Philippe Alcoy
Source: Révolution Permanente
L’Eurogroupe du jeudi 18 juin
s’est soldé par un nouvel échec des négociations entre la Grèce et ses
créanciers. Toujours pas d’accord en vue qui permettrait de débloquer le
déboursement de la dernière tranche du prêt accordé au pays dans le
cadre du plan de « sauvetage » international, mais avant même le début
de la réunion, peu d’analystes et responsables croyaient en la
possibilité d’un accord. Un sommet extraordinaire des responsables de la
zone euro aura lieu lundi prochain et les rumeurs de défaut se font de
plus en plus fortes.
La Troïka, malgré toutes les concessions faites par le gouvernement
de Tsipras, continue à avoir une attitude intransigeante. Elle exige
toujours que la Grèce s’engage à « refonder » son système de retraites
qui serait, selon ces dirigeants impérialistes, « trop généreux » et
« couteux » (16% du PIB). Elle demande également des réformes du marché
de l’emploi et surtout des excédents budgétaires primaires (avant le
paiement des services de la dette) pour les années à venir, ce qui
impliquerait que le gouvernement dirigé par Syriza prenne plus de
mesures d’austérité et procède à des augmentations d’impôts.
A l’issu de l’Eurogroupe divers dirigeants européens et des
institutions internationales ont fait des déclarations consistant à
faire passer le gouvernement grec comme étant l’intransigeant : « Je
lance un appel au gouvernement grec pour revenir sérieusement à la table
des négociations (…) [Il faut qu’il] accepte de faire des compromis
raisonnables [pour] éviter un sort qui serait tout à fait
catastrophique », déclarait Pierre Moscovici, commissaire européen aux
finances. Mais la plus virulente a été la directrice générale du FMI,
également française, Christine Lagarde. Avec un mépris et arrogance
caractéristiques de la classe qu’elle représente elle a lancé à la fin
de la réunion : « l’urgence est de rétablir le dialogue, avec des
adultes dans la salle ».
D’un point de vue économique les exigences de la Troïka expriment le
fait qu’elle cherche à s’assurer qu’elle récupèrera l’argent investi
dans la dette grecque. Mais cette attitude intransigeante, bien qu’elle
implique des contradictions internes, a surtout des motivations
politiques. En effet, les gouvernements des puissances européennes
veulent imposer une humiliation totale à Syriza qui, la corde au cou et
sur au bord de l’asphyxie financière, devrait accepter de capituler
devant les exigences de ses créanciers et ainsi commettre un « suicide
politique ».
Ils cherchent à donner une leçon politique à celui qui d’une certaine
façon à voulu remettre en cause, même très partiellement, les termes de
la relation politique. Et cela se voit clairement car nous ne sommes
pas face à un gouvernement dur, inflexible, comme certains s’attendaient
à gauche avant les élections, bien au contraire. En effet, sur tous les
points exigés par la Troïka, Tsipras et son gouvernement ont fait des
concessions : aussi bien sur les retraites que sur les excédents
budgétaires, sans compter les points déjà acquis comme l’augmentation de
la TVA et la poursuite du programme de privatisations.
Un risque réel de défaut et de Grexit ?
Jusqu’à présent, entre négociations et concessions, notamment de la
part du gouvernement grec, à chaque rencontre, sommet ou réunion qui
s’achevait sur un échec, il était courant de penser qu’il s’agissait de
coup de bluff d’un côté comme de l’autre. L’opinion majoritaire est (ou
était) qu’en fin de compte il y aurait un accord entre la Grèce et ses
créanciers.
Or plus la date limite pour arriver à un accord approche (le 30
juin), plus les spéculations sur un défaut se multiplient. On estime la
fuite des capitaux des banques grecques à 400 millions d’euros par jour.
Selon Reuters la BCE craindrait même que les banques grecques soient
obligées de fermer lundi pour arrêter cette fuite.
La question d’une restructuration de la dette grecque a aussi été
remise sur la table par le gouvernement Syriza-Anel. Pour appuyer cette
demande, la commission parlementaire chargée de réaliser un audit vient
de faire connaitre ses premières conclusions dans lesquelles elle estime
qu’une « grande partie de la dette grecque est illégale, illégitime et
odieuse ».
Même si cette conclusion consiste à reconnaitre implicitement qu’une
partie de la dette est légale et légitime, ce qui va à l’encontre d’une
bataille pour son annulation, pour le moment les créanciers de la Grèce
sont très loin de vouloir parler ne serait-ce que de sa restructuration,
même s’il est très probable, avec ou sans accord, que cette question se
pose de façon très concrète prochainement. Pour l’instant ce qui
semble être une réelle préoccupation des la Troïka est d’éviter un
défaut grec désordonné. Les créanciers auraient beaucoup à perdre
effectivement. Selon Wolfgang Münchau du Financial Times : « si la Grèce
venait à faire défaut sur la dette détenue par ses créanciers officiels
[Etats, institutions internationales], la France et l’Allemagne à elles
toutes seules pourrait enregistrer une perte de 160 milliards d’euros.
Angela Merkel et François Hollande deviendraient les plus grands
perdants de l’histoire des finances. Les créanciers sont en train de
rejeter toute discussion sur une restructuration de la dette, mais cela
pourrait changer si la Grèce faisait défaut. »
Mais contrairement à ce que pense ce journaliste du journal qui
représente les intérêts de la City de Londres, ainsi que, de façon
incroyable, beaucoup au sein de la gauche et de l’extrême-gauche, un
défaut de la Grèce serait surtout catastrophique pour les classes
populaires du pays. Une telle situation provoquerait un « bank run » où
les petits épargnants se précipiteraient aux banques pour retirer leurs
économies, et se trouveraient face à une impossibilité des banques à
répondre. Cela signifierait la faillite des banques et littéralement
l’expropriation des économies des classes populaires.
Ensuite, une sortie de l’euro et un retour à la drachme, autrement
dit une dévaluation de la monnaie, aurait pour conséquence une
importante dégradation du pouvoir d’achat des travailleurs et des
masses. Ce qui serait une façon de récupérer la rentabilité capitaliste
et la compétitivité de l’économie par d’autres moyens. C’est en tout cas
cela qu’espèrent ceux qui soutiennent un plan B. En outre, dans un
contexte pareil, personne ne peut affirmer que ce serait la fin des
mesures d’austérité, bien au contraire.
Un plan de lutte pour répondre aux besoins urgents des classes populaires
Pour beaucoup de jeunes et de travailleurs en Grèce, Alexis Tsipras,
malgré toutes ses reculades, apparait comme le seul dirigeant grec de
ces dernières années qui essaye de tenir tête à la Troïka. Cela en dit
long sur la couardise et la servilité des gouvernements précédents.
Le moment est très difficile pour le gouvernement grec, il est soumis
au chantage des créanciers et devra prendre des décisions
fondamentales. Cependant, il ne faut pas se tromper : en acceptant le
cadre de négociations proposé par la Troïka, c’est le gouvernement grec
lui-même qui est entré dans le piège dans lequel il se trouve. C’est
lui-même qui s’est intégré dans le jeu de pressions et d’extorsions des
créanciers du pays.
En ce sens, pour la classe ouvrière il est urgent de reprendre le
chemin des luttes, de façon indépendante vis-à-vis du gouvernement. Il
faut exiger la fin des négociations avec la Troïka, l’annulation de la
dette et de toutes les mesures d’austérité prises ces dernières années.
La dévaluation de la monnaie n’est pas une solution pour les
travailleurs. Elle ne serait pas non plus la garantie de la « reprise de
la souveraineté sur l’économie nationale ». Pour cela il faut lutter
pour la nationalisation sans rachat ni indemnité et sous gestion des
travailleurs du système bancaire et des secteurs clés de l’économie.
Aussi bien ceux qui sont entre les mains d’autres puissances
impérialistes européennes, ceux détenus par le capital chinois comme le
port du Pirée, que ceux des grand magnats grecs, qu’aucun gouvernement, y
compris l’actuel, n’ose toucher.
Ces mesures parmi d’autres seraient les seules capables de faire en
sorte que ce soit les capitalistes qui payent la crise, et non les
millions de travailleuses et travailleurs et les classes populaires
grecs. C’est la seule voie réaliste face au chantage des capitalistes
locaux, comme le président de la Banque centrale grecque hier, et des
impérialistes.
19/06/15
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