Philippe Alcoy
Source: Courant Communiste Révolutionnaire du NPA
Samedi 28 septembre on apprenait que plusieurs
dirigeants, élus parlementaires et membres du parti néofasciste grec,
Aube Dorée (Chrysi Avghi), étaient arrêtés, notamment son leader Nikolaos Michaloliakos. Ces arrestations sont sans
doute le résultat de plusieurs jours de mobilisations populaires et
massives contre l’assassinat, par un militant de Chrysi Avghi, du
chanteur de Hip-hop et activiste antifasciste Pavlos Fyssas, le 17
septembre au soir. Ce crime a choqué profondément au-delà même de la
Grèce et a fait chuter la popularité du parti d’extrême-droite. C’est
dans ce cadre de pression populaire que le gouvernement a lancé une
enquête, très médiatisée, au sein de la police et des autres forces de
répression, pour déterminer des complicités avec Aube Dorée et ses
divers actes criminels.
Cette nouvelle a
sans doute été accueillie avec sympathie par de larges secteurs des
classes populaires fatigués de constater l’impunité dont jouissent les
sbires d’Aube Dorée. Certains pourront parler même de « victoire ».
Cependant, cette situation nous amène à nous poser un certain nombre de
questions, d’une part, par rapport à la lutte du mouvement ouvrier et
populaire contre les groupes et bandes fascistes ; et d’autre part, sur
l’indépendance du mouvement ouvrier vis-à-vis du gouvernement et les
institutions de l’Etat, telles que la Justice et la police.
La mobilisation et la pression populaire est
fondamentale pour que les crimes contre les travailleurs immigrés et
leurs familles, contre les LGBT et contre les militants politiques et
syndicaux de la part des bandes de Chrysi Avghi et d’autres
groupes d’extrême-droite ne restent pas impunis. Cependant, cela ne veut
pas dire qu’on fait confiance au gouvernement, à l’Etat et sa
« Justice ». Bien au contraire, il s’agit aussi de nos ennemis ! En
s’appuyant sur le mécontentement populaire que le crime contre P. Fyssas
a provoqué, il faut que les organisations du mouvement ouvrier
profitent du moment pour dénoncer leur complicité avec Chrysi Avghi
durant toutes ces années !
Nous ne pouvons pas en effet oublier que 50% des
effectifs de la police grecque a voté pour Aube Dorée aux élections de
2012. On ne peut pas oublier non plus qu’en matière de répression et
d’attaques contre les travailleurs immigrés, de violences et tortures
contre les militants d’extrême-gauche, entre autres, elle n’a rien à
envier aux bandes de Chrysi Avghi. Et que dire de cette Justice
bourgeoise qui donne suite aux accusations absurdes du parti néofasciste
contre des militants anticapitalistes et antiracistes. C’est la même
Justice qui a permis que jusqu’à présent la majorité des crimes d’Aube
Dorée restent impunis.
Concernant le gouvernement d’alliance entre la
Nouvelle Démocratie (ND) et le PASOK (Mouvement Socialiste Panhellénique
–le PS grec), dirigé par Antonis Samaras, sa responsabilité dans le
développement de ces groupes fascisants et d’un climat réactionnaire
parmi certains secteurs de la société est évidente. Non seulement ils
répandent le venin xénophobe et raciste, par exemple en ouvrant de vrais
camps de concentration pour les immigrés « illégaux », mais ils sont
les responsables directs de l’application des terribles attaques contre
les conditions de vie et de travail des travailleurs et des couches
populaires. La misère engendrée par les mesures d’austérité des
gouvernements que se sont succédés depuis le début de la crise, est l’un
des éléments explicatifs du renforcement de ces courants
ultra-réactionnaires.
Le gouvernement ND-PASOK et Samaras, sont l’option la plus valable pour la bourgeoisie grecque et la Troïka,
au moins aujourd’hui. L’existence d’un parti fascisant, dans le cas
d’un approfondissement de la lutte de classes, peut devenir une option
pour la bourgeoisie. Il est clair cependant qu’un certain nombre de voix
qui traditionnellement allaient à ND et même au PASOK, notamment de
secteurs de la petit-bourgeoisie mécontents de la dégradation de la
situation économique et de leurs conditions de vie, maintenant aillent
vers Aube Dorée. Depuis le gouvernement et Samaras ont adopté une
rhétorique de plus en plus à droite pour essayer de « récupérer » ces
secteurs. L’émotion provoquée par l’assassinat de P. Fyssas et la baisse
de Chrysi Avghi dans les sondages pourrait constituer une
occasion pour le gouvernement d’attirer une partie des électeurs du
parti d’extrême-droite.
Mais il y a d’autres raisons plus profondes qui
expliquent la réaction « énergique » de la part du gouvernement contre
Aube Dorée : bloquer toute dynamique vers la constitution d’un front
unique des organisations ouvrières, indépendant du gouvernement et de
l’Etat, pour stopper les attaques des bandes fascistes. Cela pourrait
ouvrir un scénario d’instabilité politique qui échappe du contrôle des
classes dominantes locales. D’ailleurs, conscients de cette crainte du
gouvernement face à une telle situation, notamment vis-à-vis de la
Troïka, les élus parlementaires de Chrysi Avghi ont menacé de démissionner en bloc provoquant des élections partielles anticipées.
En constatant ces dangers, depuis quelques semaines
Samaras et ses ministres parlent dans les médias du danger des
« extrêmes ». Ainsi, il essaye de se présenter comme le meilleur
défenseur de la « démocratie et la stabilité » bourgeoises et de
légitimer son gouvernement. Un gouvernement qui est l’une des plus
claires expressions, voire une caricature, de ce que l’intellectuel
britannique Tariq Ali appelle « la dictature du centre »... mais
dans une phase de décomposition de ce « centre ». Ce n’est pas par
hasard non plus que cette opération très médiatique contre Chrysi Avghi
se déroule au moment où, comme conséquence de l’application de
certaines mesures du dernier accord avec la Troïka, des travailleurs
commencent à se mettre en lutte, notamment dans le public. D’ailleurs,
un des évènements les plus choquants ces derniers jours c’est sans doute
la fermeture de plusieurs universités, notamment celle d’Athènes, à
cause de la suppression d’un certain nombre de postes parmi le personnel
administratif ; ou encore les grèves qui mènent les enseignants du
secondaire, aussi contre la suppression de postes. Dans ce cadre, un
certain regain, même partiel, de légitimité de ce gouvernement auprès de
secteurs des masses pourrait constituer un appui pour que celui-ci
s’attaque aux militants de gauche radicale et syndicaux, aux grévistes
et à tous ceux qui luttent contre ses politiques. Il est donc plus
urgent que jamais de développer le Front Unique des organisations du
mouvement ouvrier pour lutter contre l’extrême-droite et la politique de
la bourgeoisie !
C’est pour cela que ce n’est pas le moment de
relâcher la pression sur le gouvernement et l’État de la part du
mouvement ouvrier. Il faut continuer à mobiliser massivement pour que
les crimes des sbires de Chrysi Avghi ne restent pas impunis et
pour profiter du mécontentement actuel contre l’extrême-droite pour
créer des comités d’auto-défense, l’enjeu étant de se tenir prêts pour
le moment où cette racaille essaiera à nouveau de lever la tête. Une
défaite « militaire » dans un de leurs bastions pourrait démoraliser et
freiner ses membres. Mais cela exige une politique de la classe ouvrière
diamétralement opposée à la politique de conciliation de classes des
directions syndicales ou à celle des partis réformistes. Seul le
mouvement ouvrier organisé, montrant une vraie détermination dans la
lutte contre les conséquences de la crise du capitalisme en Grèce, peut
convaincre des secteurs de la petite bourgeoisie et certains secteurs
désespérés de la classe ouvrière à lutter avec lui pour une perspective
complètement opposée à la politique raciste, xénophobe et d’attaques
contre les acquis des travailleurs que mènent actuellement le
gouvernement et les sbires de l’extrême droite. Le meurtre de Pavlos
Fyssas est un avertissement pour l’extrême-gauche grecque. Il n’y a plus
de temps à perdre pour construire l’alternative révolutionnaire dont
ont besoin les travailleurs.
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