16.2.15

Des cicatrices et des braises aussi…



Sarajevo, un an après l’explosion sociale


Philippe Alcoy

Les conducteurs de taxi parlent. Ou peut-être certains seulement. En tout cas, celui-ci parle. De l’aéroport au centre-ville en seulement quelques minutes, surement j’ai payé plus que cela ne coûte. A 22h passées je suis le dernier client d’une journée commencée à 8h. « Comment ça va la Bosnie ? », je lui demande au milieu de notre conversation. Avec un sourire il me répond : « Pafait, comme on dit ici, ‘pas d’argent, pas de problèmes’ ». « Qu’est-ce qui s’est passé avec les manifestations de l’année dernière ? », j’insiste en faisant référence à l’explosion sociale qui a secoué le pays en février 2014. « A quoi bon manifester si après les gens votent pour les mêmes ? », me dit-il. Une vision sceptique partagée par beaucoup ici mais peu convaincante au milieu d’une situation qui a peu changé et qui continue d’alimenter les explosions sociales futures.

« Plus de 40% », c’est le taux de chômage qui est dans la bouche de tout le monde. C’est pire parmi les jeunes, ayant fait des études ou non. Ceux qui restent ne pensent qu’à partir ou partent. Je ne suis pas sûr de comment traduire « précarité » en anglais. Une amie me dit qu’elle donne trois heures hebdomadaires de cours d’italien pour un peu moins de cent euros par mois. Elle aimerait partir un temps à l’étranger. Mais elle craint devoir rentrer et se trouver sans ses trois heures hebdomadaires de cours d’italien et les un peu moins de cent euros par mois. Il n’était plus nécessaire de trouver la traduction exacte de « précarité »…

Beaucoup de pétrodollars deviennent un peu plus de marks convertibles. J’ai déjà été dans cette ville il y a quelques années et l’une des choses qui m’avait surpris était la quantité de centres commerciaux au milieu de tant de pauvreté. Ce qu’hier était un nouveau grand centre commercial en construction est aujourd’hui un grand centre commercial, imposant et arrogant, finit. Ou presque. En tout cas, on peut déjà y faire des courses. Par ailleurs, ce qu’hier était un musée, aujourd’hui est un musée fermé par manque de financement. Et ainsi va la vie… et la mort. Il y a quelques jours ce sont deux vies ouvrières perdues dans ces grandes constructions à cause de la négligence du patronat.




J’ai déjà été dans cette ville il y a quelques années et une autre des choses qui m’avaient marquées étaient les marques de la guerre de 1992-1995 encore présentes sur beaucoup d’immeubles et maisons sous la forme d’impacts de balles. Comme des cicatrices dans un corps ayant subi un grand accident. Des cicatrices ou des blessures ouvertes ? En tout cas, c’est le prix que la Bosnie a dû payer à la « fin de l’histoire ». Non. En réalité il y avait plus. Car pour toute une « multitude » la « fin de l’histoire » rimait avec « la fin (forcée) du travail ». Chômage de masse. Une multitude au chômage dans le monde décadent du 1% gagnant.   



Mais aujourd’hui d’autres marques s’additionnent à celles d’hier. Ces nouvelles marques ne se trouvent pas dans n’importe quel bâtiment. C’est ainsi que l’on peut voir l’immeuble qui accueille le gouvernement du canton de Sarajevo avec encore les marques de la haine populaire d’il y a presque un an jour par jour. Des murs marqués par le feu. Des inscriptions. Des cicatrices ou des blessures encore ouvertes? En tout cas, les résultats des élections en octobre dernier ne doivent tromper personne. Rien n’a changé dans la situation de misère des travailleurs et les classes populaires en Bosnie. Rien ne garantit qu’il n’y ait pas de nouvelles explosions sociales. Pour certains ce n’est qu’une question de temps. Un dicton populaire dans des terres hispanophones affirme que « là où il y a eu du feu, il y reste des cendres ».









16/2/2015.

1 commentaire:

  1. Merci pour l article, Je me permets quelques commentaires , les cicatrices de LA guerre de 1992 sont conservees comme des stigmates, les centres commerciaux et les immeubles d affaires de l'ex sniper avenue montrent ce que les capitaux saoudiens, etatsuniens et indonesiens ont pu offrir comme reve au peuple et comme realite aux nouveaux bosniens roulant en 4x4 flambant neuf. C'est le prix de l'allegeance.

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