26.5.15

Plus de cinquante mille personnes descendent dans les rues de Skopje


Philippe Alcoy

Plus de 50 000 personnes ont rempli les rues de la capitale macédonienne, Skopje, ce dimanche pour exiger la démission du gouvernement de Nikola Gruevski embourbé dans un scandale d’écoutes téléphoniques illégales. Mais ces dernières révélations ne sont que la goute qui a fait déborder le vase du mécontentement populaire contre un gouvernement corrompu et autoritaire.


En effet, depuis le 5 mai des mobilisations quotidiennes ont lieu en Macédoine contre le gouvernement. Les premières manifestations ont été marquées par la répression policière. Plusieurs personnes ont été interpellées pour avoir manifesté. Aussi, le weekend du 9 et 10 mai un fort affrontement armé entre la police macédonienne et un soi-disant groupe armé d’albanais a eu lieu à Kumanovo, dans le nord du pays. Cependant, chaque jour qui passe jette un peu plus de doutes sur une probable manipulation du gouvernement.

La manifestation de dimanche était convoquée par l’Alliance Social-démocrate de Zoran Zaev, le principal parti d’opposition. Son objectif est clair : obtenir la démission du premier ministre Gruevski, la mise en place d’un gouvernement de transition et l’appel à des élections anticipées.

La manifestation a été un clair succès pour les sociaux-démocrates. C’est en effet ce parti qui est à l’origine des révélations des écoutes téléphoniques illégales. Cependant, même si depuis le début il essaye de contrôler le mouvement et le dévier vers ses propres objectifs, ce n’est pas ce parti qui a convoqué les premières manifestations. Celles-ci ont été plutôt une réaction spontanée de la population face à l’indignation pour la dissimulation par le gouvernement de l’assassinat du jeune Martin Neškoski.

On ne peut pas dire non plus que les masses fassent confiance à Zaev : avant Gruevski ce sont les sociaux-démocrates qui étaient au pouvoir et qui ont construit un système de clientélisme et de corruption en Macédoine.

Jusqu’à présent le seul élément qui leur donne une relative « légitimité » c’est le fait qu’ils font partie de ce très large et hétérogène front antigouvernemental.

Après la manifestation dimanche, plus d’une centaine de tentes ont été installées en face du siège du gouvernement. Les manifestants déclarent qu’ils y resteront jusqu’à ce que le gouvernement parte.

Unité contre Gruevski et son gouvernement     

La semaine dernière, face aux faits à Kumanovo, la presse internationale a commencé à parler superficiellement d’une possibilité de « conflit interethnique » en Macédoine. Cependant, aujourd’hui les rumeurs sur une possible manipulation du gouvernement deviennent de plus en plus fortes, sans que rien ne puisse être prouvé pour le moment.

« L’opération antiterroriste » du gouvernement a en effet été un désastre. 22 personnes y ont perdu la vie et les dommages matériels ont été immenses. Ainsi, la semaine dernière trois figures du cercle restreint du premier ministre ont dû démissionner : sa ministre de l’intérieur Gordana Jankuloska, le ministre des transports Mile Janakieski, et le chef des services secrets Saso Mijalkov, cousin de Gruevski. Ces démissions cherchaient très clairement à faire gagner du temps au gouvernement et limiter la mobilisation de dimanche. Ce qui n’a pas marché non plus.

D’autre part, si un autre objectif était de rélégitimer les forces répressives de l’Etat et affaiblir la contestation contre le gouvernement en divisant la population macédonienne et albanaise, on peut dire que cela a aussi été un échec.

En effet, l’une des images les plus marquantes de la manifestation massive de dimanche a été les centaines de drapeaux macédoniens, albanais, serbes, turques et du peuple rrom portés par les manifestants qui exigeaient tous ensemble le départ du gouvernement.

Et cela n’est pas un détail dans un pays comme la Macédoine, un pays multinational, dont un quart de la population est albanophone, enclavé dans une région qui a connu tout au long de l’histoire de grands conflits entre ses différents peuples.

L’impérialisme essaye d’être un intermédiaire entre le gouvernement et l’opposition

Au milieu de cette situation agitée l’UE et les Etats-Unis essayent de calmer la crise et de trouver une sorte de compromis et une éventuelle « transition négociée » vers des élections anticipées.

Même si l’opposition social-démocrate dans ses discours se donne une apparence « intransigeante », elle essaye aussi d’éviter que le mouvement lui échappe complètement du contrôle et de trouver rapidement une issue institutionnelle à la crise. Ainsi, ce mardi elle se réunira à Strasbourg avec des membres du parti de Gruevski mais aussi avec les représentants des principaux partis albanais, dont l’un fait partie de la coalition au pouvoir.

De cette façon l’impérialisme essaye d’une part de canaliser la haine populaire contre le gouvernement vers le soutien à une alternative bourgeoise et d’autre part de garantir l’impunité pour les dirigeants actuellement au pouvoir.

Regrettablement, face à l’absence d’alternatives une partie des manifestants sont en train d’adopter de plus en plus l’agenda des sociaux-démocrates. Cependant, la situation reste ouverte. Le gouvernement a même organisé une contre-manifestation ce lundi à laquelle  quelques milliers de personnes ont pris part. Les discours du premier ministre ont été très violents et défiants à l’égard de l’opposition et des manifestants. Aussi, rien ne peut assurer que lors des discussions à Strasbourg on arrive à un accord.

Un programme pour défendre les intérêts de classes populaires     

Pour que les classes populaires de Macédoine ne se trouvent pas prises au piège de devoir s’aligner derrière une ou autre option bourgeoisie, il est nécessaire mettre en avant des revendications qui répondent à leurs intérêts de classe.

Ainsi, face à un régime politique profondément corrompu et antidémocratique il faudrait défendre la nécessité d’une Assemblée Constituante Révolutionnaire basée sur des organes d’auto-organisation dans les lieux de travail et d’étude. Cela diffèrerait complètement des méthodes frauduleuses d’une démocratie bourgeoise décadente.

C’est seulement à travers une telle assemblée que les travailleurs, la jeunesse et l’ensemble des opprimés et exploités de la société pourraient imposer des mesures comme l’élection d’élus révocables ; l’élection et la révocabilité des juges et la présence obligatoire de jurys populaires lors des procès ; que les députés, membres du gouvernement et hauts fonctionnaires gagnent le même salaire qu’un ouvrier qualifié, afin que la politique ne devienne pas un moyen pour s’enrichir.

Dans un pays multinational comme la Macédoine il est fondamental que le régime politique garantisse le droit à l’autodétermination des minorités nationales, la seule façon de poser les bases d’une réelle fraternité entre les différentes composantes nationales du pays.

Ces mesures sur le régime politiques devraient être accompagnées de mesures économiques pour répondre aux nécessités profondes des classes populaires comme l’interdiction des licenciements, la nationalisation sans rachat et sous contrôle ouvrier des entreprises qui ferment ou licencient ; révision de l’ensemble des privatisations et nationalisation immédiate sans rachat sous contrôle des salariés et des usagers des services publics privatisés essentiels à la population ; augmentation des salaires pour permettre aux familles ouvrières et populaires de vivre dignement ; indexation automatique des salaires à l’inflation.

Un tel programme pourrait permettre aux travailleurs et aux opprimés de défendre une politique indépendante des classes dominantes locales et de l’impérialisme, la seule façon de ne pas tomber à nouveau dans les mains des politiciens bourgeois qui ne cherchent qu’à s’enrichir et servir les intérêts des privilégiés.  

18/5/2015.

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