parti de Gauche organisait à la
Fête de l’Humanité un débat avec des partenaires européens.
« L’instrument de la dévaluation doit à nouveau être disponible »
Le premier à prendre la parole a été l’allemand Oskar Lafontaine.
Dans un discours assez court, comparé aux autres orateurs, il a, entre
autres, expliqué en quoi consisterait pour lui ce fameux Plan B. Pour
Lafontaine, en plus de lutter contre les politiques d’austérité, pour la
démocratisation de la BCE et la modification des traités, « l’instrument de la dévaluation doit à nouveau être disponible afin de mettre un terme à la concurrence salariale déloyale ».
L’intervention de Lafontaine avait au moins le mérite de poser la
question d’une façon très claire : le débat sur sortir ou non de la zone
euro consiste principalement aujourd’hui à se prononcer pour ou contre
la dévaluation de la monnaie nationale. Le tout, bien évidemment, dans
le cadre d’une économie capitaliste.
Posée de cette façon, on voit à quel point cette mesure comporte un
caractère antipopulaire et consisterait même en une attaque directe, par
d’autres moyens que ceux employés actuellement, contre le pouvoir
d’achat des travailleurs.
Cependant cela ne semble pas être l’opinion de l’ancien économiste au
FMI, l’italien Stefano Fassina, qui a pris la parole après Lafontaine.
Pour lui « la dévaluation du travail et non celle de la monnaie ne peut pas continuer ».En
clair, il ne faut pas baisser les salaires des travailleurs, il faut
juste dévaluer la monnaie avec laquelle ils sont payés. Pour lui « le Plan B c’est pour sauver l’Europe ». On sait que le FMI n’est pas à une contradiction prés. Ses anciens fonctionnaires non plus.
« Mon Plan B n’était pas de revenir à la drachme »
C’est le tour à Yanis Varoufakis de prendre la parole. Ovation du
public présent. L’ex ministre des finances grec est la star politique de
la Fête. Ejecté du gouvernement au « bon moment », aujourd’hui il peut
se refaire une image de « résistant à l’austérité » comme beaucoup à la
tribune le présentent.
Varoufakis, reprenant implicitement un discours antiallemand, a
commencé par expliquer comment ce qu’il appelle le « printemps
athénien » a été écrasé pour démontrer à Madrid, Paris et les autres ce
qui les attend s’ils osent « s’opposer à l’irrationalité ». On sait tous
que dans le dossier grec certaines divergences entre Paris et Berlin
sont apparues mais il est assez incroyable de parler de la France comme
faisant partie des « victimes » de l’UE alors que c’est dans une très
large mesure pour sauver les banques françaises que l’on a imposé
l’austérité en Grèce.
Sans aucun doute on peut voir dans cette position un discours
démagogique de la part de Varoufakis mais surtout un coup de main à son
partenaire Mélenchon qui, autrement, ne pourrait pas soutenir sa ligne
de défense de la « souveraineté de la France » face à « Bruxelles »,
face à Berlin.
Mais l’intervention de Varoufakis a surtout permis de voir certaines
divergences entre les intervenants. Alors que pour les deux premiers
orateurs on entrevoyait une certaine tendance à privilégier un retour à
la monnaie nationale, l’ex ministre grec expliquait que le sommet
international sur le Plan B devait avoir lieu car il y a des opinions
différentes entre eux.
En ce sens, il a affirmé que lorsqu’il était au gouvernement, il
avait un Plan B, car il était obligé d’en avoir un, mais que son « plan B n’était pas opérationnel ».
Mais, surtout, à la différence de certains qui défendent une sortie
immédiate de la zone euro, et simultanée de plusieurs pays, son « Plan
B n’était pas de revenir à la drachme mais d’instaurer une monnaie
parallèle (virtuelle) libellée en euros, même avec les banques fermées,
jusqu’à ce que la pression soit suffisamment forte sur Merkel » et obtenir un bon accord.
Pour l’ex ministre grec, il ne s’agit donc pas de sortir de l’euro
mais de discuter au sommet du Plan B de formes de monnaies parallèles
qui échappent au contrôle de la BCE. En ce sens, il considère que « guérir la zone euro va être difficile, peut-être impossible, mais nous avons le devoir d’essayer ! ».
Ici la perspective qui est posée en termes de « Plan B » est
clairement celle de la « démocratisation » de la zone euro, de la
réforme de la zone euro et d’appliquer des politiques qui permettent de
gagner du temps (encore gagner du temps !) pour faire pression sur
Merkel et obtenir un bon accord. En ce sens, Varoufakis considère que
l’erreur du gouvernement grec aurait été de ne pas avoir mis vraiment en
place ce Plan B qu’il préconisait. Autrement dit, combiner le Plan A
avec une dose de Plan B…
« Vous avez entendu Plan B, mais il ne faut pas sauter une lettre »
C’est Mélenchon qui a été chargé de clarifier certains aspects sur
cette question. Son discours enflammé come d’habitude a touché à
plusieurs aspects, ne parlant que de temps en temps de la question du
Plan B.
Ainsi il a affirmé : « nous ne présentons pas un plan pour notre
pays, nous ne présentons pas un plan plus la gauche, nous présentons un
plan conforme à l’intérêt général de 450 millions de personnes qui
habitent à l’intérieur de l’Europe ». Un discours qui au-delà de la
forme et des gages d’une soi-disant « radicalité », reposait avant tout
sur une idée de « raison » et de compromis.
Tout en affirmant qu’il fallait un « rapport de force » pour obtenir
un « compromis viable », Mélenchon n’a jamais expliqué comment
construire ce rapport de force. Cependant, ce qu’il a dit bien
clairement c’est qu’il « aspire à gouverner ce pays [la France] ».
C’est peut-être pour cela qu’il a dû donner plus de détails sur sa vision sur le Plan B : « Vous
avez entendu Plan B, mais il ne faut pas sauter une lettre. Il y a le
Plan B et le Plan A. Le Plan A c’est le plan des gens raisonnables : moi ». Quelques minutes plus tard il développe : « la
France a signé des traités, elle honore les traités qu’elle a signés.
Et les autres pays ont signé des traités avec nous et nous demandons
qu’ils les appliquent. Par conséquent pour nous défaire d’un traité
auquel nous avons consenti démocratiquement par nos assemblées, il nous
faut un mandat du peuple. Si nous voulons revenir sur les principaux
aspects inacceptables du traité budgétaire nous devrons consulter le
peuple français. Exactement comme Tsipras l’a fait sur le mémorandum… ».
Ce que Mélenchon promet, donc, ce serait ni plus ni moins que de
reprendre la même politique de négociations, avec un peu plus de
« démocratie référendaire », que le gouvernement de Tsipras. Mais le
plan B dans tout ça ? En fait, le fameux Plan B serait l’équivalent de
l’arme nucléaire, « une arme de dissuasion » face à « la finance ».
Tout ça pour ça ?
Alors que beaucoup d’expectatives s’étaient créées autour des
propositions du Plan B et que ce débat à la Fête de l’Huma apparaissait
comme une sorte d’avant-goût de cette conférence internationale du Plan
B, on a découvert qu’il y avait davantage de divergences sur le Plan B
entre les participants eux-mêmes que sur le Plan A qui serait appliqué
en priorité. Un Plan A qui a d’ailleurs déjà largement démontré son
échec.
Un consensus qui semble émerger, cependant, c’est que toutes les
options proposées s’inscrivent complètement dans le cadre des
institutions actuelles, peu ou prou réformées, et dans l’économie
capitaliste « non-libérale ».
En réalité, tout cela montre que la crise de la « gauche radicale »
en Grèce a des conséquences sur les formations politiques réformistes
dans d’autres pays européens et que celles-ci n’ont pas encore trouvé un
projet alternatif à celui qu’elles défendaient avant la débâcle totale
de Syriza au pouvoir.
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