Philippe Alcoy
Source: Révolution Permanente
Ces derniers jours le Brésil a été marqué par des manifestations
contre et en appui au gouvernement de Dilma Rousseff du Parti des
Travailleurs (PT). Ces mobilisations se tiennent dans le cadre d’une
situation de polarisation et de crise politique suite aux scandales de
corruption à répétition et aux difficultés économiques que le pays
connaît depuis plusieurs mois.
Philippe Alcoy
Moins d’un an après sa réélection, le gouvernement de Dilma est
devenu le gouvernement le plus impopulaire de l’histoire du pays :
seulement 8% d’opinions favorables. Le dernier facteur qui a fortement
affecté la popularité du gouvernement du PT c’est le grand scandale de
corruption autour de la compagnie pétrolière nationale Petrobras révélé à
la fin de l’année dernière.
Plusieurs dirigeants du PT, de Petrobras et de grandes entreprises du
BTP et d’ingénierie sont impliqués dans un schéma de pots de vin pour
obtenir des contrats surfacturés pour réaliser des travaux et offrir des
services au géant pétrolier brésilien.
Alors qu’en 2005 un autre scandale de corruption avait touché le PT,
la conjoncture économique favorable avait permis à Lula Da Silva être
réélu président. Cette fois la mauvaise situation économique du pays ne
fait que renforcer la crise politique.
Polarisation politique
C’est ainsi que s’est développé un mouvement contestataire des
secteurs conservateurs et des classes moyennes exigeant l’ouverture d’un
processus de destitution de Dilma au parlement. C’est ce secteur qui
s’est manifesté très massivement en mars et avril dernier et qui vient
d’organiser la dernière manifestation dimanche 16 août. Cependant,
malgré les images impressionnantes qui circulent sur les réseaux sociaux
et dans les journaux internationaux, la dernière mobilisation semble
montrer une perte de vitesse.
Selon les observateurs locaux dans plusieurs villes importantes,
notamment à Sao Paulo, le nombre de manifestants n’a pas été à la
hauteur de ce que l’on avait prévu, certains parlent même d’un recul du
nombre de participants.
Il y a plusieurs raisons qui expliquent cela. Parmi les plus
importantes on peut mentionner le fait que ces manifestations sont
composées des classes moyennes aisées blanches des grandes villes. Cela a
comme conséquence que les revendications portées par les manifestants
n’ont rien à voir avec les besoins des classes populaires. Bien au
contraire elles ont une rhétorique très antipopulaire, certains
défendant ouvertement une « intervention » de l’armée.
Quant à la manifestation pro-gouvernementale de jeudi, elle a été
nettement plus petite que celle contre le gouvernement : les chiffres
varient selon les sources mais d’après l’agence de sondages Datafolha, à
Sao Paulo il y aurait eu 40.000 personnes à la manifestation pro-Dilma
alors que celle du dimanche aurait rassemblé 135.000 personnes.
Une autre donnée intéressante de la manifestation soi-disant
pro-Dilma c’est que seulement 54% des participants approuvent la
politique du gouvernement. Le député fédéral José Guimarães a même
déclaré qu’à Fortaleza (dans le nord-est du pays) il y avait plus de
pancartes exigeant un changement dans la politique du gouvernement et
des programmes sociaux que de pancartes en soutien à Dilma et au PT.
Ces éléments sur les manifestations « anti-impeachment », qui étaient
composées de secteurs plus populaires que celles de la droite, montre
qu’il existe un mécontentement grandissant avec le gouvernement de Dilma
parmi les travailleurs et la jeunesse.
Le patronat essaye de temporiser
Un autre élément qui pourrait expliquer la faiblesse relative des
mobilisations de dimanche contre Dilma c’est le fait que le patronat et
la presse capitaliste depuis quelques jours ont pris clairement parti
pour calmer la situation et éviter que la crise politique s’aggrave et
vienne s’ajouter à la situation économique difficile.
C’est pour cela que conjoncturellement le grand patronat brésilien
considère que ce qui est à l’ordre du jour n’est pas la destitution de
Dilma et l’ouverture d’une situation politique incertaine mais
l’application de « réformes ». Le patronat prône la « responsabilité »
pour mener à bien les réformes qu’il considère « prioritaires » : créer
un climat favorable aux affaires que les scandales de corruption
détériorent, réduire les dépenses publiques (programmes sociaux),
réduire la taille de l’Etat (privatisations)…
Evidemment, rien n’est dit sur les problèmes des classes populaires
comme le chômage (qui ce mois-ci a atteint presque 8%), l’inflation qui
sera de 9% cette année, le problème chronique du logement, les hausses
dans les factures d’eau et d’électricité, etc. La bourgeoisie entend que
le gouvernement de Dilma soit une sorte de gouvernement de
« transition » qui fasse le « sale boulot » d’ici 2018, lors des
prochaines élections présidentielles.
La droite embarrassée
Cette position du patronat brésilien met dans une position difficile
le principal parti de droite brésilien, le PSDB (Parti Social-démocrate
du Brésil). En effet, il doit en même temps répondre aux intérêts du
patronat et essayer de ne pas se couper de son électorat traditionnel
qui est celui qui se manifeste pour exiger la destitution de Dilma.
Le PSDB ne peut et ne veut pas devenir le représentant politique des
mobilisations anti-PT non plus. Il ne peut pas car il y a une méfiance
générale envers les partis politique de la part des manifestants de
droite. Souvent on lit des déclarations parlant du « manque de leaders »
capables de substituer le PT et Dilma. En même temps, se lier trop aux
secteurs qui se mobilisent serait se couper d’une partie importante de
l’électorat populaire sans une partie duquel il est impossible pour le
PSDB de gagner les élections présidentielles.
Parallèlement, il existe une lutte interne entre les différents
leaders du PSDB. Alors qu’Aécio Neves, dernier candidat de la droite
battu par Dilma en 2014, bénéficierait d’une destitution le plus rapide
possible de Dilma, son principal rival interne, l’actuel gouverneur de
l’Etat de Sao Paulo Geraldo Alkmin, a besoin de plus de temps pour se
préparer à gagner la dispute interne et devenir le candidat du PSDB pour
les prochaines présidentielles.
Pour un troisième pôle
Cette crise politique et de représentativité des partis bourgeois au
Brésil est sans aucun doute liée aussi aux mobilisations populaires de
juin 2013. A l’époque on avait vu la jeunesse et les travailleurs
descendre dans la rue pour dénoncer les coûts des travaux pour la Coupe
du Monde et les Jeux Olympiques et en même temps les conditions
désastreuses dans lesquelles se trouvaient les services publics comme la
santé, l’éducation, les transports.
Aujourd’hui la situation tend à se polariser entre deux options
bourgeoises et tout à fait antipopulaires : les secteurs de la
petit-bourgeoisie conservatrice raciste et profondément anti-ouvrière
d’une part ; et le gouvernement du PT et Dilma de l’autre qui sont en
train d’appliquer des plans d’austérité contre les classes populaires,
privatiser des entreprises publiques, sans parler des scandales de
corruption dans lequel ses membres se trouvent embourbés.
Beaucoup de partis politiques d’extrême-gauche et d’organisations
sociales justifient leur participation aux manifestations organisées par
le gouvernement et ses organisations satellites par un supposé « danger
de Coup d’Etat ». La réalité c’est que bien qu’il y ait des secteurs
qui demandent ouvertement une « intervention militaire », le Brésil est
loin d’être menacé par un Coup.
Au contraire aujourd’hui ce qui se pose pour les travailleurs, la
jeunesse, les habitants des quartiers populaires et l’ensemble des
opprimés c’est la construction d’un pôle d’indépendance de classe aussi
bien de la droite que du gouvernement. C’est pour cela que nous
soutenons l’appel que nos camarades du Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs ont lancé au PSOL à travers leur quotidien d’extrême gauche brésilien Esquerda Diario
pour organiser avec l’ensemble des partis et organisations sociales
indépendantes du gouvernement et du patronat une troisième mobilisation
qui représente les intérêts des travailleurs et des classes populaires.
Publié le 22 août 2015
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