Philippe Alcoy
Source: Révolution Permanente
Voici la troisième et dernière partie de notre
analyse sur les mobilisations populaires et les crises politiques qui se
sont développées en Europe de l’Est ces dernières années dans un
contexte de crise capitaliste. Après avoir abordé dans les parties
précédentes le contexte dans lequel ces explosions sociales et crises politiques se produisent, ce que cela implique pour le discours des capitalistes au niveau mondial ainsi que les limites de ces mouvements, nous avançons ici quelques pistes programmatiques pour essayer de dépasser ces difficultés.
Penser les voies du passage de la « restauration » vers la « transition »
La question de défendre un programme de classe,
indépendant des classes dominantes locales et des impérialistes, est
fondamentale. Surtout dans cette région où vers la fin des années 1980
plusieurs pays ont connu une série d’importantes luttes ouvrières contre
les bureaucraties staliniennes incapables de résoudre la crise
économique et sociale qui traversait l’ensemble du « bloc socialiste ».
Les révoltes populaires dans plusieurs pays ont réussi à renverser les vieux régimes staliniens mais ont été capitalisées et déviées par différentes variantes politiques bourgeoises et restaurationnistes.
Précisément, la pression de la classe ouvrière est l’un des facteurs
qui a conduit, au début des années 1990, une partie de la bureaucratie
stalinienne à adopter la voie de la restauration capitaliste.
Dans aucun de ces cas les travailleurs n’ont été
capables de freiner le processus de restauration capitaliste et
l’instauration de régimes de démocratie bourgeoise en défendant leur
propre programme de révolution politique contre la bureaucratie
stalinienne. Au contraire, une partie significative du prolétariat a
décidé, bien que sans enthousiasme, de soutenir des variantes
pro-capitalistes.
Aujourd’hui que l’on commence à voir surgir des
brèches dans ces régimes instaurés au début des années 1990, la classe
ouvrière devrait éviter de commettre les mêmes erreurs. Pour cela, il
faut que ses alternatives soient radicalement différentes des
« solutions » apportées par la bourgeoisie et l’impérialisme.
Ainsi, face aux régimes corrompus et répressifs il
n’est pas possible de proposer des changements et des réformes
superficiels ou limités au cadre existant. Au contraire, c’est tout le
cadre qu’il faut renverser. En ce sens, la revendication d’une Assemblée
Constituante basée sur la plus large démocratie pourrait devenir un
premier pas pour avancer vers la satisfaction des demandes démocratiques
structurelles des masses.
De cette façon, les travailleurs, la jeunesse et
l’ensemble des opprimés pourraient défendre des mesures telles que tout
politicien gagne le même salaire qu’un ouvrier qualifié, ce qui
empêcherait que la politique devienne une source d’enrichissement
personnel pour une poignée de politiciens corrompus. Et cela d’autant
plus qu’il s’agit ici d’un problème central dans l’ensemble des pays de
la région et génère un rejet généralisé.
Mais cela n’est pas encore suffisant pour garantir
que ces politiciens ne gouvernent en faveur des intérêts des
capitalistes. C’est pour cette raison qu’en plus de défendre la
revendication de l’élection de tous les postes de responsabilité dans
l’Etat on devrait mettre en avant la révocabilité à tout moment des
députés, des ministres, des juges, etc.
Dans cette région, la question de l’oppression
nationale se pose pour les peuples concernés non seulement face à
l’impérialisme mais aussi à l’intérieur de chaque pays. Le nationalisme a
étéutilisé par plusieurs courants restaurationnistes pour diviser les
exploités et ainsi pouvoir tirer profit de la réintroduction du
capitalisme. C’est pour cela que le droit à l’autodétermination pour les
populations opprimées de la région est aussi une revendication
démocratique centrale et la seule manière de poser les bases d’une
réelle fraternité entre les peuples.
Mais dans les ex-Etats ouvriers bureaucratisés
d’Europe de l’Est une question occupe une place majeure, peut-être
comparable à celle que la réforme agraire pouvait jouer à une autre
époque : la renationalisation sans indemnité ni rachat et sous gestion
des ouvriers et de la population de toutes les entreprises et services
publics privatisés pendant le processus de restauration capitaliste.
Cette revendication pourrait être élargie aussi aux entreprises privées
ouvertes pendant ce processus et qui qu’aujourd’hui en pleine crise
décident de fermer ou de licencier massivement.
En effet, si l’appropriation privée de la richesse
produite collectivement est l’une des caractéristiques fondamentales du
capitalisme, dans les ex-Etat ouvriers bureaucratisés la restauration
capitaliste a impliqué un vol à grande échelle de la propriété et de la
richesse nationale produite au cours de plusieurs décennies par
l’ensemble de la société. C’est le caractère ouvertement criminel et
contemporain de cette sorte « d’accumulation primitivede capital » au
sein de ces pays qui permet que cette revendication soit fondamentale et
clairement compréhensible par les masses laborieuses.
Cette mesure serait non seulement une façon de
répondre à l’urgente question du chômage, notamment parmi les jeunes,
mais aussi une base solide pour la mise en place d’organes
d’auto-organisation de la classe ouvrière et des masses. Et cela
permettrait alors de proposer une réponse à la question de la
« participation populaire » dans la prise de décisions économiques et
politiques dans la société.
Ces organes d’auto-organisation des masses pourraient
même se développer jusqu’à créer des formes de double pouvoir et
disputer celui-ci à la bourgeoisie en se dégageant de la tutelle et de
l’oppression impérialiste.
Mais pour mettre en branle les classes populaires
dans la défense d’un tel programme, il faudra une organisation. Une
organisation qui soit capable de répondre non seulement à des questions
d’ordre pratique mais avant tout politique. En ce sens, l’une des tâches
préparatoires face à des (très) probables nouvelles explosions
sociales, voire des processus révolutionnaires, est la construction d’un
parti des travailleurs, de la jeunesse et de l’ensemble des opprimés.
Autrement dit, un parti qui soit complètement différent de ceux qui se
sont développés jusqu’à présent dans la région, un parti qui soit
décidément révolutionnaire et du côté des exploités et des opprimés. Un
organisateur collectif qui soit capable de tirer les leçons des luttes
passées et récentes et ainsi préparer les victoires futures. Pour cela,
la récupération par les masses exploitées de cette région de l’héritage
politique et idéologique du trotskysme, seul courant marxiste à avoir
dénoncé dès le début la déformation bureaucratique de l’ex-URSS dominée
par Staline, sera fondamentale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire