Philppe Alcoy
Source: Révolution Permanente
Comme nous le soulignons dans notre déclaration,
la convocation d’un référendum sur les termes du plan d’austérité
proposé par la Troïka relève d’un geste désespéré pour mettre la
pression sur les « partenaires » européens d’Athènes face à l’échec de
la stratégie de négociations mise en place par le gouvernement
Syriza-Anel. Cependant, les événements sont en train de prendre une
tournure qui force les deux parties à camper sur leurs positions alors
que, parallèlement, on assiste au développement de dynamiques
politiques, économiques et sociales qui pourraient s’avérer
incontrôlables.
A en croire les déclarations des dirigeants
européens, l’annonce de Tsipras dans la nuit de vendredi à samedi les a
pris par de court. La Troïka ne s’attendait pas à ce coup de poker pour
la faire céder alors que ses exigences s’imposaient depuis le début des
négociations au mois de février.
L’intention de Tsipras et du gouvernement est
clairement de pousser la Troïka à reculer un peu dans son intransigeance
mais aucunement de rompre les négociations avec celle-ci. Néanmoins, la
réponse brusque de l’Eurogroupe, qui a décidé de ne pas étendre le
programme de « sauvetage » et de geler le mécanisme d’assistance
financière de la BCE (ELA), a plutôt braqué la partie grecque, poussant
Tsipras, malgré lui, à adopter un discours beaucoup plus « ferme ».
C’est ainsi qu’il a fini par appeler explicitement à voter « non ».
Au-delà du référendum, au-delà de la dette grecque : d’immenses risques pour la zone euro et l’UE
Dans la foulée de la confusion créée par cette
situation le gouvernement grec s’est vu obligé d’imposer le contrôle des
capitaux et la fermeture du secteur bancaire, au moins jusqu’à la tenue
du référendum. Malgré les queues devant les distributeurs automatiques,
la population semble, pour l’instant, inquiète mais calme. Par
ailleurs, il est quasi certain que la Grèce ne va pas payer les 1,6
milliards d’euros au FMI mardi 30 juin.
Le risque d’un Grexit désordonné et d’un
défaut de paiement se concrétisent de plus en plus, même si personne ne
semble encore accepter cette perspective. Les analystes ont beau
affirmer que les risques de contagion seraient contrôlés et que la zone
euro est davantage prête à ce type de situations qu’il y a trois ans,
les conséquences économiques et surtout politiques pourraient être
imprévisibles. Ainsi, malgré les déclarations des experts qui se veulent
rassurant quant aux risques, à court terme, pour l’euro et l’UE, le
vrai danger se pose à moyen et à long terme pour les puissances
centrales de l’UE.
En effet, la sortie d’un pays de la zone euro serait
un coup dur porté à la conviction arrogante, partagée par une bonne
partie du personnel politique impérialiste en Europe, selon laquelle
l’adhésion à l’euro serait « irréversible ». La conséquence serait la
tentation, réelle ou illusoire, pour d’autres pays en difficulté
économique, de choisir de sortir de la monnaie unique pour dévaluer et
essayer de rattraper de cette façon l’écart de compétitivité face aux
« partenaires » européens les plus puissants. Du point de vue du monde
du travail et des classes populaires, cependant, la déflation et
l’austérité actuelles tout comme la dévaluation et la perte indirecte de
pouvoir d’achat sont deux perspectives tout aussi réactionnaires.
Mais sortir de l’euro voire de l’UE pourrait
éventuellement signifier le retour au protectionnisme en Europe. En
effet, ce serait un recul important pour un pays comme l’Allemagne dont
la zone commerciale stratégique qu’est l’UE pourrait être fragmentée par
des barrières douanières. Face au caractère insoutenable de la zone
euro actuellement, certains secteurs de la classe politique allemande
sembleraient néanmoins favorables à la création d’une Europe à deux
vitesses. C’est notamment ce que soutiendrait le ministre allemand des
Finances, Wolfgang Schäuble, qui est celui qui a le plus durement rejeté
la dernière offre de négociation avancée par Tsipras.
Ce qui est clair, c’est qu’une expulsion dramatique
et chaotique de la Grèce de la zone euro, voire de l’UE, pourrait avoir
un autre effet plus politique. L’Union pourrait perdre de son « aura »
de projet d’unité et de solidarité entre les peuples. Ce désenchantement
pourrait faire progresser l’influence des tendances eurosceptiques au
sein de la population dans une série de pays, à commencer par les plus
touchés par la crise.
Il est clair que dans un tel scénario, les puissances
européennes ne resteraient pas les bras croisés. Elles feraient tout
pour asphyxier l’économie grecque et faire tomber le gouvernement
Syriza-Anel, tentant d’avancer dans une semi-colonisation accélérée du
pays pour que son économie ne soit pas viable sans assistance de
l’impérialisme. L’objectif serait que la Grèce devienne une sorte de
« protectorat économique ».
Cette perspective n’est pas sans risques et pourrait
devenir facilement un cauchemar géopolitique, économique et social pour
les dirigeants européens. C’est pour cela que, plus ou moins
ouvertement, à travers des gestes tels que le non-arrêt complet des
financements pour les banques grecques à travers la BCE ou le discours
de Jean-Claude Juncker, loin d’avoir tourné politiquement la page du
dossier grec, la Troïka est en train de faire campagne pour le « oui ».
Une victoire du « non » pourrait en effet la mener à devoir choisir entre un douloureux Grexit
ou une très inconfortable nouvelle négociation. Face à ces solutions,
mauvaises dans les deux cas pour le noyau central de l’impérialisme
européen, on ne peut exclure une solution intermédiaire consistant en un
défaut de paiement de la Grèce qui resterait dans la zone euro et
introduirait éventuellement une monnaie parallèle comme cela avait été
le cas de l’Argentine lors de la crise du début des années 2000, le tout
accompagné d’un contrôle des changes durable et d’une restructuration
bancaire sur le long terme en tant que programme global de réduction de
la dette. Le facteur temps sera clef de manière à éviter que les
tendances les plus extrêmes des deux parties en présence ne s’exacerbent
au cours des prochains jours.
Le gouvernement grec entre le « oui » et le « non »
Pour
le gouvernement Syriza les choses ne sont pas faciles non plus. Si,
dans les conditions actuelles, le « oui » l’emporte ce dimanche,
l’exécutif serait soit forcé de convoquer de nouvelles élections, soit
de procéder à un remaniement du gouvernement pour y faire entrer des
membres des partis d’opposition pro-Troïka pour former un gouvernement
« d’unité nationale », soit se voir imposer un « gouvernement
technique ».
Cependant, en cas d’élections anticipées, rien ne
garantit que Syriza les remporte à nouveau étant donné le discrédit des
partis traditionnels, ce qui est un écueil politique important pour la
Troïka. Même dans le cas d’une victoire des partis pro-Troïka, ils se
trouveraient face au problème non-résolu de la dette, ce qui pourrait
redonner un certain prestige à Tsipras qui se présenterait comme le seul
homme politique grec à avoir résisté aux créanciers pendant six mois.
Si le « non » l’emporte, toujours dans les conditions
actuelles, ce serait une victoire politique importante pour Syriza.
Mais Tsipras l’a déjà dit : cette victoire serait une façon de revenir à
la table de négociations, dans de meilleures conditions. Or, rien ne
garantit que la Troïka n’accepte de négocier en acceptant une telle
défaite politique. Même si cette possibilité n’est pas à exclure, il est
évident que la confiance entre les négociateurs de la Troïka et la
Grèce serait quasiment rompue.
Une autre possibilité qui semble de plus en plus
difficile serait que Tsipras recule à la dernière minute et arrive à un
accord avec la Troïka et appelle à voter « oui ». Cette hypothèse
improbable pourrait l’être moins si, dans les sondages d’opinion, le
« oui » avance substantiellement. Cela pourrait ouvrir une situation de
crise au sein de Syriza avec son aile gauche, exacerber le
mécontentement des secteurs ouvriers et populaires qui voient encore en
Tsipras un défenseur de la « nation humiliée ». Des organisations
favorables au « non » mais hostiles à Syriza comme le KKE, Antarsya et
même Aube Dorée, pourraient se renforcer auprès de cette frange déçue de
l’électorat Syriza.
Une dernière chose à prendre en compte c’est que la
droite et la Troïka ont encore une arme contre Tsipras : le président de
la République, Prokópis Pavlópoulos, est un vieux routier de la
politique et de Nouvelle Démocratie. Il a déjà menacé de démissionner en
cas de « Grexit », ce qui provoquerait des élections anticipées. C’est
Tsipras lui-même qui a fait pression pour que cet ancien ministre et
député de droite accède à la présidence, une preuve de plus du caractère
bourgeois du gouvernement Syriza-Anel.
Aucune confiance dans le gouvernement Syriza-Anel
La
« gauche de la gauche » et la gauche de Syriza n’ont de cesse, ces
derniers jours et ces dernières heures, de tresser des lauriers à
Tsipras. Mais ce n’est pas la pression de la rue qui a poussé Tsipras à
convoquer à un référendum mais son intention d’améliorer avec une
certaine dose de naïveté son rapport de force dans les négociations et
d’assurer, avant tout, sa survie politique. C’est ce qui l’a mené, par
erreur, à la rupture que les analystes craignaient tant.
Cependant, en raison de l’ensemble des éléments
soulignés plus haut, pour la première fois, des brèches dans le rapport
entre les créanciers et les masses grecques se sont ouvertes et ces
dernières pourraient en tirer profit pour passer à l’offensive.
S’opposer résolument au plan d’austérité de la Troïka et à tout plan
d’austérité, c’est, pour le monde du travail, les classes populaires et
la jeunesse de Grèce, une question de vie ou de mort. En effet, la
dernière proposition faite par la Troïka et qui devrait être soumise à
référendum est, bien entendu, humiliante. Mais le plan économique
présenté par le gouvernement Syriza-Anel la semaine dernière est
également réactionnaire. Les milliers de personnes qui se sont
mobilisées lundi soir devant le Parlement grec, Place Syntagma, à
Thessalonique et dans les principales villes du pays pour dire « non » à
l’austérité montrent l’opposition populaire à toutes les coupes
budgétaires et toutes les attaques contre les conditions de vie, d’où
qu’elles viennent.
La seule alternative pour ouvrir une alternative
progressiste serait le retour sur le devant de la scène du mouvement
ouvrier, des mouvements sociaux et du mouvement antifasciste, des grèves
et des occupations contre la catastrophe qui guette les masses,
durement frappées par ces années d’austérité.
Une victoire du « non » au référendum pourrait
encourager les masses mais ne changerait rien si elle n’est accompagnée
d’une action indépendante des travailleurs face au drame de la dette et à
l’humiliation des classes populaires que veulent imposer les puissances
impérialistes. Il faut que les exploités se mobilisent en toute
indépendance du gouvernement, des capitalistes locaux et des
impérialistes qui veulent imposer la semi-colonisation du pays. Pour
cela on ne peut faire aucune confiance en un gouvernement qui s’est déjà
montré ouvert à appliquer « l’austérité de gauche ».
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