18.5.14

Pour empêcher des « nouveaux Odessa », il est urgent que la classe ouvrière intervienne en Ukraine !




Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA 

Vendredi 2 mai l’Ukraine a vécu la journée la plus sanglante et dramatique depuis la chute du président Viktor Ianoukovitch. Les chiffres officiels parlent de 43 morts lors des affrontements entre « pro-russes » et « pro-Kiev » dans la ville portuaire d’Odessa, dans le Sud du pays. Mais d’après plusieurs témoins il pourrait y avoir plus d’une centaine de morts. A la différence de la dure répression qui avait débouché sur le renversement de Ianoukovitch en février dernier, il ne s’agissait pas cette fois-ci de chocs entre les manifestants et les forces de répression mais entre des manifestants entre eux. Ces évènements marquent une dégradation préoccupante de la situation en Ukraine.


En effet, l’évènement le plus tragique et odieux de ce vendredi 2 mai a été commis par des sympathisants du gouvernement central et sans doute des militants d’extrême-droite qui ont incendié la Maison des Syndicats d’Odessa, où s’étaient réfugiés des militants pro-russes. Si les estimations officielles font état de 30 victimes, le chiffre exact reste difficile à évaluer. Des vidéos montrent des scènes d’une grande violence : des personnes sautant des fenêtres pour échapper aux flammes ; tandis que d’autres, qui réussissaient à sortir de l’édifice en feu étaient achevées par les manifestants « pro-Kiev ». D’autres images encore apportent des éléments quant à l’assassinat de personnes à l’intérieur du bâtiment (par strangulation, ou par armes à feu).

Ces faits sont la preuve de la décomposition de la situation dans une Ukraine traversée par une profonde crise politique, sociale et économique. Une situation comportant beaucoup de contradictions et de confusions, y compris chez les militants d’extrême-gauche sur place. Ainsi, « il est sûr que des militants de la gauche radicale, qui participaient à des actions communes il y a un an, ont été tués des deux côtés... Andrej Brajevsky, informaticien de 27 ans et membre de « ?Borotba ? », fait partie des victimes de l’incendie et agressions de la Maison des syndicats. Il était impliqué dans une milice paramilitaire (« ?Odesskaya druzhina ? ») « ?pro-russe ? ». Un autre jeune, militant « ?anti-fasciste ? », a été tué auparavant sur la place Sobornaya dans le centre-ville d’Odessa lors de la manifestation « ?pro-ukrainienne ? » qui a été bloquée par des milices « ?pro-russes ? » armés. Des militants de gauche ont pris les armes et sont devenus de la chair à canon dans une guerre qui n’a rien à voir avec les intérêts des travailleurs » [1].

Il y a beaucoup de spéculations sur les circonstances précises des évènements. Les russes accusent Kiev des incidents tout en s’indignant hypocritement ; Kiev et l’impérialisme essayent de rejeter toute la responsabilité de l’escalade sur le gouvernement de Poutine et les sympathisants « pro-russes », laissant entendre que le massacre d’Odessa serait un « coup monté » par la Russie pour légitimer une intervention militaire en Ukraine. Cependant, les déclarations les plus cyniques et révoltantes sont venues de la part d’Ioulia Timochenko, ex première ministre et candidate aux élections présidentielles du 25 mai soutenue par l’impérialisme. Celle-ci n’a pas seulement justifié ces actes barbares mais est allée jusqu’à féliciter ses auteurs au nom de la défense des « bâtiments publics ».

Pour notre part nous ne pouvons que condamner ce crime sauvage perpétré par des groupes fascisants et des manifestants pro-Kiev contre des opposants au gouvernement central pro-impérialiste. Par là, nous n’entendons évidement exprimer aucun type soutien politique aux forces pro-russes qui en dernière analyse ne font que défendre les intérêts du capitalisme russe. En même temps, comme nous l’avons fait à maintes reprises, nous dénonçons les agissements du gouvernement de Poutine qui a attisé depuis le début les tendances « séparatistes » dans l’Est et le Sud du pays posant les bases du développement d’une situation réactionnaire.

Offensive militaire de Kiev dans l’Est


Cette attaque sauvage se produit au moment même où le gouvernement central, conseillé par la CIA, mène une offensive contre les villes contrôlées par les « pro-russes » dans l’Est du pays. C’est le cas notamment à Slaviansk, bastion de la « révolte séparatiste ». Cette ville se trouve en effet encerclée par l’Armée ukrainienne qui après y avoir été humiliée il y a quelques semaines semble prête à réprimer et à attaquer les « milices » pro-russes, beaucoup plus faiblement armées.

Cependant, cette offensive de l’Armée ukrainienne reste pour le moment limitée du fait des craintes du gouvernement et de l’impérialisme d’un côté et de la Russie de l’autre [2] que le conflit se transforme peu à peu en guerre civile. Ce scénario « à la syrienne », voire « à la yougoslave », pourrait avoir des implications bien plus profondes allant au-delà des frontière ukrainiennes. Ainsi, le ministre des affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, déclarait : « Personne ne devrait se méprendre et croire qu’il n’y a un risque et une menace que pour l’Ukraine. A travers ce conflit, c’est toute l’architecture de la sécurité de l’Europe, mise en place depuis des décennies, qui pourrait être détruite. C’est pourquoi nous devons tout faire pour éviter ce risque et l’entrée dans une nouvelle guerre froide ».

L’économie ukrainienne s’effondre


Alors que la crise politique s’enlise de plus en plus vers un conflit armé, la situation économique ne cesse de se dégrader. La monnaie locale, la hryvna, a perdu 40% de sa valeur depuis le début de la crise en novembre dernier provoquant une envolée des prix des produits importés, de l’essence, des produits de base. L’augmentation du tarif du gaz russe ne fait qu’empirer la situation des couches populaires ; beaucoup d’entreprises ont suspendu leur production obligeant leurs salariés à prendre des congés sans solde « pour sauver leurs emplois ».Si l’économie continue d’affecter les classes populaires il est possible que celles-ci commencent à substituer les revendications « nationalistes » par des revendications sociales, ou encore que se développe une combinaison des deux.

Cette situation est d’autant plus dangereuse qu’elle commence à avoir des conséquences également pour la Russie. En effet, la monnaie russe a perdu 10% de sa valeur depuis le début de l’année et dans un rapport d’avril dernier le FMI estime que la croissance russe pour 2014 sera de 0,2% du PIB alors qu’une estimation antérieure la situait à 1,3%. En même temps, les sanctions imposées par les États-Unis et l’UE seraient en train de faire fuir les investisseurs provoquant une fuite de capitaux. Il est évidement que cela pourrait aussi avoir des conséquences pour les économies de l’UE.

Suivre l’exemple des mineurs de Krasnodon !


Le 22 avril dernier a éclaté une grève des mineurs de cinq mines de l’entreprise Krasnodonugol qui les gère, propriété de l’oligarque Rinat Akhmetov. Selon les grévistes, 80% du personnel adhère à la grève. Ils réclament une augmentation de salaires [3], des améliorations des conditions de travail et l’annulation de l’amputation de 10% de leurs salaires imposée par le gouvernement central pour financer la « reconstruction de Maïdan ». Les jours qui ont suivi entre 2000 et 3000 mineurs ont bloqué les bureaux de l’entreprise.

Cette grève de mineurs pour leurs droits et revendications sociales, même si elle n’a pas de revendications politiques, s’oppose au gouvernement central mais a également pris ses distances vis-à-vis du mouvement « pro-russe ». Elle montre une perspective intéressante pour les couches populaires non seulement de l’Est mais de tout le pays. Elle fait énormément peur aux oligarques locaux et à ses alliés étrangers (que ce soit l’impérialisme ou la Russie) car les mineurs sont le secteur de la classe ouvrière d’Ukraine le plus organisé et qui a su montrer sa capacité de lutte tout au long des années 1990.

Les médias impérialistes se gardent bien d’évoquer cette grève, mais d’après les informations de militants de la gauche radicale locale la grève continue. Le patronat, tout en étant conscient du danger d’une entrée en scène explosive et incontrôlable des mineurs, ne voudrait pas non plus créer un précédent qui inciterait d’autres travailleurs de la région à entrainer dans la lutte ceux de Krasnodon. Faire connaitre cette grève et y apporter notre soutien dans toutes les formes possibles est une tâche fondamentale pour les révolutionnaires internationalistes. Elle pourrait devenir un point d’appui progressiste pour les travailleurs dans un contexte de plus en plus réactionnaire.

Pour empêcher des « nouveaux Odessa », il faut une politique ouvrière indépendante !


Ni la soumission à l’impérialisme à travers les plans d’austérité du FMI, soutenu par les Etats-Unis et l’UE, ni l’intégration à la Fédération de Russie, qui poursuit ses propres intérêts réactionnaires, ne représentent une alternative pour les travailleurs et les masses opprimées d’Ukraine. Les apparences ne doivent pas nous tromper. Dans des villes contrôlées par des forces « pro-russes » comme Donetsk règne une très forte répression politique non seulement contre les « pro-Maïdan » mais surtout contre les travailleurs et les groupes de la gauche radicale.

C’est la politique réactionnaire des deux camps bourgeois qui conduit à des actes barbares comme ceux survenus à Odessa. Si les travailleurs organisés indépendamment n’interviennent pas dans le mouvement avec leurs propres revendications, méthodes et perspectives, il est très probable qu’on connaisse de « nouveaux Odessa », voire pire.

C’est pour cela que la classe travailleuse doit refuser la tentative aussi bien de Poutine que du gouvernement pro-impérialiste de Kiev de la diviser entre Est et Ouest. Les ennemis des travailleurs de l’Est comme de ceux de l’Ouest sont aussi bien les capitalistes russes que l’impérialisme et leurs alliés locaux, les oligarques ukrainiens. Il faut rompre avec la logique réactionnaire qui met des rivalités nationalistes au centre du conflit et faire des intérêts du prolétariat l’axe de la lutte !

Avec ceci nous ne voulons nullement nier les spécificités et les différentes revendications nationales, culturelles et linguistiques qui peuvent exister en Ukraine. Mais le prolétariat ne peut pas laisser que ces questions soient « résolues » par l’impérialisme ou Poutine. Cela n’apporterait que plus de souffrances pour les exploités. Au contraire, nous considérons que seulement un gouvernement des travailleurs et des masses exploitées et opprimées, indépendant des variantes politiques bourgeoises, pourrait offrir une réponse de fond et garantir l’auto-détermination nationale pour les masses dans la perspective d’une Ukraine réellement indépendante et socialiste !

7/5/2014.

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NOTES

[1] Entretien avec Zakhar Popovych, membre de la direction du groupe Opposition de Gauche d’Ukraine parue dans L’Anticapitaliste Hebdo n° 241, (« Ukraine « ?Seule la mobilisation solidaire des travailleurs peut empêcher la guerre ? » », 8/05/2014).
[2] Poutine vient de déclarer qu’il souhaite que les « pro-ruses » reportent leur référendum sur l’indépendance du Donetsk.
[3] Actuellement les mineurs de cette entreprise gagnent entre 260 et 520 dollars par mois. Ils exigent que leurs salaires soient alignés avec le salaire moyen des mineurs de la région, c’est-à-dire 860 dollars.

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