Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA
Dimanche 25 mai dernier a eu lieu une triple élection
en Grèce (européennes, municipales et régionales). Celles-ci
impliquaient des enjeux politiques importants concernant notamment le
futur du gouvernement Nouvelle Démocratie-PASOK. Avec près de 27% des
voix, Syriza arrive en tête pour la première fois dans une élection
nationale et gagne clairement les européennes (ND ne recueille que 23%
des voix) [1].
Cependant, cette victoire fêtée et mise en avant par plusieurs courants
politiques, y compris d’extrême-gauche, au niveau international doit
être relativisée. En effet, bien que la formation dirigée par Alexis
Tsipras réussi à gagner la région d’Attique, la plus peuplée du pays,
les partis de la coalition au pouvoir gagnent 9 des 13 régions
grecques [2].
Sur le plan des municipalités, Syriza a été incapable de gagner au
moins une des grandes villes du pays (Athènes et Thessalonique étant
acquises par des candidats dits « indépendants » mais soutenus par le
gouvernement).
Le gouvernement survit malgré la défaite
Tsipras et la direction de Syriza avaient fait de
cette triple échéance électorale un véritable référendum pour le
gouvernement : si la victoire de Syriza sur les partis de la coalition
était assez importante ils s’arrogeraient le droit d’exiger des
élections anticipées et prétendre arriver à diriger le pays. Mais rien
de cela n’a eu lieu. En effet, sans vouloir minimiser l’évènement
important que constitue la première victoire de Syriza dans une élection
nationale et le fait que pour la première fois dans l’histoire la
région de l’Attique sera dirigée par un parti de gauche, les résultats
électoraux n’ont pas été à la hauteur des ambitions de cette formation.
C’est pour cela que le journal conservateur Kathimerini affirme que « si
Syriza avait réussi à gagner la plus grande région du pays et sa
capitale [Athènes], cela aurait eu un plus grand impact. Maintenant,
sans augmenter son pourcentage de voix au niveau national, Syriza ne
peut pas exiger que le résultat bouleverse l’ordre politique » [3].
Ainsi, le gouvernement limite la casse. La défaite a
été moins importante que prévu. Certes, il a dû procéder à un
remaniement ministériel, mais l’essentiel est qu’il a survécu. Les
résultats révèlent une « stabilisation » (certes très précaire) d’une
base électorale du gouvernement qui désire en quelque sorte la fin des
« bouleversements » politiques, économiques et sociaux. Ce sentiment est
alimenté par la propagande gouvernementale qui, en mettant en avant
quelques chiffres macroéconomiques relativement positifs, essaye de
démontrer que la Grèce se trouve « sur le bon chemin ». Evidemment, ces
discours sont en complète contradiction avec la réalité des classes
populaires. En effet, 35% de la population ne peut pas subvenir à ses
besoins et le taux de chômage officiel est de près de 27% (57% parmi les
jeunes) et les perspectives ne semblent pas aller dans le sens d’une
diminution de celui-ci.
Quoi qu’il en soit, les marchés ont très bien su interpréter les résultats électoraux par rapport à leurs intérêts. Ainsi, « les
résultats semblent avoir donné aux marchés un sentiment de stabilité
politique (…) Cela parce que Syriza a été incapable de capitaliser le
mécontentement populaire et n’a pas progressé dans le pourcentage de
voix depuis les élections de 2012 » [4].
Tsipras l’ami des patrons ?
« Il y a deux conditions pour attirer les
investisseurs : qu’ils se sentent en sécurité à propos de la zone euro
et des perspectives de l’économie grecque et qu’ils voient de sérieux
investissements publics ». Cette phrase n’a été prononcée par aucun
ministre du gouvernement grec mais par Alexis Tsipras lui-même. En
effet, dans les jours qui ont suivi les élections Tsipras a multiplié
les déclarations à caractère « amical » à l’égard du patronat, prenant
la pose d’un « homme d’Etat », d’un « possible et crédible » premier
ministre œuvrant « pour le bien de la nation toute entière ».
Il est loin le Tsipras qui faisait semblant d’être
« radical » sur la forme, tout en restant très modéré sur le fond. On
avait noté depuis longtemps un virage progressif à droite, un recentrage
du discours et même du programme déjà très réformiste et timoré de
Syriza. En effet, cette stratégie de « radicalité verbale » a marché un
moment « mais pour que Tsipras et Syriza puissent aller plus
loin, il est en train de se positionner comme étant plus ouvert au monde
des affaires et à travailler avec les investisseurs et l’industrie pour
retrouver la croissance qu’il croit fondamentale pour la récupération
du pays et pour prendre la place du premier ministre Antonis Samaras (…)
lors des prochaines élections. (…) Le nouveau Tsipras parle maintenant
d’attirer des capitaux pour relancer l’économie, en s’engageant à
maintenir un régime fiscal stable pour les entreprises et en proposant
de coopérer avec les partis de la gauche traditionnelle européenne » [5]. Ni plus ni moins.
Cette attitude s’inscrit tout droit dans la stratégie
politique défendue par cette formation depuis le début : l’adaptation
toujours plus grande au cadre légal bourgeois, y compris dans les
moments où le régime se trouve le plus remis en question. Aujourd’hui la
direction de Syriza veut mener cette logique jusqu’au bout et dévoile
ouvertement son projet de conciliation de classes. Elle essaye de
prendre la pose de « parti responsable » capable de gouverner. Or, dans
l’état actuel des choses Syriza serait incapable de gouverner vraiment
tout seul, il lui faut des alliés. Et d’après les déclarations de ses
représentants on voit que c’est du côté du « centre politique » que l’on
cherche ces dits « alliés ».
Pour un parti résolument du côté du prolétariat et des masses opprimées et pour la révolution !
On ne cesse de le répéter : la Grèce est un
laboratoire politique, économique et social en temps de crise. Et cela
non seulement pour la bourgeoisie. Les exploités et opprimés de toute
l’Europe doivent tirer des leçons de la situation grecque. Il y en a
encore pour nous berser des douces illusions sur l’importance de
soutenir Syriza pour développer les luttes, y compris au sein de
l’extrême-gauche. Or, depuis l’explosion du phénomène électoral Syriza,
c’est tout le contraire que l’on a vu : Tsipras et sa formation ne sont
nullement un instrument des luttes. Bien au contraire, Syriza est en
train de dégénérer en « parti gestionnaire » à une vitesse vertigineuse.
Mais le problème pour les masses de Grèce c’est
qu’après des mois de résistance héroïque aux attaques des gouvernements
locaux et de la Troïka, le niveau de lutte se trouve actuellement très
en-deçà de ce qu’exige la situation. Les bureaucraties syndicales avec
leur stratégie d’usure en sont sans doute les principales responsables.
Mais les directions des partis et regroupements réformistes ont aussi
leur part de responsabilité. Les uns en divisant le mouvement ouvrier
dans un délire autoproclamatoire, comme c’est le cas du KKE ; les autres
en semant des illusions sur la possibilité de pouvoir renverser la
situation désastreuse des masses en restant dans le cadre de la
démocratie bourgeoise, ses lois, etc. C’est le cas notamment de Syriza
qui aujourd’hui flirte avec le patronat grec et les dirigeants
impérialistes – ce qui est la meilleure façon de préparer le terrain
pour la progression des courants néofascistes comme Aube Dorée lequel se
pose en « victime du régime » et seul parti véritablement en mesure de
le contester.
Pour résoudre ce dilemme dans lequel se trouvent les
masses il faut que les travailleurs se dotent d’un parti qui soit
résolument du côté des exploités, luttant pour l’indépendance de classe,
contre le capitalisme et offrant la perspective d’une société
débarrassée de l’oppression et de l’exploitation. Une telle société ne
pourrait pas avoir lieu dans le cadre restreint des frontières
nationales. C’est pourquoi ce parti s’inscrirait dans la lutte
révolutionnaire pour la perspective des Etats Unis Socialistes d’Europe.
C’est pour cet objectif stratégique que nous nous battonsaussi !
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NOTES
[1] Pour ce qui est des résultats des autres partis aux européennes : Aube Dorée arrive en troisième avec 9.3%, suivi par le PASOK et ses 8.1%, To Potami (une nouvelle formation centriste) obtient 6.7%, le KKE gagne 6%, les Grecs Indépendants 2.7% et DIMAR (membre de la coalition au pouvoir jusqu’en juillet 2012) un maigre 1.2%.
[2] ND gagne le Nord Egée, la Grèce centrale, l’Epire, la Thessalie, le Sud de l’Égée et la Macédoine orientale et la Thrace. Le Péloponnèse a été remporté par un candidat soutenu par le gouvernement ; le PASOK remporte la Crète et les Grecs Indépendants la Macédoine centrale, la Macédoine occidentale et la Grèce occidentale. Syriza a remporté l’Attique et les Iles Ioniennes.
[3] Ekathimerini, “Has our political system reached rock bottom ?”, 26/5/2014.
[4] To Vima, “How the markets viewed the Sunday election results”, 27/5/2014.
[5] GreekReporter, “Tsipras Positions Himself As Premier Material”, 3/6/2014.
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