Philippe Alcoy
Source: Révolution Permanente
Depuis le début de la semaine les créanciers de la Grèce, les bourses, les médias mainstream
envoient des signes « optimistes » quant au débouché des
« négociations » entre la Troïka et le gouvernement grec. Cependant,
malgré cela et la capitulation sur toute la ligne
(rouge) de la part de Tsipras, l’accord n’est pas encore signé. Les
« travaux doivent continuer » et apparemment il y aura un nouveau sommet
européen extraordinaire samedi prochain. Alors que Tsipras doit faire
face à la gronde interne, que l’agacement commence à gagner une partie
importante de la population (y compris parmi ceux qui pensent qu’un
accord est « nécessaire »), les intentions des créanciers sont de plus
en plus explicites : infliger une défaite politique et humilier le
gouvernement grec dirigé par Syriza.
En effet, la lenteur à trouver un accord de
la part des créanciers semble incompréhensible. Comme dit l’analyste
britannique Paul Mason dans son blog : « La proposition
[de Syriza] répond aux principaux objectifs des bailleurs de fonds,
mais la nuit dernière ils étaient encore en train de marchander sur la
structure précise de la TVA, les pensions et la « réforme du marché des
produits » - qui est le mot de code pour l’obsession du FMI avec les
pharmacies et boulangeries grecques ».
Ces négociations sur des points aussi « techniques »
et précis, ces retards et prolongations démontrent qu’au fond, la
Troïka, n’est pas simplement en train de négocier des mesures
économiques mais vise des objectifs politiques bien plus importants. Son
objectif est d’imposer une réorientation ou un tournant vers le centre
au gouvernement grec. Elle cherche à infliger une grande défaite
politique à ce parti qui a voulu remettre en cause très partiellement
les politiques d’austérité complètement consensuelles parmi les
politiciens européens.
Les dirigeants européens ne veulent laisser aucune
marge de manœuvre à Syriza. Il faut asphyxier son gouvernement au point
où la seule politique qu’il pourra mettre en place, s’il ne veut pas
tomber, sera celle dictée par la Troïka. Il s’agit de décourager tout
parti dans les pays européens en crise, à commencer par l’Etat Espagnol,
qui essaierait de suivre l’exemple de Syriza.
Il n’y a aucun doute que cette situation est une
conséquence de l’orientation politique de Tsipras. A chaque jour qui
passe Syriza est en train de démontrer tragiquement l’impasse du
réformisme, notamment dans une période où le capitalisme est en crise.
En effet, l’expérience historique le démontre que dans ces circonstances
de crise les capitalistes ont fait des concessions seulement face à la
peur de tout perdre, c’est-à-dire face au risque de la révolution.
Cependant, Tsipras et Syriza, y compris son aile gauche, ont plutôt
contribué à la démobilisation, au rabaissement des expectatives et à la
sensation d’impuissance qui prend de plus en plus d’importance.
Mais si l’on ne prend pas en compte l’objectif
politique des dirigeants impérialistes, il est impossible de comprendre
pourquoi même après une capitulation complète de Tsipras et son
gouvernement les créanciers font encore durer les négociations.
Pousser Syriza à la division ?
Ces énormes concessions de la part de Tsipras sont en train d’attiser les tensions internes au sein de Syriza. Non seulement sa Plateforme de Gauche
trouve les propositions du gouvernement inacceptables mais même
d’autres membres plus « modérés » considèrent qu’on est allé trop loin.
Certains évoquent un possible départ du gouvernement du polémique
ministre des finances Yanis Varoufakis.
Cette semaine on a vu aussi une manifestation de
retraités organisée par le PAME (courant syndical lié au Parti
Communiste grec – KKE) qui protestaient contre les coupes aux retraites
proposées par le gouvernement.
Dans ce cadre, la Troïka pousse le gouvernement grec à
faire de plus en plus de concessions, même plus que celles qu’elle
demanderait à un gouvernement pro-austérité. Les impérialistes veulent
imposer un accord à Tsipras où il n’y ait aucune garantie quant à des
perspectives de prendre au moins quelques mesures semblant « de
gauche », comme pourrait l’être l’effacement partiel d’une partie de la
dette. Les créanciers savent qu’un accord humiliant pourrait ne pas être
acceptable par la gauche de Syriza et même au-delà.
Ainsi, ils ont deux objectifs complémentaires. L’un
est de mettre Tsipras dans une situation où face à l’éventuel refus de
l’aile gauche du parti à voter l’accord (qui n’existe pas encore), il
doive s’appuyer sur les forces libérales et pro-austérité du parlement.
En effet, comme affirme le journal de la City de Londres, The Financial Times : « si
plus de dix députés de Syriza votent contre le nouvel accord – ou même
s’abstiennent – le gouvernement dirigé par Syriza aurait besoin de
l’aide des partis d’opposition pro-européens pour le faire passer. Bien
que cela permette de résoudre le problème immédiat, cela pourrait aussi
nuire à la crédibilité de Syriza et remettre en cause le gouvernement ».
Là on arrive au deuxième objectif. En effet, en
dernière instance, la Troïka voudrait pousser Tsipras à rompre avec son
aile « radicale » pour ensuite pouvoir plus facilement lui imposer un
tournant vers le centre. On ne peut pas écarter la possibilité que les
créanciers imposent une sorte de gouvernement « Syriza 2 » avec des
membres des libéraux de To Potami, des sociaux-démocrates voire certains
membres de Nouvelle Démocratie (droite). Ce serait la concrétisation du
« gouvernement d’union nationale » qu’exige l’ex-premier ministre
Antonis Samaras.
Le scénario idéal pour la Troïka
Le scénario idéal pour les dirigeants impérialistes
et pour les capitalistes grecs serait celui d’une rupture de Tsipras
avec sa gauche ; de l’organisation d’un référendum pour valider le plan
d’austérité « de gauche » et ainsi jouir d’une certaine « légitimité
populaire » et de la formation d’un gouvernement d’unité nationale avec
ou sans Tsipras comme premier ministre.
Ainsi, ils imposeraient leurs règles à la Grèce et en
même temps jetteraient Syriza (et les partis européens proches comme
Podemos) dans le discrédit total vis-à-vis des secteurs de la société
les plus enclins à des alternatives « radicales » (rupture avec l’euro,
lutte contre l’austérité, etc.). Ce serait aussi une opération
idéologique visant à répandre l’idée à travers l’Europe qu’il serait
impossible de lutter contre l’austérité, qu’il n’y a pas d’autre
alternative.
Regrettablement, le gouvernement Syriza-Anel avec sa
politique de négociation et de conciliation avec la Troïka est en train
de donner des arguments en ce sens. Cependant, les impérialistes
attisent peu à peu les tensions au sein de la population grecque. Le
semblant de passivité et d’expectative de la jeunesse et des
travailleurs pourrait avoir une limite. Car les travailleurs et les
secteurs populaires n’ont pas encore dit leur dernier mot. Il n’y a
aucun doute que ce sont eux qui ont le pouvoir d’en finir avec les
politiques des capitalistes locaux et internationaux, même si cela
implique de s’affronter aussi au gouvernement actuel. Dans cette
perspective, même si l’extrême gauche en Grèce est encore petite, si
elle sait exploiter la situation, son potentiel est énorme.
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