Philippe Alcoy
« Je n’irai pas seule en France, je n’abandonnerai
pas ma famille (…) Je ne suis pas la seule à devoir aller à l’école, il y
a aussi mes frères et mes sœurs ». Voilà comment répondait Leonarda
Dibrani, collégienne Rrom de 15 ans expulsée de la France vers le Kosovo
le 9 octobre dernier, aux déclarations cyniques de François Hollande
lui proposant de rentrer en France pour poursuivre ses études… mais sans
sa famille !
Avec cette
proposition Hollande tranche clairement en faveur de Manuel Valls, la
figure réactionnaire la plus emblématique de son gouvernement. Cela
s’explique par le poids de Valls dans l’opinion publique (notamment des
sympathisants de droite). Il ne faudrait pas oublier que la popularité
de Hollande est historiquement faible pour un président (23%), donc le
maintien de son ministre de l’Intérieur est fondamental. Mais Hollande
prend cette position en essayant de donner quelques gages à l’électorat
de gauche qui sont aussi ridicules que provocateurs. C’est en ce sens
qu’il est critiqué à gauche comme à droite, sans arriver à mettre un
terme à l’affaire.
Hollande rate son « coup » pour calmer la situation
Alors que le gouvernement PS pensait qu’en proposant
le retour de Leonarda toute seule il avait trouvé une « synthèse » entre
« fermeté et humanisme », son coup s’avère complètement raté. En effet,
il ne satisfait personne. Il s’en prend plein la figure aussi bien des
secteurs réactionnaires et xénophobes allant du FN jusqu’aux centristes
de l’UDI de Jean-Louis Borloo, que des partis à sa gauche, y compris
certains de ses adhérents. Cela est d’autant plus grave pour lui que
c’est Hollande lui-même qui a décidé de s’exposer dans cette affaire,
arrivant même à une situation « surréaliste » où, comme affirme un
responsable du PS, « le président de la cinquième puissance du monde est
interpellé depuis Mitrovica par une gamine de 15 ans... » [1]
. En effet, ce sur quoi le gouvernement ne comptait sûrement pas c’est
la détermination de Leonarda elle-même qui, encouragée par les
démonstrations de soutien des lycéens et lycéennes en France, a tenu
tête au président et exigé le rapatriement de toute sa famille.
En même temps, à droite on se bousculait pour lancer
des déclarations réactionnaires contre le retour de Leonarda et de sa
famille. Mais c’est Marine Le Pen, la présidente du FN, qui a exprimé de
la façon la plus directe et conséquente la politique xénophobe et
raciste de l’Etat français. Pour celle-ci Hollande a « appuyé sur le
bouton de l’aspirateur à clandestins » en montrant une image faible de
la figure présidentielle et a exigé de mettre fin à la « scolarisation
obligatoire des enfants clandestins, dont on voit bien que l’on se sert
aujourd’hui pour éviter l’expulsion des parents » ainsi que « la
suppression dans la loi de la possibilité de régulariser un clandestin :
toute personne qui vient ou se maintient d’une manière illégitime sur
le territoire national ne doit même pas pouvoir envisager d’être
régularisée » [2].
La jeunesse dans la rue, Hollande inquiète
Qu’ils soient de droite ou de gauche, tous les
gouvernements craignent que la jeunesse descende dans la rue. Leur peur
est trop grande de voir un mouvement explosif de la jeunesse, très
difficilement contrôlable, qui entraine derrière lui d’autres secteurs
populaires, notamment du mouvement ouvrier. Cela est d’autant plus vrai
aujourd’hui que nous connaissons un gouvernement PS très à droite et que
le mécontentement parmi les masses est très important, même si pour
l’instant les bureaucraties syndicales et les partis réformistes l’ont
empêché de s’exprimer dans les rues. [3]
Le contexte politique, social et économique
international a aussi un poids. On a vu en effet dans différents pays la
jeunesse jouer un rôle central dans les mobilisations contre les
politiques antipopulaires des gouvernements à travers le monde. C’est
évidemment cela que Hollande craint. Les médias contribuent à leur façon
à empêcher cette perspective. Ce n’est pas un hasard si tous essayent
de délégitimer l’action des lycéens en mettant en avant leur soi-disant
volonté de manifester pour « sécher les cours » ou leur supposée
prédisposition à être « manipulés » par des partis d’extrême-gauche.
Pour l’instant, le gouvernement compte sur les
vacances de la Toussaint pour faire baisser le niveau de mobilisation et
que la « bombe » se « désamorce naturellement ». Mais il n’est pas
exclu que le mouvement reprenne à la rentrée, comme certaines tentatives
d’organisation entre des jeunes de différents lycées sembleraient
l’indiquer. Une réunion a en effet rassemblé ce lundi 21 octobre des
élèves de 37 lycées parisiens qui devraient se joindre à la
manifestation étudiante de ce jeudi 24. La FIDL appelle même à une
manifestation lycéenne le 5 novembre.
Suivre l’exemple du mouvement lycéen !
Les expulsions de Leonarda et Khatchik et les
mobilisations qu’elles ont déclenchées ouvrent la crise la plus
importante du gouvernement depuis son élection, plus importante encore
que Florange ou l’affaire Cahuzac, puisqu’elle touche au cœur du
gouvernement. Celle-ci, en plus de toucher à l’autorité de la figure
présidentielle, provoque des frictions de plus en plus fortes entre
Ayrault et Valls. En même temps, l’affaire Leonarda a créé une forte
contradiction entre le gouvernement et le PS, son secrétaire général
Harlem Désir, un personnage généralement suiviste, se prononçant même
pour le retour de Leonarda avec ses frères et sa mère.
Quelques jours ont suffit pour qu’un mouvement
explosif de la jeunesse porte un coup à un gouvernement très
impopulaire, forçant le président lui-même à s’exposer. Regrettablement,
ni l’adoption de l’ANI, ni celle de la réforme des retraites n’ont
frappé le PS de cette façon. Les directions syndicales, qui démobilisent
consciemment et tentent de démoraliser les travailleurs, en portent la
lourde responsabilité.
Les difficultés de Hollande à trouver une
« synthèse » dans cette affaire, montrent que sa méthode du
« consensus » et de la « concertation avec les partenaires sociaux », si
efficace pour maintenir la « paix sociale » jusqu’à présent, commence à
rencontrer des limites. Les premiers signes d’exaspération de la part
d’un électorat traditionnellement de gauche tel que les étudiants, tout
comme la situation d’indignation que traverse la Bretagne (où Hollande
avait fait un bon score -56%- lors des présidentielles), dans le cadre
d’un plan social chez PSA et d’une crise de la filière agroalimentaire,
ouvrent des brèches pour le développement d’un grand mouvement de masses
contre la politique antipopulaire et réactionnaire du gouvernement.
S’il est vrai qu’il existe un secteur de la population en France, plus
visible actuellement, chauvin et xénophobe penchant pour le FN, auquel
l’UMP et le PS s’adaptent de plus en plus, il est vrai aussi qu’il
existe un autre secteur ouvrier et populaire qui n’a pas dit son dernier
mot !
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[1] Le Monde, « Affaire Leonarda : face à l’incendie politique, Hollande a tenté l’issue de secours », 21/10/2013.
[2] Le Monde, « Hollande a mis en marche "l’aspirateur à clandestins", selon Marine Le Pen », 21/10/2013.
[3] Voir : Guillaume Loic « Assez de conciliation avec ce gouvernement anti-ouvrier et anti-populaire ! »
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