Philippe Alcoy
Source: Révolution Permanente
L’orientation de plus en plus conciliatrice de
Tsipras et de son gouvernement avec la Troïka est en train de soulever
des tensions au sein de Syriza. C’est en effet son aile gauche,
organisée au sein de la « Plateforme de gauche », qui a le plus critiqué
publiquement l’orientation de l’aile majoritaire. Mais la politique de
la « gauche de Syriza » sera-t-elle vraiment en capacité de représenter
une alternative pour les classes populaires au moment où le gouvernement
grec est en train de reculer face aux créanciers du pays ?
La presse nationale et internationale se
sont faites l’écho de la réunion du Comité Central de Syriza le 24 mai
dernier, où la « Plateforme de Gauche » a présenté une motion qui a
accueilli 44% des voix. Celle-ci proposait, entre autres, la « rupture »
des négociations avec la Troïka, le non payement de la dette, et un
« plan alternatif » pour le pays incluant la nationalisation des
banques, le rétablissement des droits des travailleurs, etc.
Ce renforcement relatif de l’opposition interne fait
craindre qu’en cas de signature d’un accord avec les créanciers du pays
trop défavorable pour le gouvernement grec, l’aile gauche de Syriza
pourrait ne pas le voter au Parlement, et Tsipras pourrait se voir
obligé d’appeler à des élections anticipées ou à un référendum. Et cela
d’autant plus que la « gauche de Syriza » compte avec des députés au
parlement, que l’un de ses principaux porte-paroles est Panagiotis
Lafazanis, Ministre de la Restructuration de la production, de
l’Environnement et de l’Énergie et que la présidente du parlement grec,
Zoé Kostantopoulou, a émis des critiques vis-à-vis de la politique du
gouvernement ces derniers jours.
Le centre et la droite : éventuels secours de Tsipras en dernière instance
Cependant, ces estimations semblent largement
exagérées. En effet, même dans le cas où son aile gauche ne voterait pas
un éventuel accord avec la Troïka, Tsipras pourrait toujours compter
avec les voix des parlementaires du parti centriste To Potami (le
Fleuve), qui ont déjà déclaré être prêts à voter tout accord qui
permette à la Grèce de rester dans la zone euro. Mais le gouvernement
Syriza-ANEL pourrait compter aussi éventuellement avec les voix des
députés de Nouvelle Démocratie (ND - droite) d’Antonis Samaras qui a
affirmé qu’il fallait trouver « un consensus national » plutôt
qu’appeler à des élections anticipées.
Evidemment, un tel scénario ne laisserait pas Tsipras
dans une situation politique très confortable, et c’est ce que lui et
ses proches essayent d’éviter. C’est pour cela que, face à l’éventualité
d’un recul fondamental de Tsipras comme l’exige la Troïka depuis
quelques semaines, l’idée d’un référendum pour valider la politique du gouvernement
gagne du terrain. Les leaders impérialistes eux-mêmes voient cette
alternative comme une issue pour l’embourbement des négociations. Pour
les impérialistes européens « l’opinion publique » la plus
conservatrice, craignant un « Grexit », pourrait permettre à Tsipras
d’effectuer son tournant à droite, et légitimer ainsi un programme d’austérité « à la Syriza ».
Une opposition interne formelle
L’existence d’une aile gauche au sein de Syriza lui
permet de conserver (pour le moment) le soutien de l’électorat le plus à
gauche, « plus radical », qui reste encore à l’expectative des
résultats des négociations avec la Troïka, et des concessions que le
gouvernement fera ou pas.
Ce qui est déjà politiquement significatif c’est
qu’au Parlement, l’aile gauche de Syriza a voté toutes les décisions de
Tsipras concernant les négociations avec les créanciers du pays. Au-delà
des déclarations à la presse et des motions présentées au sein du
parti, la « gauche de Syriza » n’a fait que suivre une politique de
« parlementarisme interne », pour faire pression sur la direction et
essayer de freiner l’évolution vers le centre de Tsipras. Sa discipline
de parti n’a pas de faille, au moins jusqu’à présent. En ce sens, il
n’est pas exagéré de dire que leur opposition reste pour l’instant
largement formelle.
Une politique de pression sur le gouvernement
La « Plateforme de Gauche » de Syriza est dirigée par
le ministre de l’énergie Panagiotis Lafazanis. Elle est composée de
différents courants politiques issus de l’extrême-gauche trotskyste,
mais aussi de traditions staliniennes et maoïstes.
Lafazanis, membre du PC grec avant de rejoindre
Synaspismos, principal parti fondateur de Syriza, n’hésite pas à
employer un discours anti-allemand, et à défendre une orientation qui
tend vers une forme de « souverainisme de gauche ». Dans une logique
« campiste » au cours de ces derniers mois, il n’a pas hésité à évoquer
un renforcement des relations de la Grèce avec le régime de Poutine,
notamment en termes d’énergie avec le projet russe du gazoduc « Tukish
Stream » qui passerait par la Grèce. En ce sens, dans un entretien donné
juste avant la victoire électorale de Syriza, il affirmait : « Syriza
va planifier et appliquer une nouvelle politique des affaires
étrangères indépendante et à plusieurs niveaux, laquelle sera uniquement
basée sur l’intérêt national, la paix et la stabilité dans notre région
et en Europe, loin des dépendances, des « satellisations » et de la
domination ».
Lafazanis et ses proches collaborateurs, comme
l’intellectuel et député de Syriza au parlement grec, Costas Lapavitsas,
mais aussi l’intellectuel et membre du Comité Central de Syriza,
Stathis Kouvélakis, n’hésite pas à parler d’une éventuelle sortie de la
zone euro et du retour à la drachme comme une alternative à l’austérité.
Cependant, cette option présentée comme une solution face à l’enfer
actuel n’en est pas une. Au contraire, les travailleurs et les secteurs
populaires subiront une forte chute de leur pouvoir d’achat (ce qui se
rajouterait à ce qui a déjà été perdu à travers les mesures d’austérité)
en plus du risque d’une crise bancaire qui affecte encore plus les
économies des classes moyennes.
La gauche de Syriza adopte également une stratégie
essentiellement électoraliste. Et cela se voit même dans les
déclarations de ses composantes les plus « à gauche » comme le groupe
DEA (Gauche Ouvrière Internationaliste). Un de ses principaux
dirigeants, Antonis Davanellos, écrivait récemment : « Un
changement en direction d’une sortie des négociations et une possible
rupture avec la zone euro va exiger certainement un nouveau mandat
populaire, ce qui signifie des nouvelles élections. Non pas pour
échapper aux dilemmes auxquels fait face le pouvoir gouvernemental, mais
pour demander aux citoyens et citoyennes le pouvoir, l’autorité et un
clair mandat pour concrétiser ces choix qui prennent appui sur une base
politique radicale de la gauche ».
Même si certains évoquent l’importance d’impulser et
de s’appuyer sur des « mobilisation populaires », on a l’impression que
celles-ci ne serviraient que de soutien pour un gouvernement menant une
politique de gauche. Or, même sur ce point, depuis que Syriza est au
pouvoir ni la majorité, ni les dirigeants de l’aile gauche du parti
n’ont appelé les masses à se mobiliser, ne serait-ce que pour soutenir
le gouvernement face à la Troïka.
En dernière instance et malgré leurs critiques, dont
certaines sont correctes, leur politique n’est pas en effet de rompre
avec Syriza, mais de faire pression sur le gouvernement pour le pousser
« vers la gauche », lui démontrer « qu’il y a une alternative ». Les
dirigeants de la « Plateforme de Gauche » considèrent que « rien n’est
encore perdu », et que c’est toujours possible d’influer dans la
politique de Tsipras. De cette façon, avec un discours plus à gauche et
« radical », ils jouent le rôle politique d’aider à l’entretien des
illusions vis-à-vis du gouvernement, et ce malgré ses reculades. Cela va
dans les sens des intérêts du gouvernement et lui permet en même temps
de retarder le développement d’une mobilisation populaire indépendante
de lui et contre sa politique.
Pour une alternative politique des classes populaires, indépendante du gouvernement et des capitalistes
Des éléments de critique de l’orientation du
gouvernement Syriza-ANEL mis en avant par des membres de l’opposition de
gauche au sein de Syriza sont très justes. Ainsi, Stathis Kouvélakis
déclarait dans un entretien de février dernier : « L’idée
selon laquelle on pourrait rompre avec les politiques d’austérité en
faisant l’économie d’une confrontation avec l’Union Européenne a été
invalidée dans les faits (…) Il y a eu des illusions de la part de la
ligne dominante de la direction de Syriza quant aux possibilités de
changer les choses dans le cadre actuel de l’Union européenne. Ces
institutions ont révélé leur vrai visage (…) Syriza, comme la
quasi-totalité de la gauche radicale européenne, partage l’idée (…)
d’une transformation de l’intérieur des institutions européennes
existantes ».
Cependant, la responsabilité de ces dirigeants,
aujourd’hui critiques de Tsipras, dans la création d’illusions vis-à-vis
d’un gouvernement Syriza est indéniable. Etant donné qu’ils ne
proposaient pas une alternative indépendante du gouvernement, ils ont
participé et alimenté cet espoir parmi des secteurs de travailleurs et
de la jeunesse qu’ils influencent.
Le même Kouvélakis, qui pendant la campagne
électorale et même avant était un fervent propagandiste des vertus de
Syriza, vantait dans un entretien de fin décembre la « radicalité
de type nouveau que Syriza essayait de construire en agglomérant
différentes cultures, très hétérogènes, de la gauche radicale ». Il évoquait les mérites d’un Tsipras qui avait « fait un effort pour apparaître crédible en tant qu’homme d’Etat » visant « à faire passer auprès de l’opinion publique l’image de quelqu’un en mesure de gouverner le pays ». Et sans hésitation, Kouvélakis concluait : « Nous
sommes conscients du fait qu’un succès de l’expérience de Syriza
servira de locomotive pour la gauche radicale et les mouvements sociaux
en Europe, c’est notre raison d’être ».
Aujourd’hui et alors qu’un accord avec la Troïka pour
une austérité « à la Syriza » semble de plus en plus proche, la
politique de la« gauche de Syriza », consistant à soutenir les choses
positives et critiquer les reculades et menant une lutte essentiellement
« parlementariste interne », se révèle complètement insuffisante pour
offrir une réponse conséquente d’un point de vue des intérêts des
classes populaires.
Le fait est que le gouvernement Syriza-ANEL est un
gouvernement de conciliation de classes et de gestion du capitalisme. En
ce sens, il résulte impossible de concilier le fait de défendre les
intérêts des travailleurs, de la jeunesse précarisée et des opprimés en
général, avec la participation au gouvernement Syriza-ANEL.
Il faudrait au contraire rompre immédiatement avec ce
gouvernement et commencer à organiser les travailleurs et les opprimés
déçus de Syriza, ceux qui se trouvent à l’extérieur de Syriza, dans les
syndicats, les partis d’extrême-gauche, des collectifs, et qui veulent
se vraiment se battre contre la Troïka et la bourgeoisie grecque.
La lutte contre les politiques austéritaires et les
attaques de la Troïka n’est pas finie. Elle repartira sans aucun doute.
Peut-être les travailleurs et les masses devront s’affronter aussi au
gouvernement Syriza-ANEL. La seule façon conséquente de les préparer
efficacement c’est de construire une alternative politique propre,
indépendante de ce gouvernement de conciliation avec la bourgeoisie et
les impérialistes européens.
08/06/2015.
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