Philippe Alcoy
Source: CCR
Dans le mouvement actuel de contestation en Ukraine,
on peut voir des secteurs des classes populaires descendre dans la rue
pour soutenir des projets politiques bourgeois comme l’intégration de
l’Ukraine au sein de l’UE. Malheureusement ce n’est pas la première fois
que les masses d’Ukraine, par manque d’une alternative politique qui
défende réellement leurs intérêts, soutiennent des projets bourgeois. De
ce point de vue, le cas le plus dramatique est celui des mineurs du
Donbass, région la plus industrialisée du pays, majoritairement
russophone.
Dans cette région,
face à la dégradation de leurs conditions de vie, les mineurs avaient
déclenché des grèves très importantes à la fin des années 1980 contre
« Moscou ». Ils sont par la suite devenus l’un des piliers de la lutte
pour l’indépendance de l’Ukraine, mais aussi de celle pour
l’établissement d’un régime de démocratie bourgeoise et l’ouverture au
marché capitaliste : « le premier et le deuxième congrès du syndicat
des mineurs, tenus à Donetsk en juin et octobre 1990, sont devenus des
événements bien plus politiques que syndicaux. Les résolutions adoptées
accusaient le Parti Communiste et le gouvernement central de bloquer la
transition vers l’économie de marché et la démocratie » [1].
Pour autant, l’espoir porté par les mineurs derrière
ces revendications n’étaient nullement les mêmes que celles des
bureaucrates et de « l’intelligentsia » cherchant à s’enrichir et
devenir la nouvelle classe dominante au niveau national : « les
objectifs des mineurs et des autres groupes d’opposition en Ukraine qui
s’opposaient à l’Etat soviétique et à la ‘bureaucratie de Moscou’
étaient presque identiques. Cependant, cette similarité était basée sur
des croyances différentes. (…) Lors du premier congrès du Rukh
[principal groupe d’opposition bourgeois], la motion proposant de
promouvoir ‘la démocratisation et l’extension de la glasnost’ a été
appuyée par 75% des délégués ; 73% des délégués a défendu ‘le
développement de la langue et de la culture ukrainiennes’, et seulement
46% a donné la priorité à la ‘résolution des problèmes économiques
pressants’. Au contraire de l’intelligentsia, les travailleurs ont
soutenu l’indépendance de l’Ukraine car ils pensaient que cela pourrait
permettre d’améliorer leur situation matérielle » [2].
Au milieu des années 1990, les mineurs du Donbass
constatant les effets désastreux de l’application des réformes
pro-marché, se sont affrontés aux nouvelles autorités ukrainiennes. Mais
malheureusement, une fois encore ils se sont associés à des projets
bourgeois « alternatifs », cette fois-ci celui des nouvelles « élites »
régionales, en soutenant le Parti des Régions du président Ianoukovitch
dans cette partie du pays. L’auteur de l’article cité ci-dessus résume
ainsi en deux phases les luttes des mineurs : « [durant la première
phase] les opportunités politiques créées par l’action commune des
mineurs du Donbass et des intellectuels de Kiev ont été finalement
saisies par l’ancienne nomenklatura et par les nouvelles élites. Pendant
la seconde phase, le soutien apporté antérieurement par
l’intelligentsia nationale avait disparu. Les managers, les groupes
régionaux clientélistes, les élites affairistes et de larges segments de
la population russophone locale sont devenus les nouveaux alliés des
mineurs » [3].
Vers la fin des années 1990, les luttes des mineurs pour l’amélioration
de leurs conditions de vie et de travail avaient nettement diminué et
une certaine démoralisation avait gagné les rangs des travailleurs. Cela
pourrait expliquer, en partie, leur attitude de méfiance, voire de
soutien au gouvernement, face au mouvement de contestation actuel.
Tirer les leçons tragiques de la période stalinienne
ainsi que celles de la restauration capitaliste, est une question de vie
ou de mort pour que le prolétariat d’Ukraine se présente comme une
force indépendante et puisse imprimer un caractère progressiste aux
événements à venir.
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[1] Vlad Mykhnenko, “State, Society and Protest under Post-Communism : Ukrainian Miners and Their Defeat”, avril 2000.
[2] Idem.
[3] Idem.
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