Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA
Dans une tribune publiée le 20 janvier dernier dans
le Financial Times, dans la dernière ligne droite des élections
législatives, Tsipras affirmait : « Nous proposons des politiques qui
vont mettre fin à l’austérité (…) Nous devons mettre fin à l’austérité
pour ne pas laisser la peur tuer la démocratie ». Quatre mois plus tard, dans une tribune au Monde cette fois-ci, Tsipras nous dit qu’il n’était pas question « d’en finir avec l’austérité » mais plutôt de « revendiquer un nouvel accord ».
Et en effet, ce qui se négocie actuellement entre la Troïka et le
gouvernement grec ce sont les termes d’un nouvel accord austéritaire.
Même si depuis que Syriza est au pouvoir on peut constater une tendance de plus en plus ouverte à faire des concessions à la Troïka,
la tribune du premier ministre grec, Alexis Tsipras, publiée le 31 mai
dans Le Monde, expose clairement ses reculades face aux exigences des
créanciers.
Ainsi, Tsipras nous apprend que son gouvernement ne s’oppose pas aux privatisations mais plutôt « au
modèle des privatisations prôné par les institutions [nouveau nom pour
désigner la Troïka], parce qu’il n’offre pas de perspectives de
développement et n’opère pas de transfert de ressources en faveur de
l’économie réelle ». Du coup, le problème ce ne sont pas les privatisations en soi mais bien « le modèle » de privatisations prôné par la Troïka.
Mais même sous ces conditions, son gouvernement a « accepté de poursuivre avec quelques petites modifications le programme des privatisations » pour faire preuve de son « intention d’aller vers un rapprochement ».
C’est cela qui pourrait expliquer par exemple la récente privatisation
du port du Pirée. N’oublions pas que la flotte marchande grecque est la
plus importante avec 16,25% du total de la flotte mondiale et 40% de
l’européenne.
On a beaucoup parlé également des fameuses « lignes rouges »
que le gouvernement Syriza-Anel refusait de franchir. Parmi celles-ci
il y avait le refus d’appliquer des attaques supplémentaires contre le
système de retraite. Or, dans sa tribune Tsipras révèle qu’en réalité
son gouvernement s’est « mis d’accord pour mettre en œuvre une grande
réforme du système de sécurité sociale avec l’unification des caisses
d’assurance sociale, la suppression de dispositions autorisant à tort
l’octroi de retraites anticipées, en augmentant de cette façon l’âge
réel de la retraite ».
Une autre « ligne rouge » soi-disant
infranchissable était la réforme du marché du travail. Cependant, tout
en essayant de la présenter comme conforme aux dispositions
d’institutions impérialistes telles que l’OIT (Organisation
Internationale du Travail, agence dépendant de l’ONU) Tsipras reconnait
que « malgré notre engagement de rétablir immédiatement les normes
européennes en matière de droit du travail (…) nous avons accepté de
mettre en œuvre une réforme du marché du travail après consultation du
Bureau international du travail, et validée par lui ».
Ces mesures que le gouvernement grec est prêt à
prendre sont hautement significatives : elles sont parmi les deux points
majeurs sur lesquels les négociations avec la Troïka bloquaient… et qui
bloqueraient encore. En effet, le FMI semble être le « partenaire » le plus dur sur ces questions actuellement et exigerait des réformes encore plus drastiques pour arriver à un accord.
Et ces pressions des créanciers ont lieu alors que le
gouvernement Syriza-Anel a déjà fait toute une série de
concessions/reculades. C’est le cas notamment de la question des
excédents qui, même en n’étant pas à la hauteur de ceux exigés par la
Troïka, impliquent des « économies ». Et bien que déjà évoqué
dans de précédents articles, rappelons que le gouvernement Tsipras a
également reculé sur l’augmentation du SMIC et de la réintroduction du
13e mois.
Un autre élément important, pour comprendre
l’importance de ces renoncements de Syriza par rapport à son propre
programme électoral, c’est le fait que ces négociations avec la Troïka
se mènent dans un cadre de chantage à l’asphyxie de liquidités de la
part des créanciers. Cette question est complètement absente du texte de
Tsipras, comme s’il s’agissait d’une donnée totalement « normalisée »,
alors qu’elle est le résultat de sa logique de négociation avec la
Troïka.
En ce sens, la tribune de Tsipras cherchait à « rétablir la vérité » sur les accusations d’une supposée « intransigeance » de son gouvernement vis-à-vis des créanciers. Elle vise à « démontrer » la bonne volonté d’Athènes et à défendre sa stratégie « [d]’approfondissement de l’intégration européenne dans un contexte d’égalité et de solidarité entre ses peuples et ses citoyens » face aux ruptures et divisions que suscitent les « doctrines du néolibéralisme extrême ».
Des négociations en cours
C’est
dans ce contexte que cette semaine les négociations en vue de la
conclusion d’un accord entre la Grèce et ses créanciers se sont
accélérées et que l’affaire a pris un tournant plus politique. En effet,
lundi dernier Angela Merkel a organisé un mini-sommet avec François
Hollande, Mario Draghi, Christine Lagarde et Jean-Claude Juncker pour
arriver à une position commune des créanciers. Après plusieurs heures de
discussions, ce mercredi 3 juin ils ont proposé un protocole d’accord à
Athènes.
De son côté, Tsipras avait proposé quelques heures
avant l’envoi du document de la Troïka une proposition pour un accord
avec les créanciers. C’est en vue de discuter la possible conclusion de
cet accord qu’il a pris l’avion avec son équipe en direction de
Bruxelles ce mercredi. Cependant, les négociations ont encore échoué
sans que cela ne signifie qu’il y ait une rupture. Au contraire, tout le
monde semble attendre la réunion du G7 qui aura lieu du 7 au 9 juin en
Allemagne pour reprendre des négociations.
Preuve de cette confiance, à la sortie de la réunion
Tsipras annonçait que son gouvernement paierait ce vendredi les 300
millions d’euros au FMI : « Ne vous inquiétez pas, nous avons déjà payé 7,5 milliards d’euros donc nous continuerons », a-t-il lancé.
A nouveau sur la question d’un possible « Grexit »
Le
montant des remboursements de la Grèce d’ici la fin de l’été font
craindre un défaut de paiement de la dette d’Athènes et une possible
sortie du pays de la zone euro, voire de l’UE, le fameux « Grexit ».
Ce scénario provoque une grande inquiétude dans les marchés et les
capitales des puissances centrales de l’UE. Cela non tant par rapport
aux effets immédiats sur l’économie, même si des risques ne peuvent être
exclus, mais surtout par rapport aux inconnues pour le sort de l’unité
du marché commun qu’une telle situation ouvrirait. C’est en ce sens
qu’aussi bien A. Merkel que les différents dirigeants des institutions
européennes ont multiplié les déclarations sur la nécessité de garder la
Grèce au sein de la zone euro.
Mais d’autres essayent de penser à des configurations
différentes face à un possible Grexit. Ainsi, le prix Nobel d’économie
Paul Krugman nous invite à imaginer une sortie de la Grèce de la zone
euro dans les termes suivants : « que se passera-t-il un an ou deux
après la sortie de la Grèce de l’euro, quand le véritable danger pour
l’euro ne sera plus une faillite de la Grèce, mais au contraire qu’elle
s’en sorte. ‘‘Imaginez qu’une nouvelle drachme fortement dévaluée amène
soudain de nouvelles hordes de touristes britanniques, grands buveurs de
bière, sur les côtes Ioniennes, et que la Grèce commence à redresser la
barre. Cela constituerait un encouragement significatif pour tous ceux,
quel que soit le pays, qui s’opposent à l’austérité et à la dévaluation
interne’’ ».
Cependant, cette vision est trop « simpliste »,
comme l’auteur lui-même le reconnait. D’une part, elle ne résout rien
pour les travailleurs et les masses, car une dévaluation de la monnaie
nationale implique une perte réelle du pouvoir d’achat pour eux et
n’implique aucunement la fin des politiques d’austérité. Et d’autre
part, il est inenvisageable que l’Allemagne et les puissances
impérialistes centrales laissent la Grèce agir tranquillement en dehors
de la zone euro. Au contraire, elles feront tout pour empêcher que la
Grèce puisse « s’en sortir », pour détruire son économie et en faire un exemple pour les autres pays qui seraient tentés de suivre ses pas.
A moins d’être expulsée de la zone euro, un « Grexit unilatéral » de la part du gouvernement grec serait l’équivalent à une « déclaration de guerre économique »
à l’Allemagne et aux autres puissances impérialistes de l’UE. En effet,
cela comporte beaucoup de dangers pour les capitalistes européens
concernant le futur de la zone euro et du marché commun.
Quoi qu’il en soit et malgré la pression de gouvernements qui craignent qu’un « succès » de Syriza renforce des partis « anti-austérité » dans leurs propres pays, comme c’est le cas de Podemos dans l’Etat Espagnol, l’Allemagne semble actuellement obligée de « faire avec »
Syriza et d’essayer de trouver une solution avec Tsipras et son équipe.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas une forte volonté d’humilier
Tsipras et son gouvernement et lui faire accepter des mesures qui
n’étaient même pas exigées aux gouvernements ND-PASOK.
Cependant, tout le monde sait qu’il n’y a pas (pour
le moment) de substitut en vue : tous les sondages indiquent que dans le
cas d’élections anticipées Syriza l’emporterait à nouveau et peut-être
avec un avantage plus important encore sur une ND en pleine crise. Les
prochains jours définiront sans aucun doute beaucoup de choses.
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