7.6.15

De l’anti-austérité à « l’austérité souple » : Tsipras cherche un compromis avec la Troïka



Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA
 
Dans une tribune publiée le 20 janvier dernier dans le Financial Times, dans la dernière ligne droite des élections législatives, Tsipras affirmait : « Nous proposons des politiques qui vont mettre fin à l’austérité (…) Nous devons mettre fin à l’austérité pour ne pas laisser la peur tuer la démocratie ». Quatre mois plus tard, dans une tribune au Monde cette fois-ci, Tsipras nous dit qu’il n’était pas question « d’en finir avec l’austérité » mais plutôt de « revendiquer un nouvel accord ». Et en effet, ce qui se négocie actuellement entre la Troïka et le gouvernement grec ce sont les termes d’un nouvel accord austéritaire.


Même si depuis que Syriza est au pouvoir on peut constater une tendance de plus en plus ouverte à faire des concessions à la Troïka, la tribune du premier ministre grec, Alexis Tsipras, publiée le 31 mai dans Le Monde, expose clairement ses reculades face aux exigences des créanciers.

Ainsi, Tsipras nous apprend que son gouvernement ne s’oppose pas aux privatisations mais plutôt « au modèle des privatisations prôné par les institutions [nouveau nom pour désigner la Troïka], parce qu’il n’offre pas de perspectives de développement et n’opère pas de transfert de ressources en faveur de l’économie réelle ». Du coup, le problème ce ne sont pas les privatisations en soi mais bien « le modèle » de privatisations prôné par la Troïka.

Mais même sous ces conditions, son gouvernement a « accepté de poursuivre avec quelques petites modifications le programme des privatisations » pour faire preuve de son « intention d’aller vers un rapprochement ». C’est cela qui pourrait expliquer par exemple la récente privatisation du port du Pirée. N’oublions pas que la flotte marchande grecque est la plus importante avec 16,25% du total de la flotte mondiale et 40% de l’européenne.

On a beaucoup parlé également des fameuses « lignes rouges » que le gouvernement Syriza-Anel refusait de franchir. Parmi celles-ci il y avait le refus d’appliquer des attaques supplémentaires contre le système de retraite. Or, dans sa tribune Tsipras révèle qu’en réalité son gouvernement s’est « mis d’accord pour mettre en œuvre une grande réforme du système de sécurité sociale avec l’unification des caisses d’assurance sociale, la suppression de dispositions autorisant à tort l’octroi de retraites anticipées, en augmentant de cette façon l’âge réel de la retraite ».

Une autre « ligne rouge » soi-disant infranchissable était la réforme du marché du travail. Cependant, tout en essayant de la présenter comme conforme aux dispositions d’institutions impérialistes telles que l’OIT (Organisation Internationale du Travail, agence dépendant de l’ONU) Tsipras reconnait que « malgré notre engagement de rétablir immédiatement les normes européennes en matière de droit du travail (…) nous avons accepté de mettre en œuvre une réforme du marché du travail après consultation du Bureau international du travail, et validée par lui ».

Ces mesures que le gouvernement grec est prêt à prendre sont hautement significatives : elles sont parmi les deux points majeurs sur lesquels les négociations avec la Troïka bloquaient… et qui bloqueraient encore. En effet, le FMI semble être le « partenaire » le plus dur sur ces questions actuellement et exigerait des réformes encore plus drastiques pour arriver à un accord.

Et ces pressions des créanciers ont lieu alors que le gouvernement Syriza-Anel a déjà fait toute une série de concessions/reculades. C’est le cas notamment de la question des excédents qui, même en n’étant pas à la hauteur de ceux exigés par la Troïka, impliquent des « économies ». Et bien que déjà évoqué dans de précédents articles, rappelons que le gouvernement Tsipras a également reculé sur l’augmentation du SMIC et de la réintroduction du 13e mois.

Un autre élément important, pour comprendre l’importance de ces renoncements de Syriza par rapport à son propre programme électoral, c’est le fait que ces négociations avec la Troïka se mènent dans un cadre de chantage à l’asphyxie de liquidités de la part des créanciers. Cette question est complètement absente du texte de Tsipras, comme s’il s’agissait d’une donnée totalement « normalisée », alors qu’elle est le résultat de sa logique de négociation avec la Troïka.

En ce sens, la tribune de Tsipras cherchait à « rétablir la vérité » sur les accusations d’une supposée « intransigeance » de son gouvernement vis-à-vis des créanciers. Elle vise à « démontrer » la bonne volonté d’Athènes et à défendre sa stratégie « [d]’approfondissement de l’intégration européenne dans un contexte d’égalité et de solidarité entre ses peuples et ses citoyens » face aux ruptures et divisions que suscitent les « doctrines du néolibéralisme extrême ».

Des négociations en cours

 

C’est dans ce contexte que cette semaine les négociations en vue de la conclusion d’un accord entre la Grèce et ses créanciers se sont accélérées et que l’affaire a pris un tournant plus politique. En effet, lundi dernier Angela Merkel a organisé un mini-sommet avec François Hollande, Mario Draghi, Christine Lagarde et Jean-Claude Juncker pour arriver à une position commune des créanciers. Après plusieurs heures de discussions, ce mercredi 3 juin ils ont proposé un protocole d’accord à Athènes.

De son côté, Tsipras avait proposé quelques heures avant l’envoi du document de la Troïka une proposition pour un accord avec les créanciers. C’est en vue de discuter la possible conclusion de cet accord qu’il a pris l’avion avec son équipe en direction de Bruxelles ce mercredi. Cependant, les négociations ont encore échoué sans que cela ne signifie qu’il y ait une rupture. Au contraire, tout le monde semble attendre la réunion du G7 qui aura lieu du 7 au 9 juin en Allemagne pour reprendre des négociations.

Preuve de cette confiance, à la sortie de la réunion Tsipras annonçait que son gouvernement paierait ce vendredi les 300 millions d’euros au FMI : « Ne vous inquiétez pas, nous avons déjà payé 7,5 milliards d’euros donc nous continuerons », a-t-il lancé.

A nouveau sur la question d’un possible « Grexit »

 

Le montant des remboursements de la Grèce d’ici la fin de l’été font craindre un défaut de paiement de la dette d’Athènes et une possible sortie du pays de la zone euro, voire de l’UE, le fameux « Grexit ». Ce scénario provoque une grande inquiétude dans les marchés et les capitales des puissances centrales de l’UE. Cela non tant par rapport aux effets immédiats sur l’économie, même si des risques ne peuvent être exclus, mais surtout par rapport aux inconnues pour le sort de l’unité du marché commun qu’une telle situation ouvrirait. C’est en ce sens qu’aussi bien A. Merkel que les différents dirigeants des institutions européennes ont multiplié les déclarations sur la nécessité de garder la Grèce au sein de la zone euro.

Mais d’autres essayent de penser à des configurations différentes face à un possible Grexit. Ainsi, le prix Nobel d’économie Paul Krugman nous invite à imaginer une sortie de la Grèce de la zone euro dans les termes suivants : « que se passera-t-il un an ou deux après la sortie de la Grèce de l’euro, quand le véritable danger pour l’euro ne sera plus une faillite de la Grèce, mais au contraire qu’elle s’en sorte. ‘‘Imaginez qu’une nouvelle drachme fortement dévaluée amène soudain de nouvelles hordes de touristes britanniques, grands buveurs de bière, sur les côtes Ioniennes, et que la Grèce commence à redresser la barre. Cela constituerait un encouragement significatif pour tous ceux, quel que soit le pays, qui s’opposent à l’austérité et à la dévaluation interne’’  ».

Cependant, cette vision est trop « simpliste », comme l’auteur lui-même le reconnait. D’une part, elle ne résout rien pour les travailleurs et les masses, car une dévaluation de la monnaie nationale implique une perte réelle du pouvoir d’achat pour eux et n’implique aucunement la fin des politiques d’austérité. Et d’autre part, il est inenvisageable que l’Allemagne et les puissances impérialistes centrales laissent la Grèce agir tranquillement en dehors de la zone euro. Au contraire, elles feront tout pour empêcher que la Grèce puisse « s’en sortir », pour détruire son économie et en faire un exemple pour les autres pays qui seraient tentés de suivre ses pas.

A moins d’être expulsée de la zone euro, un « Grexit unilatéral » de la part du gouvernement grec serait l’équivalent à une « déclaration de guerre économique » à l’Allemagne et aux autres puissances impérialistes de l’UE. En effet, cela comporte beaucoup de dangers pour les capitalistes européens concernant le futur de la zone euro et du marché commun.

Quoi qu’il en soit et malgré la pression de gouvernements qui craignent qu’un « succès » de Syriza renforce des partis « anti-austérité » dans leurs propres pays, comme c’est le cas de Podemos dans l’Etat Espagnol, l’Allemagne semble actuellement obligée de « faire avec » Syriza et d’essayer de trouver une solution avec Tsipras et son équipe. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas une forte volonté d’humilier Tsipras et son gouvernement et lui faire accepter des mesures qui n’étaient même pas exigées aux gouvernements ND-PASOK.

Cependant, tout le monde sait qu’il n’y a pas (pour le moment) de substitut en vue : tous les sondages indiquent que dans le cas d’élections anticipées Syriza l’emporterait à nouveau et peut-être avec un avantage plus important encore sur une ND en pleine crise. Les prochains jours définiront sans aucun doute beaucoup de choses.

4/6/2015.

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