26.6.15

La Troïka veut infliger une défaite politique à Syriza


Philippe Alcoy
 
Depuis le début de la semaine les créanciers de la Grèce, les bourses, les médias mainstream envoient des signes « optimistes » quant au débouché des « négociations » entre la Troïka et le gouvernement grec. Cependant, malgré cela et la capitulation sur toute la ligne (rouge) de la part de Tsipras, l’accord n’est pas encore signé. Les « travaux doivent continuer » et apparemment il y aura un nouveau sommet européen extraordinaire samedi prochain. Alors que Tsipras doit faire face à la gronde interne, que l’agacement commence à gagner une partie importante de la population (y compris parmi ceux qui pensent qu’un accord est « nécessaire »), les intentions des créanciers sont de plus en plus explicites : infliger une défaite politique et humilier le gouvernement grec dirigé par Syriza.

En effet, la lenteur à trouver un accord de la part des créanciers semble incompréhensible. Comme dit l’analyste britannique Paul Mason dans son blog : « La proposition [de Syriza] répond aux principaux objectifs des bailleurs de fonds, mais la nuit dernière ils étaient encore en train de marchander sur la structure précise de la TVA, les pensions et la « réforme du marché des produits » - qui est le mot de code pour l’obsession du FMI avec les pharmacies et boulangeries grecques ».

Ces négociations sur des points aussi « techniques » et précis, ces retards et prolongations démontrent qu’au fond, la Troïka, n’est pas simplement en train de négocier des mesures économiques mais vise des objectifs politiques bien plus importants. Son objectif est d’imposer une réorientation ou un tournant vers le centre au gouvernement grec. Elle cherche à infliger une grande défaite politique à ce parti qui a voulu remettre en cause très partiellement les politiques d’austérité complètement consensuelles parmi les politiciens européens.

Les dirigeants européens ne veulent laisser aucune marge de manœuvre à Syriza. Il faut asphyxier son gouvernement au point où la seule politique qu’il pourra mettre en place, s’il ne veut pas tomber, sera celle dictée par la Troïka. Il s’agit de décourager tout parti dans les pays européens en crise, à commencer par l’Etat Espagnol, qui essaierait de suivre l’exemple de Syriza.

Il n’y a aucun doute que cette situation est une conséquence de l’orientation politique de Tsipras. A chaque jour qui passe Syriza est en train de démontrer tragiquement l’impasse du réformisme, notamment dans une période où le capitalisme est en crise. En effet, l’expérience historique le démontre que dans ces circonstances de crise les capitalistes ont fait des concessions seulement face à la peur de tout perdre, c’est-à-dire face au risque de la révolution. Cependant, Tsipras et Syriza, y compris son aile gauche, ont plutôt contribué à la démobilisation, au rabaissement des expectatives et à la sensation d’impuissance qui prend de plus en plus d’importance.

Mais si l’on ne prend pas en compte l’objectif politique des dirigeants impérialistes, il est impossible de comprendre pourquoi même après une capitulation complète de Tsipras et son gouvernement les créanciers font encore durer les négociations.

Pousser Syriza à la division ?

 

Ces énormes concessions de la part de Tsipras sont en train d’attiser les tensions internes au sein de Syriza. Non seulement sa Plateforme de Gauche trouve les propositions du gouvernement inacceptables mais même d’autres membres plus « modérés » considèrent qu’on est allé trop loin. Certains évoquent un possible départ du gouvernement du polémique ministre des finances Yanis Varoufakis.

Cette semaine on a vu aussi une manifestation de retraités organisée par le PAME (courant syndical lié au Parti Communiste grec – KKE) qui protestaient contre les coupes aux retraites proposées par le gouvernement.

Dans ce cadre, la Troïka pousse le gouvernement grec à faire de plus en plus de concessions, même plus que celles qu’elle demanderait à un gouvernement pro-austérité. Les impérialistes veulent imposer un accord à Tsipras où il n’y ait aucune garantie quant à des perspectives de prendre au moins quelques mesures semblant « de gauche », comme pourrait l’être l’effacement partiel d’une partie de la dette. Les créanciers savent qu’un accord humiliant pourrait ne pas être acceptable par la gauche de Syriza et même au-delà.

Ainsi, ils ont deux objectifs complémentaires. L’un est de mettre Tsipras dans une situation où face à l’éventuel refus de l’aile gauche du parti à voter l’accord (qui n’existe pas encore), il doive s’appuyer sur les forces libérales et pro-austérité du parlement. En effet, comme affirme le journal de la City de Londres, The Financial Times : « si plus de dix députés de Syriza votent contre le nouvel accord – ou même s’abstiennent – le gouvernement dirigé par Syriza aurait besoin de l’aide des partis d’opposition pro-européens pour le faire passer. Bien que cela permette de résoudre le problème immédiat, cela pourrait aussi nuire à la crédibilité de Syriza et remettre en cause le gouvernement ».

Là on arrive au deuxième objectif. En effet, en dernière instance, la Troïka voudrait pousser Tsipras à rompre avec son aile « radicale » pour ensuite pouvoir plus facilement lui imposer un tournant vers le centre. On ne peut pas écarter la possibilité que les créanciers imposent une sorte de gouvernement « Syriza 2 » avec des membres des libéraux de To Potami, des sociaux-démocrates voire certains membres de Nouvelle Démocratie (droite). Ce serait la concrétisation du « gouvernement d’union nationale » qu’exige l’ex-premier ministre Antonis Samaras.

Le scénario idéal pour la Troïka

 


Le scénario idéal pour les dirigeants impérialistes et pour les capitalistes grecs serait celui d’une rupture de Tsipras avec sa gauche ; de l’organisation d’un référendum pour valider le plan d’austérité « de gauche » et ainsi jouir d’une certaine « légitimité populaire » et de la formation d’un gouvernement d’unité nationale avec ou sans Tsipras comme premier ministre.

Ainsi, ils imposeraient leurs règles à la Grèce et en même temps jetteraient Syriza (et les partis européens proches comme Podemos) dans le discrédit total vis-à-vis des secteurs de la société les plus enclins à des alternatives « radicales » (rupture avec l’euro, lutte contre l’austérité, etc.). Ce serait aussi une opération idéologique visant à répandre l’idée à travers l’Europe qu’il serait impossible de lutter contre l’austérité, qu’il n’y a pas d’autre alternative.

Regrettablement, le gouvernement Syriza-Anel avec sa politique de négociation et de conciliation avec la Troïka est en train de donner des arguments en ce sens. Cependant, les impérialistes attisent peu à peu les tensions au sein de la population grecque. Le semblant de passivité et d’expectative de la jeunesse et des travailleurs pourrait avoir une limite. Car les travailleurs et les secteurs populaires n’ont pas encore dit leur dernier mot. Il n’y a aucun doute que ce sont eux qui ont le pouvoir d’en finir avec les politiques des capitalistes locaux et internationaux, même si cela implique de s’affronter aussi au gouvernement actuel. Dans cette perspective, même si l’extrême gauche en Grèce est encore petite, si elle sait exploiter la situation, son potentiel est énorme.

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