4.10.13

« Aujourd’hui on va travailler avec beaucoup de fierté. Parce que pour faire grève, il faut être courageux »

Entretien de salariées grévistes du Hyatt Paris-Vendôme

  
 
Le 20 septembre, dans le très luxueux hôtel Hyatt Paris-Vendôme, 65 employées d’un sous-traitant entamaient une grève illimitée. Leurs principales revendications étaient le paiement du 13e mois, la fin de la sous-traitance et l’embauche directe par l’hôtel, la fin des contrats à temps partiel, la fin des heures supplémentaires non payées. Nous avons rencontré Marina et Carmen [1], deux femmes de chambre grévistes du Hyatt qui nous ont parlé de leur lutte et de leurs conditions de travail, entre autres.


Pouvez-vous nous raconter comment a commencé votre lutte ? 

 

M. : La grève a commencé le 12 septembre... d’abord sur une journée. C’était juste pour faire un avertissement à l’hôtel, pour qu’il étudie nos revendications. En fait on lui proposait de négocier, avant de nous engager vraiment dans la grève. Mais personne n’a réagi, ni l’hôtel, ni la Française de Services [le sous-traitant]. Du coup, une semaine après, le 20 septembre, nous sommes parties pour une grève illimitée.

La première revendication c’était le 13e mois, puis le paiement des heures supplémentaires et l’amélioration des conditions de travail. Parce qu’au sein de l’hôtel nous ne sommes pas considérées. Que ce soient nos chefs, nos supérieurs, les employés de l’hôtel, nous ne sommes pas considérées.

Après la grève d’avertissement, nos supérieurs venaient tous les deux ou trois jours pour nous intimider en nous disant que si on faisait grève, Hyatt allait nous mettre dehors, qu’on n’aurait plus de boulot, qu’on irait aux ASSEDIC. C’était toujours les mêmes menaces : « si vous faites grève vous allez salir l’image de l’hôtel ». Mais ce n’était pas ce qu’on attendait. On voulait quelque chose de concret, qu’on nous propose quelque chose. Ils nous disaient à chaque fois « il n’y a pas d’argent », je veux dire pour payer le 13e mois... Ils n’avaient pas d’argent mais tous les jours ils venaient avec des Louis Vuitton, des costumes Cacharel ou je ne sais quoi... On a dit au DRH de la Française de Services : « la société fait des bénéfices tous les ans, comment ça vous ne pouvez pas payer ? » Dites-nous « on va payer petit-à-petit ». On voulait quelque chose de concret qui puisse nous calmer. Mais non. Ils venaient nous insulter, nous intimider.

C. : A chaque fois c’était nous qui leur donnions des idées de comment ils pouvaient faire pour nous payer et tout. La première fois le DRH de la Française a dit qu’il n’avait pas d’argent ; après il nous a dit qu’il allait nous payer en plusieurs fois. On lui a dit : ce n’est pas un crédit qu’on a pris chez vous !

Et pour ce qui est de « la fin de la sous-traitance » que vous revendiquiez, qu’en est-il ?

 

M. : On ne sait pas si ce sont les chiffres exacts, mais on a appris que Hyatt verse à peu près 200000 euros par mois à la Française de Services, pour 65 employés. Nous on est payées que 1200 euros… Le reste ça va où ? Si on était embauchées directement par l’hôtel, on pourrait être augmentées. Une femme de chambre devrait gagner 2000 voire 2200 euros !

Mais ils ont été catégoriques, ils ne voulaient pas... Finalement on va seulement changer d’employeur. On a été souples quand même, parce que si on avait mis la pression à fond ils auraient peut-être cédé. Mais on a compris que dans leur tête, s’ils nous embauchaient, ils allaient devoir embaucher tout le personnel de sous-traitance. En plus on va maintenant toucher le 13e mois, ce qui les obligerait à le donner aussi au personnel de l’hôtel, chose qu’ils ne veulent pas faire. Ils préfèrent négocier avec un sous-traitant comme ça même si le personnel se soulève ils diront que c’est le sous-traitant le responsable et pas Hyatt.

Mais alors, qu’est-ce que vous avez obtenu ?

 

M. : Comme je te le disais, le 13e mois a été accordé. Aussi, les heures supplémentaires seront payées, on aura une augmentation des salaires, pas mal de primes, et la « clause de mobilité » va être retirée de notre contrat. Actuellement on peut t’envoyer n’importe où ; si tu te plains, on t’envoie ailleurs. Il y en a une par exemple qui travaillait dans un autre hôtel. Tous les mois elle réclamait le paiement des heures supplémentaires. Ils ont fini par la muter ici, et jusqu’à aujourd’hui ils ne lui ont pas payé les heures.

Et avec les clients, comment ça se passe ?

 

C. : Les clients c’est des milliardaires, des stars. Malgré ça, souvent ils laissent les chambres dans un état incroyable ! Mais on n’est pas trop en contact avec eux. Tu ouvres juste la porte et tu demandes si tu peux faire la chambre, s’il dit oui tu la fais, s’il dit non tu vas en faire une autre. C’est juste « bonjour Monsieur », « bonjour Madame », c’est tout. Et s’ils restent tard dans la chambre, ça bouscule tout ton emploi du temps, et après c’est la course ! C’est comme ça qu’on fait des heures supplémentaires !

M. : Il y a autre chose que je voulais dire. A chaque fois que les clients se plaignent, c’est la femme de chambre qui est en tort. Ils sont riches mais il y en a qui, pour ne pas payer la chambre, disent qu’on leur a pris un portable, une montre, de l’argent... Et puis on travaille sous pression, il faut faire vite. Donc ça peut arriver qu’ils laissent des choses sur le lit et qu’en changeant les draps, les femmes de chambre embarquent tout.

Quand Nafissatou Diallo a été abusée sexuellement par DSK au Sofitel de New York, ça vous a impactées ?

 

M. : Pour tout te dire, peu avant ça, on a eu le même cas au Hyatt. Les journaux n’en ont pas beaucoup parlé parce que l’hôtel ne voulait pas que ça se sache, ils ont étouffé l’affaire. Une femme de chambre qui travaillait la nuit a subi des attouchements. Finalement, l’hôtel l’a mutée, mais elle était tellement traumatisée, dépressive, qu’elle a arrêté. La société l’a traitée de mytho, de « séduisante », on lui a dit que c’était elle qui l’avait attiré...

Vous croyez que votre lutte peut avoir une influence sur d’autres travailleuses et travailleurs qui sont dans votre cas ?

 

C. : Nous-mêmes ce qui nous a encouragées c’est que des femmes de chambre du Campanile de Suresnes ont fait une grève de 23 jours ; les femmes de chambre du Novotel de Châtelet ont fait une grève de 35 jours... On s’est dit « Si elles ont été courageuses, pourquoi pas nous ? » C’est ça qui nous a encouragées. Et si désormais ça se passe mal avec la nouvelle entreprise on refait grève, on est tous prêts !

Vous voulez ajouter quelque chose ?

 

C. : Oui. Dire qu’aujourd’hui on va travailler avec beaucoup de fierté, on est fières de nous, de ce qu’on a fait. Parce que pour faire grève il ne suffit pas de se lever un matin et de dire « allez, aujourd’hui je fais grève ». Non, il faut être courageux.

M. : Surtout dans une grande boite comme Hyatt. Ce n’est pas n’importe qui qui peut faire grève. Il faut s’unir pour réussir. Moi j’avais mes voisins qui me disaient « fais attention, on va te licencier », et ça tous les jours.

Mais moi j’aurais voulu que la grève continue car je tenais à être embauchée chez Hyatt . Parce que les sous-traitants sont tous les mêmes. Le nouveau a peut-être modifié certaines choses mais demain, est-ce qu’il va respecter tout ce qu’on a signé ? Il va peut-être nous sortir autre chose...

C. : Et nous lui sortirons une nouvelle grève, ça c’est clair...

26/09/13

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[1] Afin de préserver l’anonymat, les prénoms ont été modifiés.
 

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